Les Zouaves pontificaux

« Vive le Sacré Cœur, vive la France et vive Pie IX ! » Les soldats qui, en ce 2 décembre 1870, poussent ce cri en chargeant les prussiens retranchés dans le village de Loigny, ne manqueraient pas de surprendre un spectateur non avisé. Si leur uniforme bleu ressemble à celui des troupes de zouaves de l’armée française, il diffère par la couleur, et les hommes qui le portent ne sont clairement pas originaires d’Afrique, mais plutôt de France, et même en grande partie des régions de l’Ouest. De plus, le drapeau qui les précède dans cet assaut n’est pas le drapeau tricolore, mais une bannière de procession immaculée sur laquelle se détache un Sacré-Cœur, et les mentions « Cœur de Jésus, sauvez la France » et « Saint Martin, patron de la France, priez pour nous », en face et au revers. Enfin, ils ne sont que quelques centaines à charger, sur un découvert complet de plus de deux kilomètres, une force deux fois supérieure en nombre et solidement embusquée, ignorant le déluge d’obus et de mitraille qui s’abat sur eux, comme s’il ne s’agissait que d’un exercice. Ce sont les derniers des Zouaves pontificaux, illustres combattants de Dieu et de l’Eglise. Quelle est leur histoire, et comment se sont-ils retrouvés des monts du Latium aux plaines de la Beauce ?

Un appel à l’aide

Il faut faire un saut de 10 ans en arrière pour comprendre l’origine des Zouaves pontificaux. En 1860, l’Italie est au cœur de conflits visant à assurer l’unification de la péninsule, sous le contrôle de Victor-Emmanuel, roi du Piémont. L’année précédente, la guerre qu’il a déclarée contre l’Autriche lui permet d’annexer le nord de l’Italie et une partie des Etats pontificaux, grâce à l’aide de Napoléon III. Il ne lui reste plus, pour atteindre l’hégémonie complète, qu’à se débarrasser du royaume de Naples au sud, et des terres de l’Eglise au centre.

Pie IX, pape depuis 1846, ne peut plus compter sur le soutien de l’empereur d’Autriche, et sait que Napoléon III n’est pas un allié fiable. Il lui faut d’urgence reformer les troupes pontificales, dont la valeur combative est douteuse, hormis certains corps tels que les Suisses. Il fait alors appel au général de La Moricière, ancien ministre de la guerre sous la Seconde République, qui aura ces mots : « Quand un père appelle son fils pour le défendre, il n’y a qu’une seule chose à faire, c’est d’y aller. » Pour compenser la faiblesse de l’armée (moins de 7 000 soldats, pas d’artillerie, peu d’armes modernes), La Moricière lance un appel à tous les chrétiens de bonne volonté. Ceux-ci répondent massivement, que ce soit par leurs personnes ou leurs biens. Il parvient ainsi à doubler les effectifs, notamment grâce à l’arrivée de volontaires et officiers français et belges, que l’on retrouve en grande partie dans un bataillon de tirailleurs.

Aussi impressionnante que soit la transformation opérée par le général de La Moricière, il ne disposait pas du temps nécessaire pour faire de ces troupes disparates et encore peu entraînées une armée d’élite, puissante et cohérente. En septembre 1860, Victor-Emmanuel lance ses troupes à l’assaut des Etats du Pape, et oppose près de 33 000 hommes aux 14 000 soldats de Pie IX. Ces derniers sont balayés le 18 septembre, à la bataille de Castelfidardo, près de Lorette. Les troupes fuient en pleine débâcle, à l’exception du bataillon franco-belge et d’un autre corps de volontaires français1. Le courage de ces hommes, dont la plupart se sont est confessés avant la bataille, sauve au moins l’honneur, et est un exemple d’héroïsme chrétien2. La capitulation qui suit cette bataille voit les Etats Pontificaux amputés de tout le nord, et réduits au Latium.

