Conséquences de la non prise en compte de Dieu dans la vie politique

« Ceux qui se laissent détourner du chemin,

le Seigneur les perdra avec ceux qui font le mal.» (Psaume 124)

 

On réduit trop souvent la prise en compte (ou non) de Dieu dans la vie politique française à un débat sur le respect (ou non) de la laïcité dans les lieux publics. Je propose ici de réfléchir à ses conséquences sur la conception même de la politique, ses buts et ses enjeux, en considérant les trois vertus théologales qui devraient fonder l’action politique envisagée de façon catholique : foi, espérance, charité.

La charité, tout d’abord

Les raisons louables de s’engager dans un combat politique ne manquent pas : défendre le respect de la loi naturelle, refuser la culture de mort, servir le Bien commun. Mais le faire sans charité, c’est-à-dire dans un seul souci humaniste qui considère ce que l’homme doit à Dieu tel un non-sujet pour ne s’intéresser qu’à ce que l’homme doit à l’homme, c’est courir le risque de céder à une passion politique néfaste : cette dernière, non raisonnée, ne peut en effet que conduire au péché : la surestimation idéalisée d’une cause dans l’orgueil d’avoir gagné ou la rancœur d’avoir perdu et, dans les deux cas, l’indifférence systémique au sort de son prochain. Concevoir la politique sans l’adosser à la vertu de charité revient ainsi à en pervertir le principe qui est l’organisation de la Cité terrestre dans l’intérêt de tous au regard de ce que nous devons collectivement à Dieu.

L’espérance, ensuite

Idolâtrer la seule cité terrestre en cédant ainsi à une passion politique non raisonnée conduit fatalement à désespérer du Ciel. La politique doit certes indiquer une route fiable afin de tracer un avenir collectif et heureux : sans avenir défini, l’être humain est perdu ; perdu, il se découvre inquiet ; inquiet, il devient violent. Mais une politique qui ne s’adosse plus sur l’espérance en Dieu est réduite à puiser dans les idéologies et les utopies terrestres des motifs d’espoir naturellement restreints. C’est la charité qui fonde l’envergure d’une action et l’espérance qui rassemble les énergies pour la mener à son terme. Agir sans espérance amène subtilement à ne plus croire à l’action, et donc à perdre cette envergure. Du représentant politique à son électeur, on s’installe alors dans un mépris réciproque qui ne peut que détériorer entre eux, par la suspicion, un lien social déjà précaire, puisque Dieu n’en est plus la finalité.

La foi, enfin

Désespérer du Ciel et soustraire à Dieu « le caractère unique de sa Seigneurie », comme le dit saint Thomas d’Aquin, cela revient donc en dernier ressort à pécher contre la foi. De la tiédeur à la lassitude, de la lassitude au doute, du doute à l’apostasie : le sens même de la vie en communauté se décompose car il a perdu sa raison d’être la plus sublime, comme en témoigne, dans cette société cybernétique liquide et désagrégée, l’absence d’urbanité dont nous subissons les effets. Les utopies pullulent, les idéologies s’accroissent, les sectes prospèrent : mondialisme, islamisme, noachisme, wokisme, antispécisme, dataïsme, transhumanisme… « Dieu est mort » et les individus ne peuvent, semble-t-il, que subir les événements redoutables qui découlent d’un semblable dérèglement lorsque, partout, s’accroissent les conflits entre les générations, la guerre entre les races et les sexes, les violences entre des citoyens de plus en plus isolés et livrés à tous les ennemis de Jésus-Christ Lui-même.

