Etre ou paraître

           Il fait nuit. Il fait froid. Il doit être entre deux et trois heures du matin. Dans la ville, les rues sont désertes, ou presque. On croise quelques fêtards avinés, rentrant de soirée. Sur les façades, quelques rares fenêtres restent éclairées de flashs colorés, un écran de télévision passe un film devant des spectateurs avachis. Les lampadaires éclairent des rues tristes et sales. La ville, sans les atours du jour, paraît ce qu’elle est : sans cœur, sans vie, sans joie. Sous un pont, un misérable lutte contre le vent glacial, recroquevillé sous une couverture rendue rigide par la crasse. Quelques voitures passent, un boulanger parti faire chauffer les fours, une infirmière ou un ouvrier de nuit, allant prendre son poste ou retournant chez lui profiter d’un repos mérité. Le monde s’est éteint. La ville moderne n’a pas d’âme. Oh, il y a bien dans son cœur historique une vieille église, de hautes murailles, une tour altière, un ancien palais aux façades classiques. De vieux immeubles s’alignent avec grâce dans l’obscurité, certains ayant encore dans un coin une alcôve contenant une antique statue de la Vierge. Mais l’âme du pays s’en est allée. La ville paraît vivante, mais elle est comme un sépulcre blanchi. Elle a gardé la forme de la chrétienté, mais son âme est morte, tuée par le péché.

  Dans la campagne, la cloche sonne. Les étoiles brillent dans le ciel. Une brume traîne sur le pays. Dans les cellules, les moines se lèvent sans bruit. Ils revêtent leur bure, puis doucement descendent à la chapelle. En entrant, tous se signent. La voûte murmure, c’est le bruit des pas étouffés sur les dalles ; les stalles se remplissent. Soudain, une voix brise le temps et réchauffe la pierre : « Domine, labia mea aperies ». Les matines commencent.

  Notre monde est un monde du paraître. Sans cesse, ses enfants, réduits à l’état d’individus, cherchent la gloriole des hommes et la pompe de Satan. Ils se gavent d’un flot ininterrompu d’actualités, si vif, si volumineux que le débit ne permet pas la plus petite réflexion. Ils postent sur les réseaux sociaux, tous les jours, partout, sur n’importe quoi. Sans aucune pudeur, on dévoile à la terre entière son intimité, un baiser avec son conjoint, un sourire de son enfant, le contenu de son assiette ou même encore ses petites émotions pleines de bons sentiments à faire pleurer dans les chaumières. On pleurniche sur le sort des forêts sud-américaines, on s’indigne sur l’infortune des affamés par les guerres du monde, on proteste contre le sort réservé aux minorités, mais on ne voit pas le réel, on ne veut pas voir le mendiant sous sa porte, le voisin qui vit enfermé dans une solitude pire que la plus obscure prison, son concitoyen qui fait face à la ruine ou à la détresse. Même au travail, de plus en plus, il faut paraître. Faire semblant. Se montrer. Avec ses masques, ceux en tissu qui cachent le visage, ceux invisibles qui cachent tout son être pour paraître, pour se donner une image et une contenance. Jouer des coudes quitte à écraser un collègue, mentir, pour se mettre en avant. Dans ce jeu sans merci, tout devient mauvais théâtre, rôles de pacotille, bal des illusions mal dansé.

  Au fond de l’abbatiale, le silence enveloppe les moines. Pas un bruit. On entend presque la pierre respirer, doucement, portée par la terre, sous le regard du Ciel. Un moine en surplis rentre doucement, suivi d’un moine en chasuble. Génuflexion. Signe de croix. Un murmure, imperceptible, la messe commence.

  Le monde, lui, continue sa course. On s’agite mais on n’agit plus. On gesticule mais on ne maintient plus. On pleurniche mais on ne pleure plus. On ricane mais on ne rit plus. On s’abrutit de musiques insanes mais on ne chante plus. On consomme de plus en plus mais on ne donne plus à l’indigent. On accumule les amis sur internet mais on ne salue plus le passant de chair croisé dans la rue. On invective mais on ne débat plus. On condamne mais on ne pardonne plus. On palabre et on se pavane mais on ne parle plus. On prêche la tolérance et la différence, mais on ne sait plus écouter son prochain. On fait du yoga mais on ne médite plus. On consulte le psychologue mais on évite le prêtre. On étale sa vie à tous les vents mais on ne se confesse plus. On se crée des idoles mais on ne prie plus. On ment aux autres et à soi-même, on paraît mais on n’est plus.

