La prière

Chère Bertille,

           La vie sur terre n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut se battre pour réussir dans ses études, pour trouver un travail où l’on pourra mettre à profit les talents que le Bon Dieu nous a donnés. Il faut combattre pour ne pas se laisser emporter par les mauvaises amitiés, pour lutter contre les tentations que le démon essaye de mettre sur notre chemin pour nous faire flancher. Le monde sait bien nous rendre addicte de sa mode, de sa musique, de ses films et bien d’autres choses encore. Je voudrais utiliser la suite du texte publié précédemment par le Père Garrigou Lagrange pour te montrer que le soutien, la force tu les trouveras seulement dans la prière. Bonne lecture ! Je te porte bien affectueusement dans mes prières.

Anne

 

« Voyons ce que la prière peut nous obtenir.

  La fin de la vie des âmes c’est le ciel ; à cette fin suprême Dieu subordonne tous les biens qu’il lui plaît de nous départir, car il ne nous donne ceux du corps et ceux de l’âme, que pour la conquête de l’éternité bienheureuse.

  La prière ne peut donc nous obtenir que les biens qui sont dans la ligne de notre fin dernière, dans la ligne de la vie éternelle. En dehors de là elle ne peut rien, elle est trop haute pour nous obtenir tel succès temporel sans rapport avec notre salut. Il ne faut pas attendre d’elle ce résultat, pas plus qu’on ne demande à un ingénieur l’office d’une manœuvre.

  Les biens qui nous acheminent vers le ciel sont de deux sortes : les spirituels, qui nous y conduisent directement, et les temporels, qui peuvent être indirectement utiles au salut, dans la mesure où ils se subordonnent aux premiers.

  Les biens spirituels, ce sont la grâce, les vertus, les mérites. La prière est toute-puissante pour obtenir au pécheur la grâce de la conversion, et au juste la grâce actuelle nécessaire à l’accomplissement des devoirs du chrétien. La prière est souverainement efficace pour nous obtenir une foi plus vive, une espérance plus confiante, une charité plus ardente, une plus grande fidélité à notre vocation. La première des choses que nous devons demander selon le Pater, c’est que le nom de Dieu soit sanctifié, glorifié par une foi rayonnante, que son règne arrive, (c’est l’objet de notre espérance), que sa volonté soit faite, accomplie avec amour, avec une charité plus fervente. La prière est toute-puissante pour nous obtenir le pain de chaque jour, non seulement celui du corps, mais celui de l’âme, le pain supersubstantiel de l’Eucharistie, et les dispositions nécessaires pour une bonne communion. Elle est efficace pour nous obtenir le pardon de nos fautes avec la disposition intérieure de pardonner au prochain, pour nous faire triompher de la tentation : « Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation », disait Notre-Seigneur ; pour nous délivrer du mal et de l’esprit du mal, « cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne ». (Matth, XVII, 20.)

  Seulement, cela va sans dire, la prière doit être sincère : demander de vaincre une passion sans éviter les occasions, demander la grâce d’une bonne mort sans s’efforcer d’avoir une vie meilleure, ce n’est pas une vraie prière, un vrai désir, c’est à peine une velléité. La prière doit aussi être humble, c’est un pauvre qui demande. Elle doit être confiante en la miséricorde de Dieu, elle ne doit pas douter de son infinie bonté. Elle doit être persévérante pour montrer qu’elle vient d’un désir profond du cœur. Parfois le Seigneur ne semble pas nous exaucer tout de suite, pour éprouver notre confiance et la force de nos bons désirs, comme Jésus éprouva la confiance de la Chananéenne par une parole sévère qui semblait un refus : « C’est aux brebis perdues d’Israël que je suis envoyé…, il ne convient pas de donner aux chiens le pain des enfants. » Sous l’inspiration divine, la Chananéenne répondit : « Pourtant, Seigneur, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». – « O femme, dit Jésus, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ce que tu demandes » ; et sa fille, qui était tourmentée par le démon, fut désormais délivrée (Matth., XV, 22).

