Le pilote consulte rapidement ses instruments, tout semble en ordre, après trois heures de vol, il va entamer l’approche finale pour atterrir sur l’aéroport Charles de Gaulle.
Dans quelques instants, il va poser son A330neo sur le tarmac et conduire à bon port ses 250 passagers et sa dizaine de membres d’équipage. Après les échanges réglementaires avec le contrôleur aérien, il obtient les derniers paramètres météo et ses consignes d’approche pour garantir un atterrissage optimal.
Le capitaine annonce ensuite le début de la manœuvre à son personnel de cabine et invite les passagers à attacher leurs ceintures.
Il a répété ces gestes des dizaines et même des centaines de fois, la machine répond parfaitement à ses corrections précises sur le manche. Les trains d’atterrissage se sont déployés correctement, l’avion est aligné sur la piste, les yeux sont rivés sur le tracé géométrique des feux indiquant le début de la piste. L’altitude décroît avec régularité, la tension monte et le pilote redouble de concentration. La piste semble se précipiter vers le cockpit.
Au moment fatidique du premier contact des roues avec l’asphalte, un chat bondit soudain sur les genoux du pilote ! Surpris et déstabilisé, ce dernier donne un coup de manche brusque, entraînant l’avion sur l’aile et le précipitant en dehors de la piste dans un chaos de métal, de terre et d’herbe. Bientôt la carcasse de l’avion est engloutie dans une boule de feu provoquée par le carburant échappé des réservoirs éventrés.
« Minou, tu m’as saboté mon atterrissage, ne me saute pas sur les genoux comme ça, tu as tout fait rater, ça fait trois heures que je suis dessus ! » Le jeune quadra en t-shirt et short de pyjama, tenant encore le manche et la manette des gaz posés sur son bureau invective son animal de compagnie réfugié en haut d’une armoire alors que s’affiche sur son écran d’ordinateur un message laconique : « Votre avion s’est écrasé ! Recommencer le vol ? »
La thématique abordée ici est très vaste et nécessite de nombreux travaux bien plus poussés que l’article d’aujourd’hui pour en cerner tous les aspects. Nous y sommes cependant confrontés quotidiennement et vous trouverez peut-être ici quelques pistes de réflexions.
Cet essai ne se veut ni une étude morale, ni une analyse scientifique, mais une mise en garde pour les jeunes et les moins jeunes. Voici une brève plongée dans les arcanes de ce monde virtuel qui se développe tous les jours davantage.
Un nouveau monde aux multiples facettes
Le développement de l’informatique et des technologies qui y sont liées ont permis en quelques dizaines d’années de créer un gigantesque « monde » virtuel qui ne cesse de croître. Pour circonscrire un peu le propos d’aujourd’hui, concentrons-nous sur trois facettes de cet univers si vaste : la réalité virtuelle, les plateformes de partage de vidéos et les jeux vidéo.
La réalité virtuelle (expression antithétique s’il en est) tout d’abord, est un ensemble de technologies qui permet, grâce notamment à des casques munis d’écran recouvrant les yeux et divers accessoires, de tromper nos sens et d’immerger l’utilisateur dans un monde totalement créé par un ordinateur.
Les résultats du développement de cette technologie sont de plus en plus bluffant et les applications toujours plus variées. Il est ainsi possible de déambuler dans un Paris médiéval reconstitué avec ses bâtiments, sa population et les bruits du quotidien, de voler tel un oiseau au-dessus de somptueux paysages, mais également de piloter un avion dont le cockpit est reproduit au rivet près, ou d’effectuer une opération à cœur ouvert dans un bloc opératoire tout équipé.
La technologie évolue même maintenant vers la réalité augmentée, ajoutant (encore au moyen de lunettes) dans notre champ de vision réel, des éléments virtuels, ici encore avec des applications multiples. Vous souhaitez vous rendre chez votre médecin ? Vous n’avez qu’à suivre les flèches qui apparaissent devant vous sur le trottoir. Une recette à préparer ? La liste des ingrédients s’affiche devant vos yeux alors que vous fouillez dans votre frigo ou votre placard. Un panneau dans une langue étrangère ? Il se traduit instantanément dans votre langue.
