L’Angélus de Millet ou quand le travail cesse

Notez-bien que de nombreuses illustrations parsèment ce texte. Vous les retrouverez sur notre version papier ou sur la revue complète, téléchargeable gratuitement :  https://foyers-ardents.org/wp-content/uploads/2024/08/Composition-FA-47-site.pdf

*****************************************************

Chaque jour à 07h00, 12h00 et 19h00, les cloches retentissent. C’est l’Angélus. Chacun cesse son travail et se recueille un instant. Le monde se met en pause. C’est ce que décrit le célèbre tableau du peintre symboliste Jean-François Millet, réalisé entre 1857 et 1859, aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay à Paris. Particulièrement connu, ce tableau présente un paysan et sa femme, recueillis dans les champs, alors qu’ils ramassent les pommes de terre.

Millet, le peintre du travail aux champs

Millet est connu pour ses tableaux mettant en scène les travaux des champs. Il a notamment peint Les glaneuses (1857), La récolte de pommes de terre (1855) et d’autres tableaux à thématiques rurales. Il peint notamment La plaine de Chailly en 1862, s’inspirant de la campagne environnant le hameau de Barbizon où il s’est installé. Le choix de l’Angélus s’inscrit donc dans cette série de tableaux à thématique paysanne où l’artiste dépeint le quotidien laborieux des paysans qu’il côtoie. Cette campagne lui sert de cadre également pour peindre l’Angélus. En arrière-plan, le clocher est celui de Chailly-en-Brière, paroisse voisine de Barbizon. Le soir tombe, répondant à l’appel des cloches, Monsieur a planté sa fourche dans le sol pour retirer son chapeau. A ses côtés, Madame a joint les mains sur son cœur. Tous deux inclinent la tête pieusement. A leurs pieds, un panier de pommes de terre attend d’être déversé dans la brouette. Leur attitude est simple et révèle toute la beauté de cette piété populaire.

Un souvenir d’enfance

Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à mettre en scène la piété paysanne, Jean-François Millet répondait qu’il s’agissait de peindre un souvenir d’enfance : « L’Angélus est un tableau que j’ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’Angélus pour ces pauvres morts.» Bien que l’Angélus célèbre l’Incarnation et le Fiat de la Vierge Marie lors de l’Annonciation, aux yeux de Millet cette prière commémore le souvenir de sa grand-mère défunte qui, elle-même, interrompait son travail au son de la cloche pour remercier le Seigneur. C’est peut-être ce souvenir qui le conduit à penser que cette prière est récitée en l’honneur des défunts alors qu’il n’en est rien. Intervenant aux trois heures de la journée correspondant aux offices monastiques des Laudes, de Sexte et des Complies, la cloche de l’Angélus invite chacun à mettre son travail en pause pour remercier le Seigneur. Ce faisant, elle rappelle à chacun ses fins dernières et la primauté de la prière sur le travail. Ayant lui-même prié l’Angélus avec sa grand-mère, Millet honore sa mémoire par ce tableau.

L’Angélus après Millet

Si Millet est le premier à peindre le rituel de l’Angélus, il ne reste pas seul à faire sienne cette thématique à la fois paysanne et religieuse. A sa suite d’autres artistes s’emparent du thème. C’est le cas de Jean Laronze qui, dans un tableau intitulé l’Angélus, conservé également au Musée des Ursulines de Mâcon, met en scène une famille de pêcheurs dans la même attitude de recueillement. Au milieu d’un fleuve où ils sont en train de pêcher, une famille se recueille, debout dans la barque qui leur sert d’embarcation.

Dans le même esprit, Georges Dupré réalise vers 1904 des plaques en bronze conservées au Musée d’Orsay, reprenant cette thématique : un bouvier en prière devant sa charrue, une femme gardant les brebis assisse avec son enfant, etc… Aux XIXe-XXe siècles, connus pour leur forte industrialisation, l’Angélus devient un thème artistique à part entière mettant à l’honneur la simplicité de la piété paysanne et la paix qu’elle apporte aux alentours.

Conclusion

L’Angélus, cette prière dont la pratique remonte au Moyen-Âge, a donc attendu quelques siècles avant de devenir un thème artistique reconnu. A la fois religieux et paysan, l’Angélus est aussi une thématique familiale. Quel que soit le tableau, l’Angélus y est dépeint comme un moment de recueillement familial ponctuant une journée de travail. Il est un instant de paix qui invite chacun à s’unir par la prière pour louer le Seigneur et offrir à Dieu son travail.