  Mais si vraiment nous avons prié avec persévérance et si, malgré nos supplications, Dieu nous laisse aux prises avec la tentation, rappelons-nous l’apôtre saint Paul, qui lui aussi supplia à plusieurs reprises pour être délivré de l’aiguillon qui le tourmentait dans sa chair et qui reçut cette réponse : « Ma grâce te suffit pour vaincre », sufficit tibi gratia mea. Croyons avec l’Apôtre que cette lutte nous est profitable, et ne cessons pas de demander la grâce, qui seule peut nous empêcher de faiblir. Apprenons par là notre indigence, apprenons que nous sommes des pauvres, et que l’acte du pauvre consiste à demander. Le chrétien toute sa vie doit mendier les énergies surnaturelles qu’il lui faut pour faire son salut. L’âme humaine ne peut atteindre le ciel que si elle est lancée par Dieu ; mais une fois lancée, il faut qu’elle vole ; la prière est comme le coup d’aile du petit oiseau lancé hors du nid et qui réclame un nouveau secours.

  Quant aux biens temporels, la prière peut nous obtenir tous ceux qui doivent, d’une façon ou d’une autre, nous aider dans notre voyage vers l’éternité : le pain du corps, la santé, la force, la prospérité de nos affaires, la prière peut tout nous obtenir, à condition que nous demandions avant tout et par-dessus tout à Dieu de l’aimer davantage : « Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Faut-il dire que la prière est inefficace parce que nous n’avons pas demandé ce bien temporel pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il était utile à notre salut. Si nous ne l’avons pas obtenu, c’est que nous devons nous sauver sans lui. Notre prière n’est pas perdue, nous n’avons pas obtenu ce bien temporel qui nous était utile, mais nous avons obtenu ou nous obtiendrons une autre grâce plus précieuse.

  La prière humble, confiante, persévérante, par laquelle nous demandons pour nous les biens nécessaires au salut est infailliblement efficace, en vertu de la promesse du Seigneur. Dieu, en effet nous commande de travailler à notre salut. Il ajoute : « Sans moi (sans ma grâce) vous ne pouvez rien faire », « demandez, et vous recevrez » ; demandez-la-moi, cette grâce, je vous la donnerai, je vous le promets. Bien plus, c’est Lui qui fait jaillir la prière de nos cœurs, qui nous porte à demander ce que de toute éternité il veut nous accorder. Si telle prière n’était pas infailliblement efficace, le salut serait impossible, Dieu nous commanderait l’irréalisable ; la contradiction serait en Lui, suprême Vérité et suprême Bonté. Les simples comprennent tout de suite la parole de Jésus : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ; qui de vous donnera une pierre à son enfant, si celui-ci lui demande du pain, et s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc, méchants comme vous êtes, vous donnez de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! ». Telle est la prière simple et profonde du paysan rentrant du travail, posant sa bêche devant la porte de l’église et entrant pour dire un Notre Père. Quel crime celui qui consiste à arracher cette foi sublime au pauvre, qui par elle se rattache à l’Eternité ! Savoir prier, pour l’âme, c’est savoir respirer.

  La prière est donc une force plus puissante que toutes les forces physiques prises ensemble, plus puissante que l’argent, plus puissante que la science. Ce que tous les corps et tous les esprits créés par leurs propres forces naturelles ne peuvent pas, la prière le peut. « Tous les corps, dit Pascal, le firmament et ses étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits… De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée, cela est impossible et d’un autre ordre… tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité, cela est d’un ordre infiniment plus élevé… ». La prière, elle, peut obtenir la grâce, qui nous fera produire cet acte de charité.

  La vraie prière joue ainsi dans le monde un rôle infiniment plus grand que la plus étonnante des découvertes. Qui oserait comparer l’influence exercée par un savant incontesté comme Pasteur, à celle qu’exerça par sa prière un saint Paul, un saint Jean, un saint Benoît, un saint Dominique ou un saint François ?