En ce qui concerne les plateformes de partage de vidéos focalisons-nous sur deux des plus utilisées aujourd’hui : YouTube et TikTok.
Est-il encore besoin de présenter YouTube tellement cette plateforme est omniprésente dans notre quotidien…?
La volonté de ses créateurs était de permettre à tous de partager n’importe quelle vidéo au plus grand nombre. La première vidéo de YouTube est même celle d’un des fondateurs de la plateforme en visite au zoo. Et en effet l’on trouve de tout dans les milliards de vidéos disponibles librement, du tutoriel de montage d’un meuble au match de foot en passant par une vidéo de chatons en train de manger ou à un reportage au ton alarmiste. En bref, il est possible de trouver presque tout sur YouTube, et souvent n’importe quoi. Formidable place publique offrant à n’importe quel quidam plusieurs milliards de spectateurs potentiels !
TikTok quant à elle est, dans son état actuel, une plateforme chinoise qui permet de partager également au plus grand nombre de très courtes vidéos d’une dizaine de secondes, parfois un peu plus, accompagnées de musiques ou d’effets sonores et visuels. Cette application très égocentrique pousse à obtenir un maximum de visionnages de ses vidéos pour le « créateur de contenus ». Et pour ce faire, la meilleure recette est souvent de se conformer aux « tendances » (comprenez modes extrêmement passagères et superficielles), que ce soit de reproduire des mouvements de danses sur un morceau en vogue, de se filmer des dizaines de fois en train de mettre un plat au four pour obtenir la prise parfaite afin de créer un « TikTok » esthétique, ou encore de se filmer dans des destinations paradisiaques pour afficher une « vie parfaite ». Sur TikTok, tout est question de paraître. Peu importe les artifices, l’important est de plaire et de faire réagir.
Pour les jeux vidéo enfin, c’est encore un univers très vaste qui s’ouvre. Divertissements polymorphes et variés, il en existe une multitude aux caractéristiques extrêmement diverses.
Lorsqu’on parle d’un jeu vidéo, il peut tout autant s’agir d’une œuvre qui offrira la profondeur d’un roman historique, couplé à la réalisation d’un grand film et accompagné d’une musique de grands compositeurs, dont le fonctionnement demandera un véritable travail de réflexion, que d’une explosion de couleurs criardes et de sons débilitants dont le fonctionnement simpliste ne demandera qu’une activité cérébrale proche du néant. Au même titre que l’on trouve des livres ou des films de genres et de qualités très inégaux, il en est de même pour les jeux, d’un simulateur de chauffeur poids-lourd à un opus de stratégie médiéval en passant par un jeu de tir ultra-violent ou un jeu d’échec, les différences sont telles qu’il faudrait quelques pages pour en expliquer au moins les genres principaux.
Il est cependant une différence notable à prendre en compte, certains jeux peuvent se jouer seul et n’impliquent que la personne qui l’utilise, d’autres (et aujourd’hui une part très conséquente) se jouent en ligne et ne cessent jamais, le joueur ne fait que le rejoindre en cours. Nous allons voir par la suite en quoi cette nuance est de taille.
Une « réalité » souvent trompeuse et chronophage
Les anglo-saxons utilisent pour parler d’un réseau le mot « Web », qui se traduit « toile ». Cela représente bien les multiples ramifications et connexions qui se créent dans cet univers virtuel, mais dans une coïncidence surprenante, cela désigne également un piège particulièrement redoutable. Comme le moucheron dans la toile de l’araignée, il est très facile de s’engluer dans ce réseau à la toile si dense. Et comme les vibrations de l’insecte alertent l’araignée et la font accourir pour le paralyser et le piéger davantage, plus nous sommes actifs sur la toile et plus nous recevrons des sollicitations ciblées pour nous retenir et nous anesthésier dans cet espace déconnecté du réel.
