Pour que vous me parliez, je me suis mis en prière,
Mais je n’entendais rien que le vent qui faisait battre mon volet,
Que la pluie et cette sourde plainte de mon cœur.
Ne tardez plus, car, dans mon âge mûr,
Je sens que j’ai besoin de votre conseil.
Ah ! Pourquoi vous cachez-vous ainsi ?
Pourquoi mettre entre vous et moi des siècles d’ombre et de silence ?
Je suis prêt à sentir votre main dans la mienne,
Mais j’étreins le vide tout à coup,
Je n’aurais jamais cru qu’il fût aussi difficile de la saisir.
Vous êtes fixe dans ma pensée.
Il faut que j’aille à la conquête de votre pauvreté
Comme à la conquête d’un lys dans les difficultés d’une croisade.
Ayez pitié de moi, Patriarche !
Si loin, et si proche : car vous veillez singulièrement sur ma vie !
Vous ne m’avez rien refusé que de vous laisser entendre et voir.
Mon cœur s’emplit de piété quand je pense
Qu’à toutes mes heures d’amertume vous êtes là !
J’aime, de vous, jusqu’aux images les plus banales,
Jusqu’aux statues bariolées qui se dressent sur l’autel villageois,
Qui vous représentent avec une équerre, un bâton ou une règle à la main.
Vous, le bafoué,
Dont le nom seul est une gêne sur les lèvres du chrétien tiède,
Et un blasphème sur celles de l’impie,
Recevez ici mon hommage. (…)
Souvenez-vous de votre sortie d’Egypte,
Quand la persécution eut pris fin, quel arc-en-ciel se leva sur les vergers sonores !
Mais ces merveilles ne furent rien,
en comparaison de celles que vous avez contemplées au moment où, comme un lys,
La main de votre divin Fils s’est posée sur votre paupière pour la clore.
L’ombre peut régner dans ma chambre.
Il y a de la lumière au-dehors.
Vous m’êtes témoin, ô Saint Joseph !
Que les seules vraies joies que j’ai goûtées,
C’est dans l’ombre quand je me sens avec vous.
Lorsque l’on est privé d’honneurs, combien il est doux d’aimer son métier, de se dire que L’on travaille sur votre établi et que notre famille contemple notre œuvre du moins avec l’œil bienveillant de la foi !
Qu’Ils en ont vu, Jésus et Marie, d’hommes qui vous tenaient pour peu de chose,
Qui dressaient en face de votre boutique aux meubles simples et honnêtes leur art décoratif !
Ce n’est pas chez vous qu’un Pilate eût commandé son lavabo, Hérode son lit, César sa chaise.
Ils s’adressaient aux fournisseurs officiels qui en recevaient de la gloire.
Mais vous, Patron bien-aimé, vous avez déposé dans le cœur des ouvriers de bonne volonté,
A qui ne vont point les faveurs des puissants de ce monde, cette graine cachée qui s’appelle l’amour et qui ne se vend ni ne s’achète.
Cette graine, vous la faites tant fructifier en moi,
Et embaumer, que ma bouche ne sait vous dire mon allégresse.
Donnez-moi l’ombre, sinon mon amour est mort.
Prière de Francis Jammes (1868-1938) Extraits