  Le cantique à la Vierge s’achève, en un dernier soupir. Les religieuses sont agenouillées, le visage dans les mains. La nuit a saisi la terre. Le temps semble arrêté. Une prière silencieuse monte vers le Ciel et satisfait le Cœur divin. Les religieux et les prêtres tiennent le monde dans leurs prières. Ils ne paraissent pas, ils sont en Dieu. Ils se cachent dans le cloître, et pourtant, ils vivent plus véritablement que tous les hommes.

  L’air du temps souffle partout. Même les catholiques se bercent à ses illusions, s’accommodent de ses mensonges. Faisons le point sur notre vie : quelle utilisation faisons-nous des réseaux sociaux ? Ne sommes-nous pas en train de nous pavaner ? De jouer un mauvais rôle ? Pompes de Satan. Sommes-nous apôtres ? Ou taisons-nous la Vérité par convenance, par peur, parce qu’au travail, ce n’est pas le lieu ? Avons-nous oublié que chacun de nos collègues a coûté le sang du Christ ? Combien de temps passons-nous à regarder la télévision, des films ou des séries ? Ce temps si précieux qui s’égrène dans les mains de Dieu, ce temps qui coule inexorablement jusqu’à la mort ! Et combien de temps passons-nous à prier ? Où sont nos méditations et nos lectures spirituelles ? Quand nous manifestons et prions publiquement, prions-nous vraiment ou nous agitons-nous, plus inquiets de l’impact politique et médiatique de notre action que cherchant à toucher le cœur de Dieu ? Voyons-nous notre vie comme Dieu la voit ou comme les hommes la voient ? Voulons-nous paraître auprès des hommes ou être et demeurer en Dieu ?

 

  Méditons cela, à l’approche du Carême, qui pourra être l’occasion de faire le ménage, de couper un fil qui nous retient de devenir un saint. N’oublions pas, sans la prière, mais aussi sans la pénitence, nous ne pourrons nous approcher de Celui qui Est.

  Dans le froid de l’hiver, allongé sur son lit, tenaillé par l’agonie, un saint moine rend son âme à son Créateur. Oh, il n’y aura pas d’article de presse, de marche blanche bougie à la main, point de déclaration larmoyante et fausse, point de pleurnicheurs pour s’émouvoir sur les réseaux sociaux, rien de tout cela. Mais il y a les trompettes des anges qui proclament son entrée dans le sein de Dieu pour l’éternité. Qui les entend ? 

 

Louis d’Henriques

 

Ma bibliothèque

ENFANTS :

Pour les tout-petits : Dominos – Les oiseaux de mon jardin (livre et jeu) – Père Castor – 2021

Dès 8 ans : Réimpression de deux livres de la collection Chemins de lumière aux Editions Clovis : Saint Thomas D’Aquin et Saint Dominique Savio – 2021

– Activités manuelles dès 10 ans : Nichoirs, mangeoires et Cie – Terran – 2021

– A partir du collège :  Le sable et la croix – V. Duchateau – Plein Vent – 2021

– Pour enfants et adolescents : Six Chemins de Croix pour enfants – Abbé Patrick Troadec (Les cinq premiers s’adressent à des enfants de huit à treize ans, le dernier à des jeunes de quatorze à dix-huit ans) Via Romana – 2022

 

ADULTES (à partir de 16 ans) :

– Education : L’âme de la femme – Gina Lombroso – Saint Rémi – 2022

– Spiritualité : Le Saint homme de Tours – H. Lannier – A commander sur BOD librairie – 2021

Histoire religieuse : Les martyrs de Chine parlent – R.P. Monsterleet – à commander au Moulin du Pin 53290 Beaumont Pied de Bœuf – 2021

Roman : L’étape – Paul Bourget – Clovis – 2021

– Histoire : Jean L’Herminier -I. de Saizieu – 2021  

 

Pour compléter cette liste, vous pouvez vous renseigner sur les Cercles de lecture René Bazin : cercleReneBazin@gmail.com  (à partir de 16 ans- Culture, Formation)

 

 

La Revue : « Plaisir de lire » propose un choix de nouveautés pour toute la famille (distraction, histoire, activités manuelles) Envoi d’un numéro gratuit à feuilleter sur écran, à demander à : PlaisirdeLire75@gmail.com 

 

Actualités culturelles

 Israël (Césarée)

           Des recherches archéologiques menées au large de Césarée ont permis de retrouver des vestiges provenant de cargaisons de navires échoués. Parmi eux, une bague octogonale ornée d’une pierre précieuse verte sur laquelle on distingue, gravée, l’image d’un jeune berger en tunique portant un mouton. Aucun doute : il s’agit bien d’une représentation du Bon Pasteur vieille de 1700 ans. Ce genre de représentation, que l’on retrouve de façon régulière dans les catacombes de la même époque, est très rare sur une bague. 