Sans parler des dangers flagrants et directement nuisibles pour l’âme que sont les contenus contraires à la morale et aux lois de Dieu, le plus terrible et pernicieux danger de ce monde virtuel est sa propension à dévorer notre temps. En effet, sa dimension quasi infinie du point de vue de notre esprit humain va nous proposer sans cesse de nouvelles questions et de nouvelles réponses, et des réponses à des questions que nous ne nous sommes pas encore posées, et encore de nouveaux sujets à explorer ou de nouvelles activités à découvrir.
Sur le sujet de la réalité virtuelle, certes certaines applications peuvent faire progresser la médecine ou permettre un complément d’entraînement à des pilotes d’avion ou d’hélicoptère en réduisant les coûts et les risques, mais est-il vraiment nécessaire pour une étudiante en comptabilité de savoir apponter avec un chasseur sur un porte-avion ou à un cadre supérieur de s’entraîner à effectuer l’ablation d’un rein. Tester cette technologie pour découvrir la reconstitution d’une basilique détruite ou profiter d’un spectacle immersif peut être une expérience originale et enrichissante, le risque est ici de se laisser captiver par ces simulations qui isolent totalement du monde extérieur et de s’y réfugier au détriment de la réalité de son devoir d’état quotidien.
L’usage de YouTube nécessite un usage ciblé et maîtrisé. Quoi de plus frustrant et désolant que d’y venir chercher une vidéo explicative pour finaliser rapidement l’installation d’un radiateur et de se surprendre après une heure de papillonage à suivre un reportage sur la culture de la fraise à Plougastel-Daoulas. Désactiver les suggestions de vidéos et la lecture automatique de vidéo vient déjà limiter grandement cette spirale de consommation boulimique et non maîtrisée (encouragée volontairement par le mode de fonctionnement de ce système).
TikTok est à fuir absolument, il est gravement illusoire d’imaginer que se gaver d’une succession de mini-vidéos de 10 à 30 secondes, quand bien même il ne s’agirait que de sujets intéressants et enrichissants (ce qui est à n’en pas douter l’exception sur cette application), peut permettre de retenir quoi que se soit ou de favoriser une pensée construite et équilibrée. Ce phénomène TikTok affole les responsables à tous les niveaux de notre société au vu de son impact sur la jeunesse comme une fabrique à zombies, incapables de fixer leur attention plus de quelques secondes et constamment à la recherche du « Buzz » (comprendre célébrité passagère) et d’un affichage toujours plus désinhibé sur internet.
Les jeux vidéo nécessiteraient un sujet à eux seuls, ce qui est certain c’est que, quel que soit le genre ou le thème abordé, ils ont un pouvoir addictif très important par les stimulations sensorielles et intellectuelles qu’ils offrent. Le meilleur moyen de ne pas s’y laisser prendre est de ne pas en utiliser, car un usage raisonné et raisonnable demande une volonté forte et une discipline de fer dans le temps que l’on y consacre, sous peine de voir ses journées et ses nuits subitement disparaître dans une faille spatio-temporelle, sans aucun espoir de les retrouver un jour. La plupart des jeux récents, surtout lorsqu’ils se jouent en ligne, n’offrent quasiment pas de répit et le joueur n’ayant pas la maîtrise du rythme de jeux ne peut pas mettre fin à sa partie sans laisser l’action se dérouler sans lui. Ce mécanisme encourage à repousser sans cesse la fin de la session de jeux, et d’un divertissement ponctuel, on bascule rapidement dans un esclavage mental qui vient perturber tout le rythme de la vie quotidienne, en faisant sauter un repas, passer une nuit blanche ou manquer à ses obligations familiales ou professionnelles. Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Après ce survol au pas de charge d’une thématique si vaste, s’il n’y avait qu’une idée à retenir c’est bien la suivante : tout ce monde virtuel, s’il offre quelques applications intéressantes et enrichissantes, est parsemé de pièges particulièrement attractifs qui risquent de causer un énorme gâchis de temps, voire purement et simplement une noyade dans la futilité pour qui s’y aventure sans plan bien établi, ni précautions d’usage.
N’oublions pas que nous devrons rendre des comptes de l’usage de notre temps lorsque celui-ci s’arrêtera.
François Lhoyer