  Chaque âme immortelle vaut plus que tout le monde physique, elle est comme un univers, unum versus alia, puisque par ses deux facultés supérieures, intelligence et volonté, elle s’ouvre sur toutes choses et sur l’Infini. A ces univers en marche vers Dieu, qui sont les âmes, la prière assure deux choses : la lumière surnaturelle qui les dirige, et l’énergie divine qui les pousse. Sans la prière, l’obscurité se fait dans les âmes, qui se refroidissent et meurent, comme des astres éteints. Ayons confiance en cette force d’origine divine ; rappelons-nous d’où elle vient, rappelons-nous où elle va ; c’est de l’Eternité qu’elle descend, d’un décret de l’infini bonté, c’est à l’Eternité qu’elle remonte. »

Rome, Angelico

Fr. Reg. Garrigou-Lagrange, O.P

 

Trouver la joie

Occuper son esprit de ce qui porte la joie dans le cœur, ce n’est pas sans doute ce qui flatte la sensualité, la vanité ou l’ambition ; les réflexions sur ces objets ne pourraient qu’exciter des désirs et des désirs toujours inquiétants, tout au plus fournir des ressources à l’intrigue, et l’intrigue ne produit rien moins que la joie ; mais plutôt les craintes, les défiances et les troubles. Tout ce qui flatte les passions vous dégrade ; votre âme, naturellement droite et née avec les sentiments de sa dignité, ne peut jamais trouver sa véritable joie dans ce qui fait sa honte. (…)

Non, une âme tiède et lâche ne possèdera jamais cette joie qui est une manne cachée, réservée à ceux qui ont dompté les passions et surmonté la mollesse. (…)

Comment sans cet amour de Dieu, pourrait-on goûter quelque joie ? Joie superficielle, joie momentanée, joie perfide, qui, en nous mettant dans une espèce d’ivresse, nous fait courir en riant vers l’abîme où nous allons nous précipiter. Le cœur de ceux qui cherchent véritablement le Seigneur, sera toujours dans la joie ; et un cœur parfait possèdera toujours devant lui la joie parfaite.

 

Père de Lombez – Traité de la joie

 

Actualités culturelles

Chers lecteurs,

Face à l’impossibilité de visiter les expositions généralement proposées dans cette rubrique, nous vous proposons un autre regard sur les actualités culturelles. Nous nous pencherons aujourd’hui sur les actualités dans le monde de l’art et de l’archéologie, sujets non moins passionnants !

 ¨ France (Nîmes)

C’est à quelques mètres de la célèbre Maison Carrée de Nîmes que viennent d’être exhumés les vestiges de deux « domus » datant du Ier siècle. L’emplacement devant subir des travaux en vue de la construction d’immeubles, l’INRAP a décidé de mener au préalable une campagne de fouilles, et bien lui en a pris ! Les vestiges témoignent d’un grand luxe architectural si l’on considère la présence de bassins intérieurs, chauffage au sol et carrelage en damier de marbre .

 ¨ France (Paris)

Le 25 mars dernier a été vendu chez Sotheby’s l’un des rares tableaux de la période parisienne de Van Gogh : Scène de rue à Montmartre, peint en 1887. Acquise par une famille de collectionneurs en 1920, cette œuvre n’avait jamais été présentée au public jusqu’à la vente de 2021. Après une lutte acharnée de 10 minutes entre plusieurs concurrents étrangers, la partie semblait gagnée par un londonien face à un collectionneur de Hongkong pour 13 millions d’euros (les enchères avaient démarré à 4 millions). Mais une soudaine enchère Internet fit alors monter le prix à 14 millions d’euros (16 millions avec les frais). Néanmoins, l’affaire ne s’arrête pas là puisqu’un nouveau rebondissement surgit : 20 minutes après l’adjudication, il s’avéra effectivement que l’acheteur en ligne était défaillant…il fallut donc remettre le tableau aux enchères ! Après un nouveau combat entre les mêmes acteurs, le londonien Samuel Valette remporta les enchères pour 11 250 000€ (un peu plus de 13 millions avec les frais).