  • Italie

  Le ministre de la culture italien, Dario Franceschini, a annoncé sa volonté de restituer une centaine d’œuvres d’art aux églises et monuments italiens qui les accueillaient à l’origine. Cette opération concerne les œuvres de quatorze musées, actuellement cachées dans les réserves. Il ne s’agit néanmoins que d’une restitution temporaire de 10 ans renouvelables. Une occasion inespérée de contempler des œuvres cachées jusqu’à nos jours !

  • France (Bayonne)

  Face au projet d’extension du musée Bonnat-Helleu à Bayonne, l’INRAP (Institut National des Recherches Archéologiques Préventives) s’était mobilisé pour réaliser en amont des recherches archéologiques sur le terrain. C’est ainsi qu’il a pu mettre au jour les vestiges d’un couvent dominicain présent dans l’enceinte du petit Bayonne du XIIIe au XVIIIe siècle environ. Les archéologues ont également retrouvé des traces de constructions civiles recouvrant les mêmes époques.

  • France (Narbonne)

  Le 11 décembre dernier a eu lieu l’inauguration officielle de Narbo Via, nouveau musée dédié à l’histoire romaine de la Narbonne antique. L’objectif est de faire revivre la célèbre cité antique de Narbo Martius, première colonie romaine fondée en dehors de l’Italie en 118 avant J.-C. L’ensemble du patrimoine romain de Narbonne est désormais rassemblé dans ce musée qui retrace l’histoire de la ville depuis la fin de l’âge de Fer jusqu’au Haut Moyen-Age.

 

 

Faire grandir son enfant

           Nos enfants, je ne vous l’apprends pas, sont ce que nous avons de plus cher sur cette terre. Que ne sommes-nous pas prêts à mettre en œuvre pour leur bien-être, leur satisfaction, leur joie de vivre ! Oui, nous voulons les voir souriants, ne manquant de rien, ne souffrant d’aucun tourment… Et souvent cela nous conduit à les détourner du vrai but de notre mission parentale, le bonheur du ciel. 

  En venant sur la terre, Notre-Seigneur est venu dire aux hommes qui était son Père dans le ciel, et leur montrer ce qu’il fallait faire sur la terre pour aller à Lui : le connaître, l’aimer et le servir par la prière, le devoir d’état, l’amour du prochain, le sacrifice… C’est donc la voie à suivre dans notre éducation.

  Nous observons, autour de nous, même dans les milieux catholiques, beaucoup de parents qui essaient de préserver leurs enfants de toute épreuve physique ou morale, de toute privation, de toute contrainte… Combien voyons-nous aujourd’hui d’enfants et d’adolescents incapables d’affronter l’adversité, de prendre sur eux pour l’accepter ou la combattre ; qui subissent les événements parce qu’on ne leur a pas appris à se dépasser en faisant preuve de caractère et de volonté.

  C’est tout petit que nous donnerons l’esprit de sacrifice et le sens de l’effort à notre enfant, en ne cédant pas à ses caprices, en ne le protégeant pas de tout. S’il tombe sans se faire mal, laissons-le se relever. Comment se relèvera-t-il plus tard, lorsque les épreuves de la vie se chargeront de le faire tomber, si on ne le lui a pas appris ? Comment trouvera t-il le courage d’affronter l’adversité ou d’encaisser un coup dur si on ne l’a pas laissé faire les choses « tout seul » (fermer les boutons de son manteau, ranger sa chambre, rendre service…) dès qu’il en a été capable ? Tout jeune, donnons des exigences à notre enfant qui doit savoir obéir tout de suite et sans grogner, prêter ses affaires, terminer ce qu’il a commencé, non seulement parce que Papa ou Maman l’a demandé mais aussi pour les faire de bon cœur… Et si Maman est contente, Jésus est content aussi !