 

Une médiéviste au XXIe siècle

 

« Ombra mai fu » Tiré de l’opéra Serse (Xerxès) – 1738

 

Notre citation pour septembre et octobre :  

« Et, nous-mêmes, ayant juré sur la tombe de Péguy de refaire à la France « un culte, une âme, une foi », ne vous étonnez pas que nous voulions vous réapprendre à chanter. » Père Doncœur (1880-1961)

********************************************

Haendel représente la synthèse magistrale des traditions musicales d’Allemagne, d’Italie, de France et d’Angleterre. Ses chefs-d’œuvre les plus connus sont, entre autres, la Water Music et l’oratorio Le Messie. Mais Haendel s’est aussi consacré pendant trente-cinq ans à l’opéra italien (Rinaldo, Orlando…). Le 15 avril 1738 eut lieu à Londres, au Haymarket Theater, la première de Serse aujourd’hui considéré comme « le dernier chef-d’œuvre italien de Haendel ».

L’action se tient dans l’empire perse. Serse (Xerxès 1er, empereur et ancêtre de Darius, empereur vaincu en 331 av. JC), est la proie d’amours contrariés donnant lieu à de multiples rebondissements. L’opéra s’ouvre par un larghetto, durant lequel, bizarrement, Xerxès adresse une invocation pour la prospérité de l’un de ses platanes. Ce largo, devenu extrêmement célèbre, s’interprète communément comme une demande symbolique de paix intérieure et extérieure.

Récitatif :

Frondi tenere e belle

del mio platano amato

per voi risplenda il fato.

Tuoni, lampi, e procelle

non v’oltraggino mai la cara pace,

né giunga a profanarvi austro rapace.

 

Frondes tendres et belles

De mon platane bien-aimé,

Que votre destin soit resplendissant.

Que le tonnerre, la foudre, et les tempêtes

ne troublent jamais votre chère paix

Et que le vent rapace ne puisse pas

vous atteindre pour vous profaner.

 

Larghetto :

Ombra mai fu

di vegetabile

cara ed amabile,

soave più ! »

 

Jamais l’ombre

d’aucun arbre

ne fut plus chère, ni plus aimable,

ni plus douce !

Récitatif :

Handel: Serse, HWV 40, Act 1, Scene 1: Accompagnato. « Frondi tenere » (Serse) • George Frideric Handel, William Christie, Anne Sofie von Otter, Les Arts Florissants (spotify.com)

Larghetto :

Handel: Serse, HWV 40, Act 1, Scene 1: Arioso. « Ombra mai fù » (Serse) • George Frideric Handel, William Christie, Anne Sofie von Otter, Les Arts Florissants (spotify.com)

 

Faut-il désespérer?

Ma chère Bertille,

 Tu me fais part dans ta dernière lettre de ton découragement, de ta lassitude de voir le délitement de la société. Tu as l’impression d’assister, impuissante, à la destruction de la France et cela te désespère. Tes parents et grands-parents ont mené le même combat, sont descendus dans la rue pour défendre leurs convictions ; ils ont mis leurs espoirs dans des hommes, dans des partis, ils ont fait parfois de grands sacrifices… Et le constat est aujourd’hui implacable, malgré les efforts et les espoirs de tous, la France a oublié qu’elle était « Fille aînée de l’Eglise », qu’elle avait une mission à remplir ; elle semble même prendre plaisir à montrer le mauvais exemple…

Sans doute, le monde où nous vivons est-il devenu le royaume de ces amoraux à qui il semble que tout soit permis ; sans doute le combat pour que l’Eglise, l’Etat et la famille vivent en cohérence semble-t-il dépassé ; sans doute ceux qui veulent demeurer fidèles aux lois de l’Eglise paraissent-ils devenus des êtres anachroniques, « vivant entre eux, à part de la mode, à part du monde réel… »

L’être humain, ne songeant qu’à son plaisir et à son égoïsme, croque dans la pomme à la hâte, la rejetant dès son premier désir assouvi pour un autre plus prometteur. L’air est chargé lui-même de tous les reniements moraux et spirituels et nos poumons cherchent en vain une bouffée d’air pur, et nos yeux un lieu où poser le regard …

 Mais faut-il pour autant désespérer ?

Tu me diras que seule, tu ne peux rien ; c’est exact ! Mais par le baptême tu es devenue le temple du Saint -Esprit et depuis ce jour béni, tu n’es et ne seras plus jamais seule ! 