¨ France (Villers-Cotterêts)

Le président de la république ayant décidé de transformer le château de Villers-Cotterêts en Cité internationale de la langue française pour 2022, des fouilles ont été menées avant de procéder aux aménagements. C’est ainsi que les archéologues ont découvert les vestiges d’un château médiéval bien antérieur au palais actuel. Très peu d’informations existent dans les archives à propos de cette forteresse médiévale rasée par François Ier vers 1528 : les fouilles menées actuellement présentent donc une occasion unique d’en reconstituer le plan. (ci-dessus : photo de la base d’une tour carrée du château médiéval)

¨ Israël

D’importantes découvertes archéologiques ont été dévoilées le 16 mars dernier par les autorités israéliennes. En effet, des fouilles archéologiques effectuées en plein désert de Judée ont révélé la présence d’un véritable trésor dans la « grotte des Horreurs » située à 80 mètres sous le sommet d’une falaise. Outre les restes d’un enfant ainsi que des pièces de monnaie du Ier siècle, les archéologues ont découvert le plus ancien panier du monde (vieux de 10 500 ans), et, surtout, des fragments de parchemins bibliques de plus de 2 000 ans. Aucun parchemin biblique n’avait été découvert depuis la mise à jour des Manuscrits de la Mer Morte. Les actuels manuscrits, rédigés en grec, présentent des passages des livres de Zacharie et de Nahum.

 

Savoir-vivre à table

Voici le début d’une longue liste sur les règles de politesse à respecter à table, pour le bien-être de tous les convives. Elle se poursuivra dans les prochains numéros : 

  • Tenez-vous bien droit, sans toucher le dossier de votre chaise.
  • Posez vos poignets sur la table de part et d’autre de votre assiette, les poignets et non les coudes.
  • Ne tournez jamais le dos à vos voisins de table.
  • Si vous avez besoin de sel, ou de poivre, demandez à ce qu’on vous le passe. N’étendez pas votre bras devant les autres convives.
  • Mâchez discrètement et la bouche fermée, évidemment.
  • Ne salez pas un plat avant de l’avoir goûté.
  • Gardez vos coudes serrés le long du corps, de façon à ne pas gêner vos voisins de table, même quand vous coupez votre viande.
  • Ne portez jamais un couteau à votre bouche.
  • Ne vous penchez pas sur votre assiette ou votre fourchette : c’est la nourriture qui doit venir à votre bouche.
  • Ne parlez pas la bouche pleine.

 

Bon appétit, et au prochain numéro !

 

La liberté et la mort

           Madame Dupont est à son neuvième mois de grossesse. L’enfant doit bientôt naître, mais Monsieur et Madame sont tombés d’accord pour avorter : le contexte actuel n’est plus le même qu’il y a quelques mois, et ils sentent tous deux qu’un bébé sera plus un fardeau que le plaisir qu’ils recherchaient. Cela tombe bien : la loi va bientôt autoriser l’avortement jusqu’à la veille de l’accouchement pour raison de « détresse psychosociale ». Monsieur et Madame Dupont se rendront donc à l’hôpital pour procéder à l’opération, puis retourneront à leur petite vie tranquille, l’esprit en paix : personne ne les aura forcés à avorter, ils décideront d’eux-mêmes, sans pression extérieure, et la Loi les y autorisera1. Ils agiront donc en totale liberté, n’est-ce pas ? Et comme la liberté est le bien le plus précieux de l’Homme, ce que Monsieur et Madame Dupont auront décidé et fait sera alors bon, ou au moins neutre.

  Ce raisonnement peut paraître simpliste, mais il n’en reste pas moins qu’il est vu comme la doxa du monde moderne, emprisonné qu’il est dans le matérialisme et l’utilitarisme. Privé de transcendance et de spirituel, il est condamné à contempler le vide qui l’habite. Mais au moins, ce monde est libre ! Afin de démystifier cette illusion libérale de la liberté absolue, tâchons ici de redéfinir cette merveilleuse faculté humaine voulue par Dieu, par opposition au délire moderne. Cela nous permettra ensuite de mettre à jour la tyrannie libérale, puis de redonner à la liberté ses lettres de noblesse, dans la splendide simplicité de son exercice quotidien.

Liberté et libertés

  Le mot même de « Liberté » est un mot polysémique, avec plusieurs sens. Nous nous en rendons bien compte lorsque nous l’attribuons à un animal ou à un homme : tous deux sont libres, mais d’une manière différente. Distinguons donc ces différents niveaux de la liberté, puis attardons-nous sur le sens qui lui est donné par le monde moderne.