  L’enfant et l’adolescent ont eux-mêmes à se priver, à faire l’effort, à supporter leur part de la vie. Si les parents veulent que leurs enfants soient forts face à la tentation, et courageux dans les combats de chaque jour, ils doivent être familiarisés avec l’effort. Comment se fortifieront-ils si leur mère se précipite auprès du professeur pour réparer une injustice de quelques demi-points au dernier devoir, ou pour expliquer (avec renfort de larmes parfois !) que la punition est beaucoup trop lourde ?! En plus de discréditer auprès de l’enfant ledit professeur auquel on aura donné tort, et dont on aura ainsi sapé l’autorité, le parent aura fait preuve de faiblesse auprès de son enfant. Comment voulez-vous que votre enfant grandisse et devienne responsable de ses actes si vous abaissez les barrières qui sont là justement pour l’aider à se construire ? Quel adulte voulez-vous vraiment que votre enfant soit demain ? Oui, il aura des croix à porter toute sa vie, il n’y a pas de ciel sans croix. Dieu lui-même a voulu cela pour son propre fils qu’il n’a pas épargné, loin de là !

« Mais je ne supporte pas de le voir souffrir ! » Alors, madame, aidez-le à porter ses croix au lieu de les lui porter. Les parents ne sont pas là pour empêcher leurs enfants de souffrir, mais pour aider, encourager et souffrir avec eux s’il le faut. Ce n’est pas la Sainte Vierge qui a été crucifiée à la place de son fils, et pourtant elle était là, debout au pied de la croix, silencieuse mais présente… Et elle priait en souffrant avec lui.

  C’est lorsque votre enfant sera encore petit que vous l’encouragerez et le consolerez doucement en lui demandant d’offrir sa peine, son sacrifice, la petite dispute, en donnant son cœur à Jésus dans une petite prière ou un baiser. Vous l’aiderez à reconnaître ses torts, ou trouverez quelques excuses à l’adversaire tout en lui disant que vous pouvez comprendre cette colère qu’il ne doit pourtant pas garder au fond de lui. Vous tempérerez sa nature rebelle avec tact ou même en le taquinant !

  Plus vous aurez fortifié le caractère et la volonté, mieux vos enfants traverseront et surmonteront leurs épreuves. Donnez-leur aussi le sens de la générosité, du don d’eux-mêmes, apprenez-leur à se détourner de leur petite personne pour se rendre utiles et agréables aux autres. Laissez-les prendre des initiatives, des responsabilités, et tant pis si le premier gâteau a un peu trop roussi dans le four, ils tireront les conséquences de leurs actes et se corrigeront d’eux-mêmes pour les fois suivantes, c’est comme cela qu’on devient humble et responsable !

  Plus tard, les chagrins seront plus grands, les blessures plus profondes, ainsi que les rancœurs. Les échecs auront de plus graves conséquences et certaines peines ne guériront peut-être jamais…Vous resterez consolateurs, écouterez avec patience. S’il y avait un conflit avec un professeur, un chef scout, l’autre parent, un prêtre ou toute personne détenant une autorité sur l’enfant, vous devez toujours soutenir l’autorité et ne pas prendre parti systématiquement pour votre enfant. Donnez des circonstances atténuantes pour minimiser les griefs, et prenez du recul afin d’aider l’enfant à accepter ce qui le peine ou le contrarie. Vous le connaissez suffisamment pour savoir, qu’il peut exagérer et aggraver les choses, mais si vous le voyez vraiment dans la révolte, il est possible que quelque injustice soit arrivée. Dans ce cas, on trouvera discrètement la personne concernée pour savoir ce qui s’est passé et, au besoin, s’entendre pour rectifier une parole ou une action inadaptée. Mais cela doit rester tout à fait exceptionnel, et sans que l’enfant en ait connaissance.

 Ce n’est pas parce que la colère ou le chagrin est passé que tout va bien… Il reste souvent encore un petits poids sur le cœur de notre enfant, une amertume, un regret, et cela peut être long avant de disparaître, et c’est vrai que cela est douloureux à notre cœur de père et de mère. Nous poursuivrons alors notre travail en soutenant de nos prières, à deux et dans le secret. Parfois, nous avons tout dit pour mettre en garde notre enfant qui s’égare (mauvaises influences, mauvais choix de vie, mauvaises occupations ou habitudes…), et rien ne change. Il faut encore se surpasser dans le sacrifice, et le déposer entre les bras de la Providence avec une confiance dont seuls des parents aimants sont capables, nous en serons toujours récompensés. Oui vraiment, une bonne éducation est aussi la sainteté des parents !

