Devoir de servir

Martial et Paul se retrouvent dans le bus après une journée de travail fatigante.

– Ce week-end, ce sera repos total, sans contrainte comme d’habitude ! J’espère que mon épouse aura fait travailler les enfants et que je pourrai regarder le match.

– Tu ne viens pas à la réunion mensuelle du cercle des familles ?

– J’ai déjà ma famille et mon travail, cela suffit.

– J’aimerais bien que tu m’aides pour le chapitre enfants du prochain pèlerinage, c’est à peine quelques heures de préparation, et trois jours ensemble, une fois par an.

– Tu n’y penses pas, je n’ai pas de temps. D’ailleurs c’est fatigant, d’autres seront meilleurs que moi pour cela…

La tentation de l’égoïsme nous guette et nous fait oublier que nous avons trois devoirs d’état principaux : devoir professionnel, devoir familial, devoir social.

Aucun ne peut être négligé sous prétexte qu’il faut réaliser les deux autres, bien que les proportions de temps et d’effort que nous allouons à l’un ou l’autre puissent varier en fonction des circonstances et des périodes de la vie.

« Il y a des familles en grand nombre où l’on est dévoués les uns à l’égard des autres, mais où l’on ne songe qu’au bien du petit groupe ainsi formé comme si les portes de la maison n’ouvraient pas sur des espaces plus larges, ainsi que ses fenêtres sur le ciel. On entend dire d’un homme « c’est un bon père de famille ». C’est bien, et il y a de la chance qu’il soit de ce fait même un bon citoyen, mais cela n’est pas certain. (…) Il y a un égoïsme à plusieurs, un égoïsme de groupe, et c’est un égoïsme quand même. On se croit généreux parce qu’on dépasse le bien de la personne ; mais en dressant l’intérêt de quelques-uns contre l’intérêt de tous, on peut nuire à la communauté plus que l’égoïsme individuel lui-même1. »

Parfois, nous nous plaignons, à juste titre, des maux de notre temps et attendons un temps meilleur. « Attendre ! Avez-vous remarqué qu’une foule de gens sont dans cette position et cet état d’esprit ? Et ils attendent quoi ? Que les évènements les délivrent ? Mais les évènements n’ont jamais délivré personne. Ce sont les gens de cœur qui délivrent les évènements et les inclinent dans le sens de leur volonté2. »

C’est aussi ce que rappelait Mgr Lefebvre en préfaçant le livre « Pour qu’Il règne3 » en 1959 : « Notre-Seigneur règnera dans la Cité, lorsque quelques milliers de disciples assidus de Notre-Seigneur et de l’Eglise seront convaincus par la grâce et par leur effort intellectuel de la Vérité qui leur est transmise, et que cette Vérité est une force divine capable de tout transformer. » Ne sommes-nous pas parmi ces quelques milliers ?

Ce devoir social est impératif d’une part parce que nous ne pouvons pas nous sauver seuls, d’autre part pour le salut des âmes, en particulier pour que nos enfants et petits-enfants bénéficient d’un monde meilleur que le nôtre. Plusieurs papes nous en rappellent le besoin, par exemple Pie XII : « De la forme donnée à la Société (je préciserais : et à toutes les associations humaines), conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation4.» Pie XII dit aussi : « En conséquence, coopérer au rétablissement de l’ordre social, n’est-ce pas là, un DEVOIR SACRE pour TOUT chrétien ? » Alors que faire ?

Il nous indique les domaines où nous pouvons exercer notre action :                          « Le mot d’ordre doit être : pour la foi, pour le Christ, dans toute la mesure du possible, présence partout où sont en cause les intérêts vitaux, où sont en délibération les lois qui regardent le culte de Dieu, le mariage, la famille, l’école, l’ordre social, partout où se forge l’éducation, l’âme d’un peuple5. »

Alors à chacun de contribuer dans le domaine qu’il choisit, selon ses compétences et les circonstances.

Il est souvent bon de commencer dans le domaine du soutien aux familles par la formation et l’action6, par l’aide aux écoles catholiques libres, aux pèlerinages et processions pour aider nos prêtres.