L’armée du Pape

Cette défaite entraîne une nouvelle refonte des armées papales, dont le bataillon franco-belge devient le cœur. Il prend au début de 1861 le nom de Zouaves pontificaux, et regroupe près de 1 000 hommes, avec une hausse jusqu’à plus de 3 000 à partir de 1867. Le recrutement des volontaires et leur armement est assuré en partie par les comités de Saint-Pierre, chargés de la collecte de fonds pour le pape après la perte des régions riches des Etats pontificaux. De 1860 à 1870, plus de 3 000 Français s’engagent pour la défense de la papauté. On y retrouve des catholiques de toutes conditions : paysans, ouvriers, notables, nobles… Beaucoup viennent des régions de l’Ouest, Bretagne et Vendée, et de nombreux noms illustres s’y côtoient : deux d’Aquin (de la famille de saint Thomas), deux Cadoudal, deux Cathelineau, cinq Charette, des descendants de Bourbon, de Chateaubriant, de Montesquieu, et d’autres encore. Tous ces hommes ont répondu à l’appel de Pie IX, tels des Croisés de l’ancien temps, à la différence qu’il ne s’agit pas cette fois de défendre l’Eglise sur quelque terre lointaine ou contre quelque hérésie, mais bien au cœur même de l’Italie. Les Zouaves se battent pour défendre le droit du pape sur ses terres, mais aussi pour contrer le principe faux de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, qui doivent tous deux mener l’homme à Dieu, avec la soumission nécessaire du politique au religieux.

La nouvelle armée pontificale ne va pas tarder à faire ses preuves. Victor-Emmanuel et Garibaldi tentent de déstabiliser les Etats du Pape en envoyant des troupes semer le trouble dans les territoires frontaliers. Les coups de main et les razzias se succèdent, et des affrontements ont lieu avec les Zouaves, envoyés pour faire face aux soudards. Ces opérations de contre guérilla durent de 1861 à 1867, et sont ponctués de maints faits d’armes et petites victoires. L’une des plus belles pages de ce corps d’élite n’est pourtant pas au combat, mais en cœur de l’épidémie : en août 1867, le choléra frappe la ville d’Albano. Les habitants se sont calfeutrés, et les corps des victimes sont jetés en pleine rue, sans sépulture. Un détachement de zouaves, passant par la localité, se met à ensevelir les cadavres et à porter secours aux malades. Animée du plus bel esprit de charité chrétienne, la quasi-totalité des zouaves et de leurs officiers va se porter volontaire pour se rendre à Albano et secourir son prochain, suscitant l’admiration de tous.

L’autre grande prouesse des zouaves, durant cette période, est la victoire remportée à Mentana contre les troupes de Garibaldi, le 3 novembre de la même année. Le combat se déroule dans les bois et les vignes pentues, et oppose la jeune armée papale à près de 10 000 garibaldiens, retranchés dans le village et le château, et sur les hauteurs. Les zouaves se lancent à l’assaut et, au terme d’une journée de violents affrontements, forcent les ennemis à la retraite. Garibaldi perd près de 1 000 tués, et 1 500 prisonniers, tandis que les zouaves, qui ont mené le plus gros des combats avec le corps expéditionnaire français3, comptent 28 morts. Cette belle victoire met un coup d’arrêt aux incursions de Garibaldi et de Victor-Emmanuel, mais ne marque malheureusement pas la fin des hostilités.