       

Sophie de Lédinghen

 

 

Après Traditionis Custodes,comment garder la Tradition?

C’est le thème du XVIème congrès de la revue Si si no no, organisé avec DICI, qui s’est tenu le 15 janvier 2022 à Notre-Dame de Consolation à Paris devant une nombreuse assistance, très intéressée par ce sujet que l’actualité religieuse de ces derniers mois a mis au premier plan. Le motu proprio Traditionis Custodes du 16 juillet 2021 a, en effet, considérablement restreint la possibilité pour le clergé diocésain et les prêtres des communautés ralliées à Rome de donner les sacrements selon le rite traditionnel. Les responsa ad dubia – réponses aux objections – publiées le 18 décembre 2021 par la Congrégation du culte divin ont donné de ce texte une interprétation extrêmement stricte. De telles célébrations ne sont plus possibles pour les confirmations et les ordinations et sont réservées aux paroisses personnelles pour les baptêmes et les mariages. Quant aux messes, elles sont soumises à un strict régime d’autorisation. L’interdiction de créer de nouvelles paroisses ou même de nouveaux groupes va considérablement limiter l’apostolat des communautés Ecclesia Dei ainsi que la possibilité pour le jeune clergé diocésain de promouvoir, au sein de l’Eglise officielle, un mouvement conservateur encore timide mais réel.

  Les six conférences ont été données par les abbés Portail, Lorans et Gleize, M. Viain, et enfin, les abbés Espinasse et Pagliarani. Elles ont porté sur l’histoire des indults et motu proprio relatifs à la célébration de l’ancienne messe, les relations entre celle-ci et le Concile, le rôle des laïcs dans le combat pour la messe et sa place occupée dans l’Eglise en France, avant la conclusion du Supérieur général. Les actes du congrès devraient être publiés dans les prochains mois, mais il est déjà possible de donner un aperçu des principales thématiques abordées.     

  L’histoire des six indults et motu proprio qui se sont succédés depuis 1969 sur la possibilité de célébrer la messe selon le rite traditionnel est instructive car elle permet de dégager quelques constantes au-delà des modalités qui ont pu varier dans le temps. Au début des années 1970, Paul VI répond déjà par la négative au philosophe français Jean Guitton qui plaide auprès de lui pour une libéralisation de la messe de saint Pie V, au nom de l’unité ecclésiale et parce que ce serait une condamnation du concile Vatican II.  En 1984, l’indult qui donne aux évêques le droit d’autoriser la célébration de la messe selon le rite traditionnel, tout en enserrant celle-ci dans des conditions strictes, réserve cette possibilité à ceux des catholiques qui ne remettent pas en cause la validité et la légitimité de la nouvelle messe.  Cet indult a fait l’objet d’un élargissement aux communautés créées après les sacres de Mgr Lefebvre en 1988, sans que cette limitation ait disparu. Nous retrouvons tous ces éléments dans le motu proprio de juillet 2021 et même certains d’entre eux dans le motu proprio Summorum Pontificum édicté par Benoît XVI en juillet 2007. Un autre trait caractéristique de ces textes est l’éclairage donné sur leurs fins pastorales. Ils s’adressent à des fidèles présumés âgés qui ont du mal à accepter les changements apportés par les réformes liturgiques et auxquels un temps d’adaptation est nécessaire. Dans les indults de 1984 et de 1988, ainsi que dans le motu proprio de Benoît XVI, il existe une volonté de désenclaver les catholiques traditionnalistes en les intégrant dans un courant conservateur de l’Eglise conciliaire dans le but de les faire converger progressivement vers l’acceptation de la nouvelle messe et du concile. Le régime beaucoup plus strict applicable aux célébrations selon l’ancien rite a suscité, dans ces communautés, des réactions en général plus fortes chez les laïcs que chez les clercs, mais leur acceptation de ne pas contester la validité et la légitimité de la nouvelle messe bride leur capacité de résistance.

  En reprenant les textes sur la célébration de l’ancienne messe, nous nous heurtons, au moins depuis 1984, à une contradiction : alors que les autorités romaines proclament de façon constante que la nouvelle messe est, avec la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme, un des fruits du concile Vatican II, l’autorisation donnée de pouvoir célébrer selon l’ancien rite est subordonnée à la reconnaissance de la validité et de la légitimité de la nouvelle messe et à l’absence de contestation du concile. L’actuel préfet de la congrégation du culte divin, Mgr Roche, a clairement affirmé que l’ancienne messe « diverge de la réforme conciliaire ». 

