Laisse-moi te conter celle qui à l’heure des messages électroniques a tendance à disparaître malgré sa richesse irremplaçable: la lettre…
Je ne te parlerai pas de la lettre administrative qui apporte bonnes ou mauvaises nouvelles ni de celle qui se veut publicitaire, faussement flatteuse. Non, je te parlerai de la lettre familiale, amicale, et de l’âme sœur dans les fiançailles ou le mariage.
Prolongation de la pensée et de la main dont on reconnaît l’écriture unique, fruit de tout l’être, elle demande du temps et du cœur pour exprimer au mieux tout ce que l’on veut transmettre. Parfois il faut prier avant de l’écrire lorsqu’elle exige charité et délicatesse, la commencer, la reprendre, s’appliquer comme un bon écolier sur un papier choisi ou une carte exprimant la beauté d’un lieu ou d’une idée. L’enveloppe et le timbre participent à sa présentation, comme l’emballage d’un cadeau, et le facteur en est la courroie de transmission. Tout est donc humain dans son existence.
La recevoir d’un parent ou d’un ami est une joie car elle a pris du temps pour être rédigée avec soin. Elle est une visiteuse discrète qui arrive sans bruit et peut attendre un moment, parcourue dans le calme, lue et relue, gardée, serrée contre soi, retrouvée des années après, nous replongeant dans un parfum d’enfance, nous permettant de retrouver les conseils donnés avec acuité, et toute la tendresse exprimée.
Les premières lettres des tout-petits avec cette calligraphie hésitante et appliquée, ravissent des années après le cœur des mamans, tout comme celles des pensionnaires racontant leurs journées et demandant si tout va bien à la maison.
Certaines correspondances familiales ou de grandes âmes nous enseignent encore à travers les siècles, comme une méditation offerte à notre âme.
Qui dira l’aide apportée aux heures sombres ? Si sur l’instant elle n’est pas bien comprise, bien souvent c’est plus tard, la reprenant, que la lumière se fait.
Témoin bien humble du quotidien où nos aïeux racontaient les nouvelles, petites ou grandes, dans un style simple ou pittoresque, propre à chacun et souvent émouvant, qui fait la joie de ceux qui les retrouvent au hasard du rangement d’une maison.
Lettre des missionnaires à leur famille, des voyageurs à ceux restés au pays, des soldats à ceux et celles qui priaient pour eux et les imaginaient, les aidant ainsi à vivre et à se battre, donnant le courage.
Que restera-t-il de nos échanges rapides, trop rapides, souvent sans réflexion, mal orthographiés et un peu froids de nos courriels ou textos quand les supports qui les émettent ou reçoivent auront disparus, ou qui se seront effacés malencontreusement ? Rien de bien solide ni de pérenne, notre époque ne laissera pas grand-chose comme trace de nos âmes…
Tout aura été trop vite sans réflexion, sans recul, sans implication de nous-même, par l’encre du papier qui est un peu comme le sang versé d’une pensée qui se prolonge.
Puisses-tu savoir écrire et savoir recevoir une lettre, savoir répondre à celui ou celle qui a pris le temps de te rejoindre ainsi. Même maladroite, elle a demandé un effort qui la rend respectable, et peut être annotée et discutée pour retrouver l’unité si besoin.
C’est avec la parole, le moyen le plus simple et le plus beau que Notre Père nous a donné pour communiquer avec charité.
Jeanne de Thuringe