De nombreuses opportunités supplémentaires s’ouvrent de plus en plus dans nos villes et villages, et dans les œuvres sociales des entreprises, car « la Révolution tend à réduire à néant, à atomiser les communautés naturelles. Elle dissocie, elle désagrège, elle fait éclater les liens familiaux, culturels, nationaux. Elle dépersonnalise pour n’avoir plus affaire qu’à des individus (…) divisés, séparés, opposés7. » Mais les hommes de bonne volonté ont soif d’autre chose : le catholique social aura donc à cœur de « renouer les liens sociaux, au lieu de les briser et exercer une action coordinatrice en sens inverse de l’action révolutionnaire8 » : formation des esprits, reconstitution des liens sociaux, adaptation des institutions (et associations) à l’ordre social chrétien. Ainsi la contribution à une bibliothèque d’entreprise ou de village, ou à l’organisation d’expositions ou de fêtes historiques locales contribuera à former et enraciner les esprits, à leur faire redécouvrir les racines chrétiennes de la France. L’implication dans une conférence Saint Vincent de Paul ou de visite des malades ou dans les commissions départementales de santé, permettra de réconforter les malades ou de les protéger des dérives sociétales actuelles. La participation aux associations de village ou de quartier (sport, histoire, jeunesse, patrimoine…) permettra d’exercer une bonne influence sur les adhérents, en les aidant à développer le sens de l’effort, de l’entraide, du Beau, du Vrai et du Bien.  Des élus locaux se plaignent souvent du manque de bénévoles et souhaitent recréer du lien social, face aux ravages de l’individualisme et du consumérisme : des places sont à prendre.

Que les paroles de Pie XII aux jeunes français résonnent dans nos cœurs : « Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation. Jamais l’heure n’a été plus grave pour vous en imposer les devoirs. Jamais l’heure n’a été plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l’heure, ne laissez pas s’étioler les dons que Dieu a adaptés à la mission qu’il vous confie ; ne les gaspillez pas, ne les profanez pas au service d’un autre idéal trompeur, inconsistant ou moins noble et moins digne de vous9 ! »

 

Hervé Lepère

1 La vie française, Père Sertillanges, O.P.

2 Idem.

3 Jean Ousset, fondateur de la Cité Catholique. Livre vivement recommandé.

4 50e anniversaire de Rerum Novarum, 1/6/1941.

5 Discours à l’Union Internationale des Ligues Féminines Catholiques, Pie XII, 1947.

6 Par exemple, le Mouvement Catholique des Familles-MCF avec 80 cercles de familles en France.

7 Doctrine d’Action Contre-Révolutionnaire ; P. Chateau-Jobert.

8 Joseph de Maistre

9 06/01/1945

 

 

 

Sortir de la caverne ou y rentrer

 

« Si quelqu’un tente de délier et de conduire en haut ceux qui sont prisonniers dans la caverne, et que ceux-ci le puissent tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueront-ils pas ? – Sans aucun doute, répondit Glaucon1. »

Sortir de la caverne ou y rentrer, ne serait-ce pas la question ?

Qu’il est viril et plein d’audace, cet être humain mis en scène par Platon, osant, au début du septième livre de La République, se retourner et quitter le triste spectacle des ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui lui faisait face, pour affronter la pleine lumière, malgré la souffrance de l’éblouissement et sortir de la caverne ?

La magnifique allégorie du philosophe grec ne signifie-t-elle pas cette belle aventure de la pensée humaine en quête de la vérité ? « Il s’agira d’opérer la conversion de l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour véritable, c’est-à-dire de l’élever jusqu’à l’être : et c’est ce que nous appellerons la vraie philosophie2.» Sans doute, Platon se trompe partiellement dans sa trop grande opposition entre le monde sensible et le monde intelligible. Mais on le lui pardonne aisément lorsqu’on pense au décisif élan qu’il a donné à l’esprit de l’homme pour conquérir la sagesse !

Et vraiment, comment ne pas aimer ce téméraire de la caverne qui passe au-dessus de la crainte que ses yeux soient blessés par la lumière parce qu’il cède à l’irrésistible besoin de son esprit de connaître et de pénétrer jusqu’à l’essence des choses.

Sortir de la caverne, c’est l’attitude saine et optimiste de l’homme à qui Dieu a donné une intelligence pour connaître la vérité, pour gouverner sagement les sociétés et pour les contempler !

 Mais que se passe-t-il donc, quand l’homme est fatigué de vivre et fatigué de tout ? Quand son esprit devenu sceptique ne se préoccupe plus de la vérité ? Quand il n’a plus que faire des lois divines pour le gouvernement de lui-même et des sociétés ? Quand il a commis le crime de ne même plus se reconnaître comme dépendant d’un Dieu ?

L’homme fatigué d’être homme se replie sur lui-même, cherche à se protéger du réel et de la vérité comme ses ennemis ! Il cherche alors à se créer un monde qui ne risque plus de le réveiller et de le brusquer. Il rentre dans la caverne. Il se déclare satisfait de ressortir du réel, après vingt-quatre siècles, pour se retourner vers le triste mur qui en forme le fond et qu’il a nommé « écran ». Il y regarde de nouveau ses images et s’enferme dans son monde virtuel.