  Le motu proprio de 2007 Summorum Pontificum de Benoît XVI s’est écarté, au moins en apparence, de cette approche. Au-delà de la concession capitale de l’absence d’abrogation de l’ancien rite de la messe qui contredit certaines déclarations du pape Paul VI, il repose sur un équilibre plus subtil que réaliste :  il n’y pas d’opposition entre les deux messes, la nouvelle et l’ancienne représentent respectivement la forme ordinaire et la forme extraordinaire de l’unique rite romain et les deux ont vocation à s’enrichir mutuellement l’une et l’autre.  

  Les différences entre Summorum Pontificum et Traditionis Custodes doivent cependant être relativisées. Dans les deux motu proprio, la messe de saint Pie V ne constitue pas la norme. Pour Traditionis Custodes, la nouvelle messe est la seule expression du rite romain. Pour Summorum Pontificum, elle a une prévalence de principe sur l’ancienne. La forme ordinaire a un caractère permanent et durable, la forme extraordinaire présente un caractère contingent et provisoire. En 2008, Benoît XVI, parlait au sujet du motu proprio Summorum Pontificum d’« un acte de tolérance ». Or l’objet de la tolérance est de permettre un moindre mal en vue d‘un plus grand bien. Pour paraphraser Louis Veuillot, c’est une illusion libérale de croire que l’erreur tolérera toujours la vérité.     

  Les raisons de s’opposer à la nouvelle messe ont été amplement exposées, en premier lieu dans le Bref examen critique signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci puis par d’éminents auteurs comme Louis Salleron et Jean Madiran. Il ne s’agit pas de préférences personnelles ou esthétiques qui devraient céder le pas devant le bien commun de l’Eglise mais de raisons d’ordre doctrinal. Le nouveau rite s’est éloigné de la théologie de la messe définie par le Concile de Trente tant en ce qui concerne le rôle du prêtre, la présence réelle et la fin propitiatoire du sacrifice.  Le frère Max Thurian de la communauté protestante de Taizé admet la possibilité pour des protestants de célébrer leur cène en utilisant le nouveau missel alors que cela eût été impossible avec l’ancien. Le frère Schulz, de la même communauté, reconnaît des similitudes ente les nouvelles prières eucharistiques et la messe luthérienne. 

  Au-delà de l’enjeu théologique, de loin le plus important, il faut se demander si la libéralisation de la messe de saint Pie V constituait une menace pour l’Eglise conciliaire. Le journal La Croix parlait en juillet 2021 de petite minorité en croissance pour caractériser les catholiques Ecclesia Dei. En France, 60 000 fidèles assistent chaque dimanche dans 250 lieux de culte – dont le nombre a doublé entre 2007 et 2021 – à la messe tridentine célébrée, dans la moitié des cas, par des prêtres diocésains et, pour l’autre moitié par des prêtres appartenant à des Instituts. Ces 60 000 fidèles représenteraient 4 % des pratiquants français. Ces chiffres ne prennent pas en compte les fidèles qui fréquentent les centres de messe de la Fraternité Saint Pie X.  Le ton très offensif de Traditionis Custodes tranche avec la déchristianisation rapide des pays d’ancienne chrétienté : pour rester en France, le nombre annuel de baptêmes a été divisé par deux entre 2000 et 2018 pour descendre à 215 000.     

  La conclusion revenait bien sûr au Supérieur général. Le motu proprio Traditionis Custodes concerne au premier chef les communautés Ecclesia Dei mais celles-ci sont très liées à l’histoire de la Fraternité Saint Pie X et, en particulier, aux sacres conférés par Mgr Lefebvre en 1988.  Summorum Pontificum a été conçu pour conforter l’aile conservatrice de l’Eglise sans remettre en question les causes de la situation que Benoît XVI voulait améliorer. Le choix de la Fraternité est de garder la liberté inconditionnelle de professer la vraie foi en laissant à la Providence le soin d’en gérer les conséquences plutôt que de soumettre une telle possibilité à la volonté d’une autorité qui marche dans le sens opposé. La Fraternité Saint Pie X ne demande pas un autel latéral, fût-il privilégié, dans une Eglise ouverte à tous les courants, elle demande la foi et la messe tridentine, inconditionnellement, pas seulement pour elle-même mais pour toute l’Eglise.  

Thierry de la Rollandière