Fin des zouaves et derniers coups d’éclat

Tout bascule avec l’entrée en guerre de la France contre la Prusse, le 19 juillet 1870. Victor-Emmanuel, en échange de son soutien à Napoléon III, demande le départ du corps expéditionnaire français, envoyé pour protéger le pape d’une nouvelle invasion. Cette demande est d’abord refusée, mais le 5 août le corps est rappelé, sans que l’Italie n’entre en guerre du côté de la France. Victor-Emmanuel a les mains libres pour envahir les Etats pontificaux, et assemble une armée de 70 000 hommes, contre les 9 000 soldats du Pape. Les Italiens attaquent Rome le 20 septembre, défendue avec rage par les zouaves. Le combat est perdu d’avance, et Pie IX ordonne la fin des combats pour épargner le sang. Le Pape est retenu au Vatican, et son armée dissoute, avec le corps des zouaves pontificaux. Les 1 200 volontaires français sont autorisés à rentrer en France, où la guerre tourne au désastre. Le second Empire est tombé après la défaite de Napoléon III à Sedan, le 1er septembre, et le gouvernement de Gambetta se lance dans la guerre à outrance contre les Prussiens. Les zouaves sont regroupés dans la Légion des Volontaires de l’Ouest, et deviennent immédiatement une unité d’élite, du fait de leur expérience et de leur remarquable discipline au combat. Ils forment un corps-franc, dotés d’une plus grande autonomie que les troupes plus régulières, et sont rattachés au XVIIe Corps d’Armée que commande le Général de Sonis. Ils sont très vite engagés au combat et se distinguent à Orléans, mais se couvrent surtout de gloire à la bataille de Loigny, le 2 décembre 1870, où leur charge héroïque sauve l’armée du désastre. Afin d’empêcher une déroute et dans une tentative de repousser les Prussiens, Sonis ordonne la charge qu’il dirige lui-même avec leur chef, Athanase de Charette, alors qu’est déployée la bannière du Sacré-Cœur, avant d’être gravement blessé. L’assaut, mené dans de très mauvaises conditions, permet de faire reculer l’ennemi et donne le temps aux autres unités de se retirer en bon ordre. Ce sacrifice coûte cher aux zouaves, qui perdent 96 morts et 122 blessés sur les 300 hommes engagés, mais évite une défaite totale. Les ossements de ces chrétiens héroïques sont conservés dans la nécropole de l’église de Loigny, renommée Loigny-La-Bataille en l’honneur de ce fait d’armes, et reposent aux côtés des tombeaux des généraux Gaston de Sonis et Athanase de Charette, qui les ont si bellement menés au combat.

Les zouaves eurent à mener d’autres engagements après Loigny, mais aucun d’une telle ampleur. A la fin de la guerre, le gouvernement républicain tenta d’incorporer la Légion des Volontaires de l’Ouest au sein de l’armée, afin de mieux les contrôler. Charette refusa, la raison d’être des zouaves étant de servir l’Eglise, et non la République. La dissolution des Volontaires de l’Ouest est donc annoncée en août 1871, mettant fin à onze ans de bravoure et de sacrifices qui ont donné à l’Eglise un nouveau motif de gloire, et à la France chrétienne une cause de fierté supplémentaire.

RJ

 

Pour en apprendre plus sur les zouaves pontificaux :

Les Zouaves Pontificaux, de G. CERBELAUD-SALAGNAC

Article « L’épopée des zouaves pontificaux », de X. BARTHET, Le Sel de la Terre, n°81

Les Zouaves Pontificaux, de M. de CHARETTE

 

1 Les Guides du comte de Bourbon-Chalus

2 Certains font figures de saints, tel Joseph-Louis Guérin, séminariste nantais mort après deux mois de souffrances causées par ses blessures. Une quarantaine de guérison miraculeuses lui sont attribuées dont la guérison d’une aveugle.

3 L’attitude de Napoléon III dans les guerres d’unification de l’Italie est assez étonnante, virevoltant entre soutien aux révolutionnaires et aide militaire au pape.

 

Actualités culturelles

  • Cîteaux (Côte-d’Or, France)