Ne t’es-tu pas trompé, Platon ? Tu écrivais de l’homme sorti de la caverne que « se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l’on y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité (…) qu’il se réjouira du changement et plaindra ces derniers3.» Eh bien, sache, ô Platon, qu’un âge est arrivé où les hommes sont retournés en masse dans la caverne, s’y sont volontairement enchaînés et vivent là, les yeux rivés sur la paroi et sur les images incessantes qui défilent devant eux.

Ô Platon, comme tu dois pleurer la régression fatale de l’homme que tu avais sorti de la caverne et qui y est rentré ! Que nous en dis-tu, Platon, n’est-ce pas la fin de l’homme ? Je crois t’entendre t’exclamer, ô Platon, que l’homme qui est retourné dans la caverne n’est plus digne de vivre. Mais l’avais-tu deviné, Platon, je te conjure de me le dire, qu’un jour l’homme retournerait dans la caverne dont tu l’avais sorti ?

R.P. Joseph

 

1 Platon, La République, VII, 517.

2 Platon, ibid., VII, 477.

3 Platon, ibid., VII, 516.

 

Editorial

Chers amis,

En ce tout début d’année 2025, ce thème vient nous rappeler quelques notions essentielles pour nous aider à prendre d’utiles et saintes résolutions. « Où Dieu nous a plantés, il faut savoir fleurir », disait si joliment saint François de Sales.

En des temps plus rapprochés, Sœur Lucie précisait : « La pénitence du devoir d’état accompli parfaitement, voilà ce que Notre-Dame réclame. Il y a des âmes qui pensent à de grandes mortifications extraordinaires, à des macérations, dont elles ne se sentent pas capables, si bien qu’elles perdent courage. Lorsque Notre-Dame exige la pénitence, elle parle de l’exact accomplissement du devoir d’état : c’est cela la sainteté1. »

 Différents articles éclairent ce thème ; ils sont accompagnés de conseils avisés qui le complèteront utilement : prendre conscience de l’attraction exercée par le monde virtuel, répondre avec générosité aux souhaits divins, découvrir l’éducation bienveillante ou apprendre à discerner.

Nous avons pensé qu’il était important d’insister sur ce thème car pour bien accomplir son devoir d’état, nous sommes tenus de le redéfinir régulièrement et de le mettre toujours en adéquation avec les circonstances du moment présent. Nous voulons aussi attirer l’attention et la reconnaissance sur tous ceux qui nous montrent l’exemple quotidiennement : ces papas qui travaillent avec courage pour nourrir leur famille, parfois dans des conditions très difficiles, ces malades qui souffrent et offrent pour le salut de tous, ces jeunes qui se donnent généreusement au service de leur prochain… Et je voudrais à cette occasion rendre un hommage particulier à toutes ces mamans qui, dans l’humilité et la discrétion, l’accomplissent quotidiennement sans que ceux qui vivent à côté d’elles  s’en aperçoivent… Ce n’est parfois que quand elles sont absentes ou malades que l’on découvre combien, par leur présence, leurs interventions discrètes et emplies d’amour au service de tous, elles ensoleillaient notre vie. A leur intention, nous insérerons dorénavant dans « Mes plus belles pages » une citation particulière pour les soutenir dans leur mission.

A l’aube de cette nouvelle année, confions particulièrement nos familles à Notre-Dame des Foyers Ardents ; prions ardemment afin qu’elle nous aide à accomplir « le goût du Seigneur2 » dans la fidélité de tous les instants !

Le Révérend Père Joseph et toute l’équipe se joignent à moi pour vous souhaiter une sainte année 2025, sous le maternel regard de Notre-Dame.

Marie du Tertre

 

1Sœur Lucie à Monseigneur Palha

2 Saint François de Sales

 

Où s’en vont ces gais bergers ?

(Noël traditionnel du XVIe siècle)

  1. Où s’en vont ces gais bergers
    Ensemble coste à coste (bis)
    Nous allons voir Jésus-Christ
    Né dedans une grotte ;
    Où est-il le petit nouveau-né,
    Le verrons-nous encore ?

 

  1. Tant ont fait les bons bergers
    Qu’ils ont vu cette grotte (bis)
    En l’estable où n’y avait
    Ni fenestre ni porte
    Où est-il le petit nouveau-né,
    Le verrons-nous encore ?

 

  1. Là ils ont vu le Sauveur

Dessus la chevenotte (bis)

Marie est auprès pleurant

Joseph la réconforte

Où est-il le petit nouveau-né,
Le verrons-nous encore ?

  1. Les pasteurs s’agenouillant

Tous chacun d’eux l’adorent (bis)

Puis s’en vont riant, dansant

La courante et la velte

Où est-il le petit nouveau-né,
Le verrons-nous encore ?