« Pour que vous viviez avec Dieu »

On ne peut gagner un combat contre un mal aussi endémique sans en avoir bien compris l’origine : nous ne sommes collectivement pas en paix parce que nous avons péché contre Dieu. Comme le dit le saint curé d’Ars : « Par le péché, nous méprisons le bon Dieu, nous crucifions le Bon Dieu ! Que c’est dommage de perdre des âmes qui ont tant coûté de souffrances à Notre-Seigneur ! Quel mal vous fait Notre-Seigneur pour le traiter de la sorte ? Si les pauvres damnés pouvaient  revenir sur la terre !… S’ils étaient à notre place !… Oh ! Que nous sommes ingrats ! Le Bon Dieu nous appelle à lui et nous le fuyons. Il veut nous rendre heureux et nous ne voulons point de son bonheur ; il nous commande de l’aimer et nous donnons notre cœur au démon1… » Ce n’est donc pas la passion politique en soi qu’il convient de fuir ou de combattre, mais son origine, qui est le péché originel et tous ceux que génèrent sans cesse notre nature blessée. Mais comment comprendre en profondeur la façon de demeurer en paix dans une cité terrestre dont le destin reconduit de siècle en siècle paraît être de ne l’être jamais ?

Tout commence par un vrai repentir, une véritable contrition qui, avant d’être œuvre de l’Agir, soit authentiquement œuvre de l’Esprit. Dans les paroles que le prêtre murmure à l’oreille de chacun d’entre nous avant qu’il ne quitte le confessionnal, se trouve la clé de toute action politique raisonnée : tout ce qu’on pourra faire de bon sur terre ne se départira jamais de ce qu’il nous faudra supporter de pénible. Ainsi, pour que le combat politique retrouve une visée catholique et porte ses fruits, il doit reposer sur le socle irréfragable de la foi, de l’espérance et de la charité. Cela n’est possible que si chacun accepte de porter sa propre croix. Tel est la secret de cette Paix si particulière qu’apporte la contrition, et que le Seigneur Seul sait et peut donner.

Encore une fois, écoutons ces paroles données lors de l’absolution :

« Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde ; par la mort et la résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés : par le ministère de l’Eglise, qu’il vous donne le pardon et la paix. (…) Que la Passion de Jésus-Christ, notre Seigneur, l’intercession de la Vierge Marie et de tous les saints, tout ce que vous ferez de bon et supporterez de pénible contribuent au pardon de vos péchés, augmente en vous la grâce pour que vous viviez avec Dieu. »

G. Guindon

 

1 A. MONNIN, Le Curé d’Ars, vie de Jean-Marie Vianney, t.1, 1861, 3e éd

 

 

Un bel ourlet!

 

De fil en aiguille

Un bel ourlet, garantie d’un vêtement « fait main qui n’en a pas l’air » !

 

Chères couturières,

Pour coudre pour soi, il faut maîtriser quelques techniques. Sinon, nos vêtements resteront au placard et même en cousant beaucoup, nous « n’aurons rien à nous mettre » … ! Parmi les éléments techniques, mais pas si difficiles avec un petit peu de méthode, il y a les ourlets. Vous connaissez l’ourlet qui plisse avec ce tissu coupé dans le biais, impossible à replier ? Et l’arrière de la jupe trop court car l’ourlet a été réalisé à la même hauteur sur tout son périmètre ?

Prenez aujourd’hui avec moi la résolution de ne plus faire d’ourlet-sabordage en 5 minutes pour terminer le plus vite possible ces vêtements que nous passons quelques heures à réaliser…

Bonne lecture de notre fiche, en espérant qu’elle vous soit d’une aide utile pour vos prochains ouvrages !

Atelier couture

https://foyers-ardents.org/wp-content/uploads/2024/09/2024_08_14_Ourlet_fiche-site-003.pptx

 

 

L’instant présent

L’instant présent est d’abord celui de la présence de Dieu : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » Dieu est l’éternel présent. Nous devons être convaincus que chaque instant, quel qu’en soit le contenu, est plein de la présence de Dieu, riche d’une possibilité de communion spirituelle avec lui. On ne communie à Dieu ni dans le passé, ni dans le futur, mais en vivant chaque instant en sa présence.

Au lieu d’être constamment projeté dans le passé ou dans l’avenir, il faudrait apprendre à vivre chaque moment comme se suffisant à lui-même car Dieu est là, et si Dieu est là je ne manque de rien.