Fondée en 1098 par Robert de Molesmes, l’abbaye de Cîteaux connaît des débuts difficiles, ayant au départ très peu de recrues. C’est l’arrivée, en 1113, du jeune Bernard de Fontaine, futur Bernard de Clairvaux, accompagné d’une trentaine d’autres recrues, qui permet de mettre en valeur le tout nouvel ordre cistercien. C’est à la fin du XVIIe siècle qu’est construit le définitoire, destiné à accueillir le chapitre général réunissant une fois par an les abbés de tous les monastères cisterciens d’Europe. Il s’agit donc d’un lieu de gouvernement essentiel pour l’ordre qui y prenait ses principales décisions. Fragilisé par un incendie au XIXe siècle et aujourd’hui désaffecté, le bâtiment de 80 mètres de long menace ruine ; cette situation a poussé les moines actuels à lancer une campagne de restauration qui devrait s’achever en 2032. Les aides ne manquent pas pour ce projet d’une ampleur considérable : ancien cellier de l’abbaye de Cîteaux, le château du Clos de Vougeot a organisé une vente aux enchères unique de ses vins bourguignons pour venir en aide aux religieux. Les moines eux-mêmes ont réalisé une vente de fromages en ligne au profit de la restauration de leur définitoire : fabriqué a partir du lait des 70 vaches montbéliardes de l’abbaye, le « Cîteaux » pourrait se comparer a un petit reblochon.

Grâce à ces aides ainsi qu’à celles de l’Etat, de la région et du département, la première pierre a pu être posée le 21 mars dernier, pour la plus grande joie de tous. L’objectif est d’installer dans le définitoire rénové un centre d’études et de recherches sur les cisterciens ainsi que le centre européen pour le rayonnement de la culture cistercienne ; des expositions temporaires et permanentes investiront également les lieux. Jusqu’à la fin de l’année, chacun peut encore participer à la souscription publique lancée par la Fondation du patrimoine en soutien à cette restauration majeure. 

 

  • Danemark
    Publié le 3 mars 2025 dans le Oxford Journalnof Archeology, un article de l’archéologue danoise Cecilie Brons vient révolutionner notre connaissance des marbres antiques : en effet, au cours d’une étude qu’elle effectuait sur la polychromie des sculptures antiques, la chercheuse a mis au jour des textes révélant l’usage de parfums pour enduire certaines œuvres. Il s’agit là d’un élément de « décoration » olfactif qui consistait à enduire les statues cultuelles (et plus rarement des représentations d’empereurs ou d’impératrices) d’huiles végétales parfumées (le plus souvent à la rose) : ce traitement rituel permettait de donner encore davantage aux œuvres l’apparence d’un dieu ou d’une déesse. Certains les ornaient également de couronnes de fleurs fraîches. A l’expérience visuelle de la sculpture s’ajoutait donc une expérience olfactive que l’on imagine difficilement de nos jours. Un élément inconnu de ce que l’on pourrait appeler « l’histoire olfactive » qui donne une meilleure connaissance de l’usage des parfums dans l’Antiquité !

 

  • Fontevraud (Maine-et-Loire)

Inauguré en 2019, le projet « A toutes volées » prévoyait de reconstituer la sonnerie du beffroi de l’abbaye royale de Fontevraud. En effet, fondues en 1792 en vue d’être transformées en monnaie, les six cloches de l’abbaye n’avaient jamais été rétablies et l’abbaye s’était tue pour plus de deux siècles. Cette situation est désormais révolue : après Aliénor, Richard, Pétronille, Gabrielle et Julie, une dernière cloche (le bourdon), nommée Richard, a enfin retrouvé sa place le 7 avril dernier. Haute de deux mètres et pesant 4,5 tonnes, elle constitue la plus grande et la plus lourde cloche de l’ensemble. Portant le nom de Robert d’Arbrissel, fondateur de l’abbaye royale de Fontevraud, le bourdon sonne un SOL 2. Fondues par la fonderie Cornille-Havard de Villedieu-les-Poêles, les cloches rendent chacune hommage à une figure illustre de l’abbaye. Constituée d’une structure en bois du XIIIe siècle, la chambre des cloches est malheureusement trop fragile pour accueillir le nouvel ensemble : les six petites nouvelles sont donc réparties dans les jardins de l’abbaye.