Un prêtre orateur qui marqua les esprits, ayant à parler dans une grande salle, prévint son auditoire qu’on allait tout éteindre. Puis dans l’obscurité, il craqua une allumette et demanda qui pouvait voir la flamme ; une acclamation générale retentit. Tirant tout de suite la leçon, il poursuivit : « c’est ainsi que brille une bonne action dans un monde mauvais ! » Et pour prolonger l’expérience, il demanda que chacun gratte une allumette et bientôt 1000 petits points de lumière jaillirent dans la salle qui fut du coup pour quelques instants tout illuminée. La démonstration s’avérait sans réplique : Que chacun donne sa flamme et celles-ci ainsi conjuguées réduiront les ténèbres et confondront l’obscurité.

 Tirons donc à notre tour une leçon à ne pas oublier :

Dieu nous a placés chacun, volontairement, là où nous sommes ; et Il attend que nous aussi, nous allumions notre flamme car d’autres ont besoin de cette lumière pour s’y réchauffer ou pour les éclairer ! Maudire l’obscurité ne sert à rien, la briser, ne serait-ce que pendant quelques instants, est une œuvre splendide.

 Aime – Sois généreuse – Aimer c’est donner et donner c’est tout donner, or on ne donne pour de bon, sans calcul, que lorsqu’on a d’abord tué son amour de soi. Ça ne se fait pas tout seul, tant l’amour-propre est enraciné en nous ! Courage ! C’est ce qu’on donne qui enrichit. Et avant tout, fais de Dieu l’amour essentiel de ta vie. Ne crains pas qu’Il ferme ton cœur aux tendresses humaines, au contraire, Seul, Il saura les purifier et t’orienter vers l’âme grande que tu recherches.

Espère contre toute espérance. C’est parce que le monde est obscur à déchiffrer que la foi est une vertu et l’espérance sa sœur jumelle. Si le chrétien lui-même désespère, alors qui portera la flamme jusqu’au dernier jour ? Ne plus espérer, c’est douter de l’amour infini de Dieu !

C’est à cause de son étouffement spirituel que déchoit le monde, et pour retrouver un peu d’air, il n’a besoin que de véritable charité, d’espérance, de justice et d’humilité. Dieu nous a confié le dépôt de cette vie spirituelle ; à nous de la transmettre ! Il ne nous a pas promis une vie tranquille et confortable et Il veut que tous, nous portions notre croix. Mais il nous faut la porter avec un franc sourire pour qu’on sache que nous sommes plus forts que la souffrance. Et aussi pour que ceux qui nous blessent comprennent que leurs flèches nous atteignent en vain. Bénis les coups reçus, aime ceux qui viendront, ils te seront utiles pour mieux aimer.

Sois fidèle dans les petites choses : ta prière du matin et du soir, ton chapelet, ton examen de conscience quotidien. Persévère dans tes résolutions, surtout quand elles te coûtent… C’est ta fidélité que Dieu récompensera car les petites actions quotidiennes demandent souvent plus de vertu qu’une action d’éclat ! Laisse-toi faire par Dieu, Il te parle, dans la paix de ton cœur, et Lui seul saura t’apporter la sérénité dont tu as besoin.

Et ensuite, comme sainte Jeanne d’Arc, marche hardiment et agis « plutôt aujourd’hui que demain et demain que plus tard ». Ne pense qu’au sommet et monte avec ardeur, toujours vaillante, sans crainte et sans reproche !

 Garde courage et compte sur ma fidèle amitié,

 

Anne

 

L’aigle noir

Peut-être avez-vous observé lors de vos récentes vacances d’été à la montagne, un de ces aigles noirs planant dans le ciel ?

Il s’élance d’une falaise et aussitôt des corbeaux batailleurs l’assaillent de toutes parts, cherchant à lui crever les yeux pour l’aveugler. Mais lui, imperturbable, après quelques coups de griffes, continue en planant, son ascension paisible, porté par les courants ascendants.

Il monte, il monte, et en quelques tours dans le ciel, sans montrer aucun effort, il s’est élevé au-dessus de la mêlée des corbeaux qui n’arrivent pas à le suivre en dépit de leurs battements d’ailes effrénés. Sans se soucier des circonstances, des aléas, tout entier tendu vers le ciel, il y monte dans la paix et sans agitation.