Notre sentiment de vide, de frustration, d’inquiétude, l’impression de manquer de telle ou telle chose vient souvent du fait que nous vivons dans le passé (regrets, déceptions…), ou dans l’avenir (peurs, vaines attentes…) au lieu de vivre chaque instant en l’accueillant tel qu’il est, riche de la présence de Dieu qui nous nourrit et nous fortifie. Vivre ainsi l’instant présent dilate le cœur ! « Apprenons à lancer notre cœur à Dieu », recommande saint Bernard. Le Seigneur se sent alors comme chez Lui dans l’âme qui s’abandonne tout à Lui.

 

Aujourd’hui

Sans me soucier du passé ni de l’avenir, aujourd’hui je décide de croire, aujourd’hui je veux mettre toute ma confiance en Dieu, aujourd’hui je choisis d’aimer Dieu et mon prochain, et le jour suivant, nouvel « aujourd’hui » qui m’est accordé par la grâce divine, je recommence. Et ainsi de suite inlassablement, sans chercher à mesurer mes progrès, sans me décourager de mes faiblesses, sans me targuer de mes réussites, ne comptant pas sur mes propres forces, mais m’appuyant sur la Providence dans une présence de Dieu constante.

Sainte Thérèse de Lisieux disait : « Pour t’aimer ô Jésus, je n’ai rien qu’aujourd’hui… C’est parce qu’on pense au passé et à l’avenir qu’on se décourage et qu’on se désespère. »

Ce qui nous écrase, c’est bien souvent la projection dans l’avenir. Ce n’est pas la souffrance, mais l’idée que nous en avons. « Le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité, on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c’est en la portant que l’on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance, – qui n’est pas la souffrance car celle-ci est féconde et peut nous rendre la vie précieuse – il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi la vie réelle avec toutes ses faces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle dans sa propre vie. »

 

Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez -vous ?

La foi de Marie-Madeleine a été mise à rude épreuve. Tantôt paisible et priante, tantôt pleurante et souffrante… La foi de la grande convertie a été modelée, purifiée par la sage pédagogie de Dieu. On aurait pu penser que cela suffisait, mais il n’en est rien ! La bonne et fidèle Madeleine va subir une nouvelle purification. Comment Jésus va-t-il s’y prendre ? En laissant quelque temps la pauvre femme troublée par ses propres pensées, ses manières, ses projets… >>>  >>> Or ce côté trop humain doit être anéanti pour que l’âme puisse se plonger sans retour dans la joie de la Résurrection.

Il est tôt le matin, Marie-Madeleine se rend au sépulcre qu’elle trouve vide, la pierre roulée. Une peur panique, irrépressible, l’angoisse du tombeau vide la gagne subitement. Saisie de vertige, elle court auprès de Pierre et Jean : « Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où ils l’ont mis ! » Elle retourne ensuite au sépulcre et se retrouve seule, elle s’agite, tout en pleurs parcourant le monde par son imagination affolée…

On se souvient que Marie-Madeleine avait tout donné à Jésus, à commencer par elle-même. Elle avait vu en lui sa miséricorde éternelle et s’était livrée à Lui. Jésus était sa vie, sa joie, son espérance, son tout. Et Le voilà perdu, disparu. Que Lui a-t-on fait ? Où est-Il ?

La foi de Madeleine traverse un nouveau purgatoire, une épreuve terrible mais nécessaire pour jouir bientôt de « l’union transformante ». C’est en passant par le feu que le sable devient verre. La pécheresse convertie doit apprendre que Dieu n’est jamais plus présent que lorsqu’on le croit absent. Bossuet a très bien exprimé ce mystère :

« Vous plaindrez-vous qu’il vous a trompée ? Non, non il ne vous trompe pas ; ou s’il nous trompe, c’est d’une autre sorte. C’est qu’il nous unit à lui plus intimement dans le temps même que tous nos sens n’éprouvent qu’éloignement et séparation. C’est ainsi que l’amour doit être traité pendant ce pèlerinage.