  La liberté s’entend tout d’abord au sens de liberté d’action. Elle est le pouvoir d’agir sans être contraint par une force extérieure, et est à ce titre le sens le plus couramment employé. Il est commun aux humains, aux animaux et même aux végétaux. Son existence est une évidence pour tous, mais elle ne peut être considérée comme un absolu : il faudrait dans ce cas libérer les fauves, les fous et les prisonniers. Même si la tendance actuelle vise à cela, le bon sens admet tout à fait que l’on peut brider cette liberté pour le plus grand bien.

  La liberté s’entend ensuite en tant que libre-arbitre, ou liberté psychologique. Elle est le pouvoir de choisir entre deux alternatives, toujours sans contrainte extérieure mais également intérieure : l’expression « c’était plus fort que moi » démontre justement que l’on a sacrifié son libre-arbitre à ses pulsions, que l’on a abandonné sa liberté. Le libre-arbitre implique une œuvre de raison, pour effectuer le choix : nos longues délibérations avant d’agir en sont la preuve. Seul l’Homme peut donc en jouir, les animaux suivant leur instinct et les plantes leur déterminisme biologique. Son existence est aujourd’hui moins évidente de nombreux courants de pensée niant cette liberté intérieure.

  La liberté s’entend enfin en tant que liberté morale, qui n’est autre que le juge de la bonté ou de la malice d’un acte, tant intérieur qu’extérieur. C’est là son sens le plus haut. Tout homme sait qu’il faut faire le bien et éviter le mal : la liberté morale n’existe donc que pour le bien. Le problème est que l’on se trompe facilement sur ce bien, préférant un plaisir immédiat au bien réel, durable et souvent plus ardu à atteindre. Notre liberté se corrompt alors en licence, en asservissement à nos passions. Le monde moderne la nie purement et simplement, car elle est le signe d’une soumission à une réalité qui lui est infiniment supérieure : Dieu.

  Face à ces trois sens de la liberté, le monde moderne établit une révolution : il y est habitué. La liberté d’action se retrouve au sommet, avec la philosophie libérale. La contrainte doit disparaître : « il est interdit d’interdire2 ». Cela se vérifie dans l’éducation, dans le domaine économique avec le libre-échange, dans le domaine social et politique avec la liberté d’expression, la liberté des mœurs, des cultes, etc… Cela en vient à directement nier l’existence du bien ou d’un mal : la liberté morale est donc privée de son objet principal et est condamnée à disparaître. Quant au libre-arbitre, il est rejeté en bloc par les déterminismes et les matérialismes, qui font de l’agir humain le résultat soit d’opérations chimiques effectuées dans le cerveau, soit de l’assemblement de facteurs extérieurs à l’homme (son cadre familial et social, son parcours personnel, …).

En soi, la seule liberté qui nous reste est celle des animaux : pouvoir suivre ses pulsions sans en être empêché. Mais faire de la liberté d’action un absolu n’est qu’une utopie basée sur la soi-disant « bonté naturelle » de l’Homme. Face à la réalité de sa nature affaiblie par le péché, la seule règle devient la loi du plus fort : c’est pourquoi l’histoire moderne n’est que succession de régimes totalitaires, tyranniques bien plus absolus que ne le fût n’importe lequel des régimes précédents.

Tyrannie libérale

  Afin de mieux comprendre ce paradoxe apparent qui est celui de la tyrannie libérale, tâchons tout d’abord de la définir clairement, puis de mettre en lumière son application aujourd’hui.