Si parfois nous sommes inquiets pour le choix de notre orientation, pour la découverte de notre vocation, si parfois notre esprit se trouble à l’idée de pouvoir échouer dans nos études ; si parfois la critique nous atteint ; si parfois nous doutons de nos capacités à réussir dans nos entreprises ; si parfois notre âme se trouble ; si parfois nous perdons la paix intérieure, pensons à l’aigle noir. Le démon, tel les corbeaux criards, cherche à nous aveugler, à nous empêcher de monter vers le ciel. Il est l’ennemi de la paix et agit dans le trouble pour nous accrocher à la terre dans l’inquiétude. Au contraire, Jésus ne nous a-t-il pas dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix » ?

Comment conquérir et conserver cette paix intérieure qui est à la fois la base sur laquelle les vertus fleuriront plus facilement, mais aussi le résultat de la culture des vertus ?

La paix étant la tranquillité de l’ordre, si notre vie est en ordre, nous n’avons pas de vraie raison d’être troublé et de perdre la paix, donc chassons ces idées noires. A l’inverse, si nous n’avons pas la paix, commençons par remettre notre vie en ordre, et la paix reviendra.

 

Mais tout d’abord, qu’est-ce qui trouble la paix intérieure ?

C’est cette petite voix qui résonne en nous et dont nous avons du mal à discerner si elle vient de notre conscience, de notre ange gardien ou si elle vient du Malin.

Et alors, quelle attitude tenir face à cette petite voix lancinante qui certaines fois n’est pas loin de nous rendre fou ?

Voici quelques petits conseils simples, fruits de l’expérience et tout à fait modulables en fonction des situations qui sont toutes différentes bien entendu.

Commencer par prier et faire un acte d’abandon : « Mon Dieu, venez à mon aide, je suis là pour faire votre volonté. »

Si cela persiste, confier ces troubles, ces questions à un bon ami. Cela permettra de mettre des mots sur le ressenti, et parfois rien que cela pourra faire s’évanouir le trouble.

Limiter la rêverie et maîtriser l’imagination galopante : si je ressens cela, c’est que je suis fait comme cela ou pour cela… Tout ceci n’est que du vent : s’en tenir aux faits, se les rappeler, ne pas les interpréter.

Quand les questions persistent, il peut être important de prendre le temps de réfléchir sérieusement pour y répondre une bonne fois pour toutes. Par exemple, faire une retraite sur la question de la vocation sera très utile. Car dans ce cadre privilégié, nous serons plus à même de faire les bons choix, aidés par les méthodes de discernement de saint Ignace qui sont très efficaces pour identifier si une inspiration vient de Dieu ou du démon.

Ces moments dédiés à la réflexion permettent sinon de décider du moins d’approfondir notre choix, et il est important de ne pas remettre en question tout le travail et les décisions prises en retraite.

Si on a accordé le temps suffisant à l’examen de la question sous le regard de Dieu et que malgré tout celle-ci persiste, alors il faut y couper court et fuir sans scrupule. C’est encore le Malin qui vient nous troubler.

Un directeur spirituel sera aussi d’une très grande aide dans le cas d’un esprit souvent troublé.

Enfin, tel l’aigle noir, cherchons seulement à monter vers le ciel, et portés par les courants ascendants de la grâce, les corbeaux batailleurs n’auront pas longtemps prise sur nous.

 

Antoine

 

Le chasseur (1974)

Michel Delpech (1946-2016)

Il était cinq heures du matin
On avançait dans les marais
Couverts de brume
J’avais mon fusil dans les mains
Un passereau prenait au loin
De l’altitude
Les chiens pressés marchaient devant
Dans les roseaux.

 

Par-dessus l’étang
Soudain j’ai vu
Passer les oies sauvages
Elles s’en allaient vers le midi, la Méditerranée
Un vol de perdreaux par-dessus les champs
Montait dans les nuages
La forêt chantait
Le soleil brillait au bout des marécages.

 

Avec mon fusil dans les mains
Au fond de moi, je me sentais
Un peu coupable
Alors je suis parti tout seul
J’ai emmené mon épagneul
En promenade
Je regardais le bleu du ciel
Et j’étais bien.

Par-dessus l’étang, soudain j’ai vu
Passer des oies sauvages,

Elles s’en allaient vers le midi, la Méditerranée
Un vol de perdreaux par-dessus les champs
Montait dans les nuages,

La forêt chantait
Le soleil brillait au bout des marécages.


Et tous ces oiseaux qui étaient si bien
Là-haut dans les nuages
J’aurais bien aimé les accompagner
Au bout de leur voyage

Oui tous ces oiseaux qui étaient si bien
Là-haut dans les nuages, j’aurais bien aimé les accompagner
Au bout de leur voyage.

Le chasseur (Les oies sauvages) • Michel Delpech (spotify.com)