 

  • Jérusalem (Israël)

Suite à un accord entre les trois confessions gardiennes de la basilique du Saint-Sépulcre, des travaux de restauration ont enfin pu être entrepris depuis 2022 en vue de rénover le dallage du lieu, de résoudre les problèmes d’humidité et de refaire le système électrique. Cette campagne de travaux est bien évidemment accompagnée de fouilles archéologiques dont les résultats sont loin d’être décevants. En effet, les archéologues de l’Université Sapienza de Rome, chargés du chantier, ont récemment découvert les traces d’un jardin sous le sol de la basilique : les analyses archéobotaniques et polliniques ont révélé la présence d’oliviers et de vignes datant d’environ 2000 ans, probablement de la période préchrétienne. Or, l’Evangile le précise bien, Jésus a été crucifié et inhumé dans un jardin : « A l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. A cause de la préparation de la Pâque juive, et comme le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. » (Jean, 19, 41-42). Des recherches antérieures avaient déjà révélé que la zone où a été construite la basilique se trouvait en dehors des murs de la ville à l’époque de Jésus, et qu’on y trouvait par endroits d’anciennes carrières dans lesquelles auraient pu être creusés des tombeaux.

 

 

Ma bibliothèque

LA TOUTE PETITESSE ou LA VIE IN IPSA – Marie de Fiesole – Résiac – 120 p. – 2007

Après avoir découvert la vie de Mademoiselle de Sainte-Preuve, présentée dans notre FA 51, tous ceux qui ont été touchés par cette vie admirable et qui veulent approfondir cette spiritualité chercheront les derniers exemplaires encore disponibles de ce petit livre. Loin de s’opposer à la méthode de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, ces pages lui donnent une intensité et une profondeur admirable. Un vrai trésor spirituel.

 

ECRANS, UN DESASTRE SANITAIRE – Il est encore temps d’agir – Servane Mouton – Gallimard -Coll. Tracts – 64 p. – février 2025

L’auteur a coprésidé la commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans en mai 2024. Voici donc un document reconnu dans le monde public et officiel qui expose les retours des professionnels du monde professionnel infantile sur les « effets des technologies de l’information et de la communication ». « Nous appelons de nos vœux la prise de conscience de ce désastre sanitaire qui s’annonce et déjà se constate. Il n’est pas trop tard, mais il est plus que temps. »

Un petit livre qui fait le tour de la question.

 

POUR NOTRE MERE LA SAINTE EGLISE – Dossier doctrinal et spirituel – Pèlerinage de Pentecôte et Jubilé de Rome – 130 p. – 2025

Comme chaque année, les pèlerins trouveront dans ce petit livret, facile à emporter partout, de nombreux textes propres à la réflexion ou à la méditation. Cette année, il a la particularité de pouvoir aussi être utilisé pour le pèlerinage du Jubilé à Rome. Ces textes courts et rigoureusement choisis complèteront un guide plus touristique.

 

RICHESSES DE ROME – Itinéraires Culturels et Spirituels – Dominique Perrin – 288 p. -2015 – réimp. 2025

La réimpression de ce guide paru pour la première fois en 2015 est prévue pour juin 2025. Très apprécié lors de sa première parution, il a l’avantage d’avoir été écrit par et pour les catholiques avides de retrouver leurs racines dans la Ville éternelle. L’auteur apporte des conseils pour plus de 40 lieux de visites, des plus prestigieux aux plus méconnus sans oublier le sens spirituel, l’histoire et les traditions culturelles à partir des textes de l’Évangile.

 

Incarner le devoir filial envers l’Eglise

Ma première visite à Rome m’a laissé un souvenir marquant : au milieu du brouhaha du trafic désordonné des scooters et des voitures, de leurs dérapages sur les pavés, des touristes dégustant des gelati, on ne peut faire dix mètres sans croiser plusieurs soutanes et tenues religieuses, des églises souvent attirantes, des basiliques où des éléments du IVe au XVIIIe siècle se mélangent harmonieusement. Je n’ai jamais rencontré dans mes nombreux voyages aucun endroit où le catholicisme est aussi présent avec ses 2000 ans de tradition visibles de tous.

Je me suis senti « chez moi », fils de l’Église une, sainte, catholique, apostolique et romaine.

 Nous sommes catholiques Romains !