Il faut qu’il se nourrisse de la foi, qu’il ne vive que d’espérance ; qu’il croisse parmi les détachements et les privations les plus tuantes ; car il faut non seulement qu’il meure martyr de Jésus-Christ, que ses propres ardeurs soient son martyre, et que son bien-aimé même soit son tyran. […] Telle est la conduite, tels sont les détours, telle est la tyrannie de l’amour divin durant ces temps misérables de captivité et d’exil1. »

« Le chrétien de tous les temps n’est pas exempt de telles épreuves. Il connaît aussi l’angoisse du tombeau vide quand il assiste impuissant à la perte de la foi chez un fils ou un frère, au désastre d’un foyer qui se déchire, aux sacrilèges liturgiques, aux profanations du sacerdoce. Autant de tombeaux, autant de sanctuaires souillés par la main des impies, autant de désastres qui laissent l’homme de Dieu désarmé, autant de vides qui arrachent les larmes de compassion, autant de tabernacles qu’il faut rendre au Seigneur. Quel tourment pour le cœur qui aime Dieu ! Mais l’Esprit Saint passe et prépare l’âme à la vision2. »

« A chaque jour suffit sa peine », essayons de suivre cet enseignement du Christ, et de ne pas ajouter à la peine du jour, qui est déjà bien suffisante, celle d’hier et celle de demain ! Pour cela exerçons-nous à ne porter que la difficulté d’aujourd’hui, en remettant le passé à la Miséricorde divine, et l’avenir à la Providence.

 

Sophie de Lédinghen

 

 

1 Bossuet, Discours inédit

Sainte Marie-Madeleine, la foi victorieuse. Ed. du Saint Nom

 

Appuie-toi contre moi

« Tu es las, ce soir, mon petit, mon pauvre petit ! La vie est si dure, si épineuse, si longue… Depuis le temps que tu batailles !

Tu ne peux plus même prier, faire l’effort d’une pensée volontairement orientée vers moi. Laisse là tout effort, appuie-toi contre moi. Je ne dis pas « sur moi » c’est encore trop peu, « appuie-toi contre moi ». Mets là ton front, ferme les yeux, et ne bouge plus, sois toute lassitude et tout abandon.

Je sais, oui je sais ! J’ai été moi aussi recru de fatigue pendant ma vie terrestre lorsque je parcourais les chemins de Palestine, et les routes sans bornes de l’ingratitude, de la bassesse et toute la misère humaine. J’ai haleté péniblement en traînant ma croix sur les pavés de Jérusalem, et mes épaules épuisées par la flagellation ont laissé tomber mon fardeau, puis j’ai roulé dans la poussière.

Qui pourrait savoir mieux que moi !…

Ne dis rien, je connais la souffrance, ce qui ce soir a vidé ton cœur de toute joie. Ce n’est peut-être rien de grave, mais c’est un peu tout. La goutte d’amertume que chaque jour ajoute au précédent a fait déborder la coupe.

L’âme de chacun de mes enfants doit passer tour à tour par cette grande lassitude :

Cette maman que ses « tout-petits épuisent jour et nuit ». Cette autre que ses grands enfants inquiètent : que se passe-t-il dans ces jeunes cervelles, et comme le fossé s’élargit chaque jour entre les deux générations.

Ici ce sont les soucis matériels qui vous écrasent un peu plus chaque année. L’avenir de chacun reste incertain malgré un labeur acharné.

Voilà pour ceux-ci la solitude qui élargit son cercle vide. Après les premières années d’union des cœurs et des pensées, la vie vous roule en son manteau d’indifférence, fait de mille petites déceptions, et les chemins divergent.

Pour d’autres, atteints dans leur chair, c’est l’usure épuisante de la souffrance physique, ou la servitude d’infirmités douloureuses qui les isolent et les amoindrissent.

Là, c’est la ruée de la jeunesse à quelque noble tâche, son effort généreux se brisant aux dures lois économiques, à la crise qui secoue les assises du monde aujourd’hui.

C’est toute cette marée de peines, de froissements, de fatigues physiques, d’activités épuisantes, d’inquiétudes et d’espoirs déçus qui accable la pauvre âme humaine.

Alors le meilleur ami paraît lointain ; raconter sa peine n’est qu’un fardeau de plus, et tâcher de se ressaisir est une courageuse mais souvent vaine tentative.