Nous avons vu précédemment que la liberté implique nécessairement une fin : je me déplace pour chercher quelque chose, je délibère pour choisir entre différentes possibilités qui s’offrent à moi, et ultimement je choisis parmi plusieurs biens qui s’offrent à moi celui qui est le plus conforme à ma nature, à mon bonheur. Le monde moderne, dans son orgueil délirant, fait de la liberté un absolu : il trouve en elle la solution aux malheurs de l’homme et à son insatisfaction permanente, créée par le rejet de Dieu. L’homme n’est plus libre pour le Bien : la Liberté est le Bien. Il ne s’agit là que d’une idéologie, par nature déconnectée de la réalité des choses. Elle est sans fondement, mais qu’importe : si le monde ne correspond pas à ce que le libéral imagine, alors il faut changer le monde. C’est en cela que l’on peut parler de tyrannie, car elle est une contrainte violente et illégitime imposée à l’ordre des choses. Les pères du libéralisme, ceux qui ont eu le sinistre privilège de le mettre en œuvre, l’exposent clairement : « On le forcera d’être libre » (Rousseau), « Nous ferons de la France un cimetière, plutôt que de ne pas la régénérer selon nos idées » (Carrier). Cette tyrannie s’impose dans le sang et dans la mort, il suffit pour s’en convaincre de considérer les massacres et les désolations causés par les révolutions française, russe, chinoise, mexicaine, vietnamienne (la liste est bien plus longue) et par les épurations qui se déroulent toujours dans les pays communistes.

  Une fois le vide fait et le pouvoir acquis, elle peut alors s’appuyer sur un arsenal de moyens qu’elle va plus ou moins utiliser en fonction du contexte national. Elle doit tout d’abord substituer à la loi naturelle et à la morale le Léviathan3 du Droit : est bon ce qui est conforme à la Loi, est mal ce qui va contre la Loi. Cette règle est par définition changeante, de telle sorte que ce qui était loué hier peut être honni le lendemain. Le légalisme devient religion, occultant totalement le bon sens et dévoyant l’idée de Justice propre à l’Homme. Et si la Loi vient à s’opposer à la Vertu, à la morale, alors l’État a beau jeu de déchaîner l’appareil policier et juridique contre les hommes de bien, soucieux d’obéir à la loi de Dieu plutôt qu’à celle des hommes. Cette toute puissance de la Loi trouve sa source dans la suppression des cadres sociaux, politiques et religieux, présentés comme oppresseurs. Sous prétexte d’abolir les « privilèges », les corps intermédiaires, nécessaires au bon fonctionnement de la Cité, sont supprimés : les hommes n’étant alors plus réglés, il faut, pour les empêcher de sombrer dans l’anarchie, instaurer un système législatif et judiciaire omnipotent. Pour plus d’efficacité dans le contrôle des peuples, l’État s’immisce dans les affaires privées de ses citoyens et va jusqu’à usurper leurs droits en matière d’éducation, de préservation de la famille, d’enseignement religieux, etc… En somme, afin d’instaurer une Liberté illusoire, le libéralisme déclare la guerre aux libertés naturelles de l’Homme. Il n’interdit pas de faire le Bien, mais en le mettant au même niveau que le péché et en faisant la promotion de celui-ci, il est bien évident qu’il rend la pratique de la vertu beaucoup plus ardue : n’est-il pas aujourd’hui héroïque d’élever une famille chrétiennement, et de la maintenir dans la droite ligne alors que tout est fait pour pervertir l’âme des enfants et détruire les liens du mariage ? Le pouvoir de la masse est là pour corrompre doucement les récalcitrants, masse dirigée au doigt et à l’œil par les médias, les juges et les marchands de plaisirs. A la liberté du poisson qui nage à contre-courant pour atteindre les eaux propices, l’homme moderne préfère se laisser porter par les flots, carcasse qui s’imagine être libre parce qu’elle a choisi de ne plus l’être.

L’obéissance libre

  Dans son ouvrage « L’homme contre lui-même », Marcel de Corte étudie attentivement la question de la dégénérescence du monde moderne, tout en rappelant la grandeur de la liberté humaine et en proposant divers remèdes à l’épidémie libérale.