Nous devons cultiver et transmettre à nos enfants cette filiation et cet attachement essentiel. L’oublier, c’est risquer de tomber dans le gallicanisme ou l’esprit protestant. L’amour de l’Église est inséparable de l’amour de Rome, ce qui explique ce mot de Monseigneur Lefebvre : « Une de mes premières préoccupations (après la fondation de la Fraternité saint Pie X en 1970) était d’avoir une maison à Rome, ce qui a été concrétisé par l’achat de la propriété d’Albano » dès 1974. Sa déclaration célèbre du 21 novembre 1974 rappelle l’importance de Rome : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.» Il illustrera plus tard une des manières de vivre cet attachement à la Rome éternelle : « La Rome éternelle est présente à Rome par les tombeaux des papes qui nous rattachent aux Apôtres, et notamment à Pierre qui est vraiment la pierre fondamentale de l’Église. La Rome éternelle est encore présente par tous les autres martyrs qui y ont versé leur sang pour prouver leur foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ. (…) Tous ces magnifiques exemples sont encourageants pour nous et nous attachent à cette Rome qui est vraiment le cœur de l’Église. Voilà pourquoi nous aimons prier sur les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul, des autres Apôtres et des martyrs qui sont enterrés là1. »  

Aller à Rome, pour former nos enfants

Spirituel et temporel sont indissolublement liés, les actes temporels que nous posons avec nos enfants influencent leur vie intérieure et leur conception de la religion. Si nous en avons l’occasion, n’hésitons donc pas à les emmener à Rome dès l’âge de raison, et avant qu’ils n’entament leur vie de jeunes adultes, ou à leur donner l’occasion d’y aller avec leur école et de bons prêtres. Aller à Rome, c’est à coup sûr développer trois qualités :

Le sens de l’Église. A Rome, nous le sentons, le voyons, le savons : nous sommes fils de l’Église, héritiers d’une Tradition de 2000 ans. « A Rome, j’ai senti palpiter le cœur de l’Église ; ce que je savais de l’Église, je l’ai pour ainsi dire touché ; j’ai confiance que je vivrai encore plus de l’Église et pour elle », disait le père Calmel en 1953.

La gratitude pour la grâce de la foi : « Tout nous parle de siècles de fidélité. Le parfum de Rome, c’est surtout le parfum de la foi que chaque pierre polie par des siècles de christianisme nous fait respirer2. » Nous ne pouvons que nous émerveiller et nous recueillir.

L’engagement au service de l’Église : « A Rome, le pèlerin dépose le vieil homme, il rajeunit, retrempe son âme au contact des apôtres, des vierges et des martyrs. Sa foi s’affermit sur le roc de Pierre ; la Ville Sainte lui dilate le cœur à la mesure de l’universalité de l’Église, sa prière prend alors un élan de ferveur inouï3. »

Un devoir filial important

Foyers Ardents a plusieurs fois insisté sur l’importance de l’esprit de famille et de l’enracinement pour l’équilibre de nos familles et  l’épanouissement de nos enfants. Nous apprenons à nos enfants à honorer leurs parents et grands-parents (4e commandement) et à prier pour eux. Même si grand-père ne va pas à la messe, et tant qu’il respecte notre éducation, nos enfants lui témoigneront de l’affection, écouteront ses histoires ou bricoleront avec lui, ils s’enracineront ainsi dans une tradition familiale qui les dépasse et comprendront qu’ils sont un maillon d’une chaîne. Bien sûr, nous les ferons prier pour lui afin qu’il se convertisse.