Alors, mon petit enfant, appuie contre moi cette âme trop lasse, sans rien dire (je sais tout ce que tu ne peux exprimer), sans rien penser, sans rien demander. Tu n’es plus en état d’espérer ; reste là seulement, tout contre moi. Les mamans ainsi endorment leurs tout petits-enfants qui pleurent, dans la chaleur de leurs bras.

Ce n’est pas à toi d’agir maintenant, laisse-moi faire. Je vais délier tes chaussures, elles meurtrissent les pieds qui ont trop marché – la douceur de Madeleine autrefois m’a baigné les pieds de parfums. Puis je vais étendre doucement ton pauvre corps exténué, et je veillerai auprès de toi, pour chasser la solitude. Je suis toujours là. Si tu savais me voir au long de tes journées, ton âme en serait rafraîchie. Moi, je te vois très bien, je te suis en chacun de tes mouvements, comme une maman qui a confié à son enfant une tâche difficile. Mais tu regardes tant de choses ! Tu n’as pas toujours le temps de m’apercevoir !

Je vais rafraîchir de la main ton front las. Si tu savais goûter dès ce monde la joie de ceux que j’aime, ton chagrin peu à peu s’effacerait de ce front, car la douleur serait accueillie comme la messagère d’amour.

Ai-je en vain porté ma croix, pour te donner l’exemple de l’inexorable condition humaine ? Il faut que tu sois à bout de forces, exténué comme ce soir, pour venir tomber ainsi sur mon seuil. C’est quand la fatigue t’enlève tout moyen qu’enfin tu consens à me laisser faire.

Peut-être n’as-tu pas tout à fait perdu ton temps en gravissant ainsi l’ultime sommet de ton épuisement, car c’est seulement lorsque tu es tombé que je peux te relever, et porter dans mes bras, raviver, délasser, réchauffer, l’âme de mon enfant, de mon petit enfant.

 

Abbé de Tourville, Paris 1938-1941

 

L’épopée de Ville-Marie

La grandeur de la France ne s’est pas construite que dans les noms et dates célèbres, que l’on retrouve dans les livres et que l’on rappelle sans cesse. La grandeur de la France s’est aussi faite dans des épisodes aujourd’hui oubliés de notre histoire, avec des personnages presque anodins, quasiment inconnus, mais pourtant tout aussi méritoires que d’autres grandes figures de notre légende dorée. Telle est l’histoire de la fondation de Montréal au Québec, ou plutôt faudrait-t-il dire, de l’île Marie.

 A l’origine, un appel de Dieu

La première et la plus grande figure de la « Folle entreprise de l’île Marie », comme les contemporains en parlaient à l’époque, est Jérôme Royer de la Dauversière.

Né en 1597 à La Flèche, ce percepteur d’impôt est connu pour son honnêteté, sa piété et sa charité. Loin de profiter de sa fonction pour s’enrichir, il lui arrivait de payer lui-même l’impôt des pauvres, et consacrait toute sa fortune aux œuvres de charité. Il dépensait tellement son argent dans les bonnes œuvres qu’il est mort endetté. A au moins deux reprises, Dieu s’adressa à lui par une voix intérieure, la première fois en 1630 pour fonder à La Flèche une congrégation religieuse hospitalière, dédiée à Saint Joseph, et la deuxième fois en 1635 pour fonder un hôpital à Montréal, sans préciser lequel1. Cette révélation s’accompagnait d’une vision dans laquelle il vit les lieux où devait s’édifier l’hôpital, ainsi que les personnes qui l’aideraient dans son œuvre. Par ses lectures, La Dauversière finit par comprendre qu’il s’agissait de l’île de Montréal en Nouvelle-France, découverte par Jacques Cartier en 1535 et restée inhabitée. Il fonde alors en 1640 la Société Notre-Dame de Montréal et commence à préparer l’expédition chargée de s’implanter sur l’île, rencontrant ceux qui, avec lui, vont tout faire pour accomplir la volonté que Dieu a signifiée. Il fait tout d’abord la connaissance de l’abbé Jean-Jacques Olier (1608 -1657), qui sera son principal collaborateur. Comme La Dauversière, l’abbé Olier a vécu une expérience spirituelle qui l’a bouleversé : il fut frappé d’une cécité subite, pour le punir de la vie mondaine qu’il menait à Paris. Il en fut guéri miraculeusement par un pèlerinage à Lorette, en Italie2. Brusquement converti, il devint un curé modèle et fonda l’ordre de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice.