  La liberté, rappelle Marcel de Corte, « est la meilleure et la pire des choses ». Elle est la pire des choses puisque c’est en son nom que le diable a refusé d’adorer l’Homme-Dieu, qu’Adam a désobéi à Dieu, que ses descendants se sont complus dans la luxure et les plaisirs terrestres, que les États ont déclaré la guerre au Ciel. C’est au cri de « Liberté » que les révolutionnaires ont guillotiné le Roi et exterminé les Vendéens, que les Rouges ont assassiné le Tsar et massacré les Blancs, que les Maoïstes ont affamé et éradiqué plusieurs millions de leurs concitoyens, et c’est toujours avec ce mot à la bouche qu’on tue sans vergogne les enfants dans le ventre de leur mère. Érigée en absolu, la liberté n’est que barbarie et asservissement de l’homme à ses passions les plus honteuses. Mais mise à sa juste place, à savoir d’adjointe de la morale et du Bien, elle permet de passer de l’état de sauvage à celui d’Homme, car Homme est celui qui suit sa nature d’être créé à l’image de Dieu et destiné à L’aimer et Le servir sur Terre et dans les Cieux. En ce sens, « Obéir et être libre sont identiques dès que j’accepte d’être homme ».

  Mais avoir un agir conforme à notre vraie nature est, nous l’avons vu précédemment, extraordinairement difficile aujourd’hui. Il est évident qu’être libre, au sens profond du terme, nécessite un effort de tous les jours pour préférer ce qui est bien à ce qui fait plaisir, et qui est souvent contraire à la volonté de Dieu. Pour cela, il n’y a pas d’autre secret que de cultiver la « force d’âme », arme privilégiée5 contre le libéralisme car elle fait appel à la fois à la vertu de force, nécessaire pour contrer la mollesse du monde moderne, et au respect de l’ordre naturel. Plus que par de grands actes, cette force d’âme se développe dans les petits devoirs de la vie quotidienne, accomplis « en les vivant », c’est-à-dire en les replaçant dans leur ordre de soumission au monde d’en haut, dans le plan de Dieu. Vivre libre implique de s’affranchir du monde et de son esprit, de « renoncer à Satan et à ses pompes », et de leur préférer le « doux esclavage » de l’âme fidèle à son Créateur. Cela peut paraître simple, mais nous savons tous combien il est difficile de brider nos passions et nos désirs déréglés.

  Face au monde moderne et à sa déification de l’Homme et de sa soi-disant liberté inaliénable, la voix de l’Église et de la raison nous enjoint à conserver entre les trois niveaux de liberté cette hiérarchie qui fait leur harmonie. Faire de la liberté d’action un absolu n’a d’autre conséquence que de détruire le principe d’autorité, qu’elle soit humaine ou divine, et conduit l’homme aux pires abus. Vouloir supprimer la loi naturelle, la loi de Dieu, revient à séparer l’homme du cadre lui permettant de s’épanouir. Un cadre ne brime pas ; il contraint, certes, mais il donne à ce qu’il entoure toute sa beauté. Marcel de Corte en fait le parallèle avec les veines qui guident le sang vers les organes et donnent la vie au corps, ou encore avec le canal qui conduit l’eau vers les terres arides et empêche les crues et les inondations. Se soumettre à la loi voulue par Dieu n’est pas signe d’un esclavage inhumain, c’est justement le seul moyen d’être réellement homme. Pour l’avoir oublié, l’homme moderne s’est lui-même privé du bonheur et se condamne à errer après des chimères qui lui ôtent ce qui lui reste de libertés. Contre le Non serviam du diable et de ses suppôts agrippés aux plaisirs du monde, disons avec les saints ces mots que reprend L’Imitation : « Je suis étranger sur la terre, ne me cachez point vos commandements. Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volonté, car vous êtes mon Dieu ».

Un animateur du MJCF

 

 

Ouvrages pour aborder le sujet de la Liberté :

– Encycliques Libertas (Léon XIII), Quanta cura et le Syllabus (Pie IX)

– La Liberté (« Apologétique de poche », Dominicus)

– L’homme contre lui-même (Marcel de Corte)

 

1 Projet de loi bioéthique dont l’adoption est prévue au second semestre 2021

2 Slogan de mai 1968

3 Du nom de l’ouvrage de Hobbes, philosophe libéral du XVIIème et théoricien du pouvoir politique moderne

4 Ou « Droits fondamentaux », selon la formule de Pie XII : droit à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier à une formation et une éducation religieuse […], droit au culte privé et public de Dieu […], droit au mariage et à sa fin […] »