Avec nos enfants, nous devons de même incarner ce devoir filial envers le pape, vicaire du Christ, successeur de Pierre. L’élection du nouveau pape Léon XIV est une occasion de concrétiser ce devoir avec davantage de motivation. S’il fait du bien, nous devons l’aider en priant pour sa persévérance dans les difficultés et face aux ennemis. S’il commet des erreurs, nous devons prier avec ferveur pour qu’il soit éclairé et progresse dans la manière de guider le troupeau que le Seigneur lui a confié. Rien n’est jamais perdu ! Souvenons-nous que le pape Pie IX, élu en 1846 à la grande joie des libéraux, sera celui qui publiera le « Syllabus » associé à l’encyclique Quanta Cura (1864) et condamnant le naturalisme, le laïcisme, l’anticléricalisme, le socialisme, le communisme et les sociétés secrètes…

Le catéchisme nous appelle par ailleurs à une juste compréhension de l’infaillibilité pontificale et à la possibilité d’erreurs sur les sujets ou les modes de communication qui n’en relèvent pas.

Pie XII lui-même insiste sur la conduite à tenir face aux faiblesses ou erreurs visibles dans les hommes d’Église : « Son divin fondateur souffre jusque dans les membres les plus élevés de son corps mystique, dans le but d’éprouver la vertu des ouailles et des pasteurs (…) ce n’est pas une raison de diminuer notre amour envers l’Église, mais plutôt d’augmenter notre piété envers ses membres4. » 

Lorsque nous allons à Rome, nous voyons cette minuscule silhouette de l’homme en blanc sur un balcon perdu au milieu de la façade de la basilique Saint-Pierre. Quelle faiblesse qui nécessite nos prières !

Rome et l’Année Sainte

Comme à chaque Année Sainte, l’Église met à notre disposition un trésor de grâces spéciales accumulées par les mérites de Notre-Seigneur et la collaboration des innombrables saints. Profitons-en avec nos enfants, nous en avons tant besoin. Parce que nous sommes catholiques romains, fils de l’Église, nous irons à Rome avec nos enfants si nous le pouvons. « Nous venons à Rome pour faire grandir notre foi que respirent toutes ces pierres, pour nous enflammer de l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ et en vivre toujours davantage5. »

« Rome est un besoin pour toute âme qui a goûté Rome. Vous reviendrez à Rome », disait Pie XI aux membres du séminaire français de Rome. 

Si nous ne pouvons faire ce pèlerinage d’ici le 6 janvier 2026, emmenons au moins notre famille dans une basilique proche de notre lieu de vacances pour y prier et gagner les indulgences spéciales de cette année sainte.

 

Hervé Lepère

1 Conférence spirituelle, Ecône, 5 décembre 1983

2 Cahiers Ad Lucem – Pâques 2025

3 Idem

4 Mystici Corporis, 29 juin 1943

5 Cahiers Ad Lucem – Pâques 2025

 

« Tu es Petrus »

 

L’un des moments les plus solennels et les plus émouvants des Evangiles est la promesse que Jésus fait à Pierre d’une primauté mystérieuse qui durera jusqu’à la fin du monde. Elle nous est relatée par saint Matthieu au chapitre seize. Sur la terre de Césarée de Philippe, près des sources du Jourdain, contexte géographique divinement choisi, Notre-Seigneur interroge ses apôtres :

« Qui dit-on qu’est le Fils de l’homme ? »

Ils lui répondirent : « Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres Jérémie ou quelqu’un des prophètes. »

Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

Simon Pierre, prenant la parole, dit :

« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »

Jésus lui répondit :

« Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car ce n’est pas la chair et le sang qui te l’ont révélé mais c’est mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elles. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » 

C’est à l’aide de trois images : celle du roc (I), celle des clefs (II) et celle du pouvoir de lier et de délier (III) que Notre-Seigneur promet à Pierre la primauté sur l’Eglise qu’Il est venu établir sur la terre.