L’expédition pour la fondation de Ville-Marie fut confiée au jeune mais remarquable Paul de Chomedey de Maisonneuve (1612-1676), officier de l’armée royale reconnu pour sa grande piété.

A ce trio directeur viennent s’ajouter trois autres figures qui furent à la fois des membres et des piliers spirituels de cette entreprise : Jeanne Mance (1603-1673), Marguerite Bourgeoys (1620-1700) et Jeanne Le Ber (1662-1714).

Jeanne Mance, aussi appelée la « cofondatrice de Montréal », fut la directrice de l’hôpital de Montréal qu’elle dirigea avec une très grande générosité et charité, en œuvrant à la conversion des « pauvres sauvages idolâtres ». Elle était le bras droit du gouverneur de la ville, et avait une grande influence auprès des colons. Elle mourut en odeur de sainteté.

La deuxième figure de ce trio, Marguerite Bourgeoys, a été la première institutrice de la colonie. Convertie miraculeusement en passant devant une sculpture de la Sainte Vierge, elle décida de se joindre à l’aventure de Montréal pour éduquer les enfants des Indiens et des colons. Il faudra attendre plusieurs années avant que les premiers bébés des colons puissent grandir, le choc microbien causant la mort de tous les premiers-nés avant que l’organisme des parents ne s’habitue au pays. Elle fonda en 1658 la Congrégation NotreDame de Montréal, congrégation novatrice de « sœurs voyagères » pérégrinant de village en village pour enseigner gratuitement les enfants.

La dernière grande figure de cette fondation, Jeanne Le Ber,  est une pieuse laïque qui décida de vivre recluse à Ville-Marie, en offrant ses prières et ses mortifications pour la prospérité de la colonie. Elle fut surnommée « la Sainte Geneviève du Canada », suite à la victoire des Français sur la flotte anglaise venue attaquer Québec en 1690, victoire que l’on attribua à ses prières.

Avec de tels fondateurs, mêlant tant d’héroïsme à tant de piété, la fondation de Ville-Marie ne pouvait que présager de bonnes choses, malgré les difficultés d’une telle œuvre.

La folle entreprise

La première difficulté fut d’acquérir le droit de fonder sur l’île de Montréal. Distante de moins de trois cents kilomètres de Québec, capitale du Canada français (ou Nouvelle-France), ce lieu n’était occupé que de manière saisonnière par des chasseurs, et restait très exposé aux attaques des Iroquois hostiles aux Français. Il appartenait à la Compagnie des Cent-Associés, propriétaires des droits d’implantation et de commerce en Nouvelle France. Jérôme de la Dauversière achète la seigneurie de Montréal en 1640. Le 27 février 1642, lors d’une messe célébrée à Notre-Dame de Paris, la future colonie est confiée à la Sainte Vierge et baptisée du nom de « Ville-Marie ». Il faut ensuite vaincre l’opposition du gouverneur de Québec, Monsieur de Montmagny, qui critique le projet des associés : une nouvelle implantation de colons, trop proche des Iroquois et trop éloignée de la capitale, diviserait les efforts et les ressources à disposition et serait à la merci d’une incursion indienne. De Montagny accepte finalement de se joindre à l’aventure et fournit son aide à l’implantation des premiers colons.