I) Le roc

Il est toujours bien difficile en passant d’une langue à l’autre, de conserver toute la force et les nuances des paroles que l’on traduit. Notre-Seigneur, à dessein, lors de sa première rencontre avec Simon, a changé son nom : « Tu es Simon, le fils de Jean, tu t’appelleras Képhas1 » (ce qui se traduirait par « pierre »). On ne trouve dans les deux Testaments que deux autres changements de noms, ceux d’Abraham2 et de Jacob3. Et dans ces deux cas, c’était en vue de les charger de missions décisives dans l’histoire du Salut. Notre-Seigneur nomme Simon d’un nom nouveau qui est « Képhas », « La Pierre », en vue d’exprimer que ce serait sur cet homme de son choix que serait fondée et que reposerait toute son Eglise. En latin et en français, le passage du masculin au féminin, fait perdre de la force au jeu de mots initial. Notre-Seigneur dit : « Tu es Képhas et sur Képhas, je bâtirai mon Eglise. »

Si le prénom « Roch » s’écrivait comme le mot « roc », on aurait intérêt à traduire : « Tu es Roch (c’est à dire sur la personne même de Pierre) et sur le roch, je bâtirai mon Eglise.» Pierre est le fondement, le soubassement de l’Eglise. Il est pour elle ce que sont à la maison les fondations : le motif de l’indéfectibilité.

II) Les clefs

La deuxième métaphore est également très parlante. Lorsqu’un homme devient propriétaire d’une maison, on lui remet à lui et à lui seul, les clefs. Lui seul a le pouvoir d’entrer dans sa maison et d’y laisser entrer ou de ne pas y laisser entrer qui il veut. Cette image avait déjà été utilisée dans l’Ancien Testament par le prophète Isaïe. « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : « Quand il ouvrira, nul ne fermera ; quand il fermera, nul n’ouvrira4

C’est donc à Pierre et à lui seul que sont données les clefs du Royaume des Cieux. Notre-Seigneur est le propriétaire de la maison, puisqu’il en a les clefs. Mais il les donne, sur terre, à celui qui sera le maître de la maison qu’il a édifiée. On voit ici que Pierre n’est pas seulement le fondement de cette Eglise, mais qu’il en est, de droit divin, le maître de maison, possédant de redoutables pouvoirs.

III) Le pouvoir de lier et de délier

Cette troisième image est, au premier abord, un peu moins parlante pour nous. Par le verbe « lier », il faut entendre « interdire » et par le verbe « délier », « permettre » dans le domaine doctrinal et « condamner » ou « absoudre » dans le champ disciplinaire. C’était une façon de parler familière chez les Juifs. Le pouvoir de lier et de délier, après la remise des clefs continue à manifester les prérogatives du vicaire dont Notre-Seigneur Jésus-Christ se dote sur la terre. C’est à lui que sera confié le dépôt de la Foi, et d’y veiller pour qu’il ne soit pas dénaturé ou contaminé. C’est à lui également qu’il appartiendra de veiller à la sainte itinérance des âmes vers le ciel, en leur marquant les limites du Bien et du Mal et en leur remettant ou en retenant les péchés au vu de leur contrition ou de leur absence de contrition.

En ces temps si difficiles que nous vivons, il est bon et salutaire de rappeler cette célèbre scène de l’Evangile. Notre foi est fondée sur ces paroles si éloquentes de Notre-Seigneur. Ces paroles sont vraies car Notre-Seigneur ne peut ni se tromper ni nous tromper. Demeurons donc sereins : l’Eglise ne périra pas.

En revanche, prenons acte de la tornade inouïe qu’elle endure et des ravages que cette tornade est capable d’opérer dans tout ce que l’Eglise, création divine, garde en même temps d’humain. Ayons conscience que la préservation de la Foi dans nos âmes jusqu’au dernier instant de notre vie, que la transmission de la Foi dans l’âme de nos enfants, sont des grâces insignes que nous devons redemander à Dieu sans nous lasser, jour après jour. Enfin, si nous devons dénoncer avec intransigeance les erreurs corruptrices de la Foi et les fauteurs de cette corruption, fussent-ils prêtres, évêques ou papes, comprenons aussi que des indices de notre catholicité et de notre charité consistent à prier pour eux, pour leur retour à la Foi.

Avec ma bénédiction,

Dans le Cœur douloureux et immaculé de Marie.

 

R.P. Joseph

 

1 Jean, 1, 42

2 Gn, 17,5

3 Gn, 32, 29

4 Is, 22,22