Le 24 mai 1642, les « Montréalistes », au nombre de 50 hommes et 4 femmes, fondent la colonie de Ville-Marie. En décembre de la même année, une crue de la rivière Saint-Pierre faillit submerger l’île, mais les eaux s’arrêtèrent subitement quand de Maisonneuve planta une croix devant la palissade. L’année suivante, les Iroquois lancèrent leur premier raid qui tua une quarantaine d’habitants, (six colons et trente Indiens). Au nombre de huit cents, et armés par les Hollandais implantés plus au Sud, les Iroquois ne cessèrent de menacer la colonie et de la harceler. Chaque sortie de l’enceinte de Ville-Marie pouvait signifier la mort dans une embuscade, ou la capture suivie de longs supplices au poteau de torture avant une mise à mort barbare. Chaque année voyait son lot de colons et d’Indiens alliés être tués par les Iroquois, sans réelle possibilité de contre-attaquer. 1649 faillit voir la fin de l’aventure : une grave maladie atteint Monsieur de La Dauversière, et les Associés connaissaient des querelles qui les détournaient de la gestion de la colonie. Jeanne Mance entreprit un voyage en France afin de trouver de nouveaux soutiens, et à son passage Monsieur de La Dauversière guérit miraculeusement, redonnant ainsi l’espoir aux Montréalistes qui pensaient à plier bagage.

A ce renouveau suivit la période des « Années terribles ». De 1650 à 1653, les Iroquois redoublèrent leurs attaques et infligèrent de nombreuses pertes aux colons et à leurs alliés indiens. « Il n’y a pas de mois où notre livre des morts ne soit marqué en lettres rouges par la main de Iroquois », écrivit Dollier de Casson, l’un des premiers colons. Une centaine d’hommes supplémentaires étant nécessaire pour défendre l’île, Maisonneuve se rendit en France lever de nouveaux fonds et recruter des volontaires. Il rencontra Mme de Bullion, principale bienfaitrice de Ville-Marie qui lui donna 22 000 livres destinés à l’hôpital de la ville, en y ajoutant 20 000 livres pour l’enrôlement de nouveaux colons. Avec cette somme, Maisonneuve recruta cent cinquante nouveaux Montréalistes, ce qui permit de redresser la situation quasi désespérée de l’île. L’accalmie fut cependant de courte durée, les Iroquois reprenant leurs raids  dès 1657, établissant une sorte de siège de colonie qui se trouvait ainsi coupée de ses alliés indiens, et privée de ses voies commerciales. Ville-Marie était petit à petit asphyxiée, et les Français forcés de se réfugier dans leurs bastions (Montréal, Trois-Rivières et Québec). La Nouvelle-France étant en passe de disparaître, Louis XIV décida de mettre fin à son régime autonome et d’en prendre sous sa charge la direction. Cela se traduisit rapidement par l’envoi au Canada, en 1665, d’un régiment chargé de neutraliser la menace iroquoise. Cette année porta le nom d’« année merveilleuse », mais marqua également un changement radical de l’état de Ville-Marie : la piété et la vertu qui faisaient de ce lieu une « île de saints », selon les mots même des calvinistes de Nouvelle-Hollande (actuel Etat de New-York), furent mises à mal par la vie de camp des soldats de France, plus choisis pour leurs prouesses militaires que pour leur sainteté. 1665 vit également le renvoi en France de  Monsieur de Maison Neuve, l’autonomie de Ville-Marie n’étant plus acceptée. Un nouveau gouverneur, incapable et reconnu comme l’un des plus mauvais dirigeants de la colonie, fut nommé pour le remplacer.  A Paris, on préféra faire de Montréal un lieu de commerce, plus qu’un lieu de sainteté. A la fin du siècle, il n’est plus nulle part mention de Ville-Marie, remplacée définitivement par Montréal. Ainsi, avec le départ de Maisonneuve, finit la « Folle entreprise ».

L’histoire de Ville-Marie est porteuse de nombreuses leçons. Leçons de courage et d’héroïsme, certes. Leçons d’abnégation et de don de soi, assurément. Leçons de sainteté et de vertu, bien évidemment. La raison humaine s’opposait à ce projet : trop de dangers, peu d’intérêts militaires et stratégiques, trop d’incertitudes. Et pourtant, quelques centaines de Français ont tout abandonné pour se joindre à cette aventure : Dieu a parlé et demandé cette folie, confirmant Sa volonté par de nombreux signes, pourquoi douter ? Cet esprit de profonde confiance en la Providence et d’union à la volonté signifiée de Dieu se retrouve dans les premiers groupes de Montréalistes. Ils avaient fait de l’évangélisation des Indiens leur mission première, risquant continuellement leur vie pour établir à Ville-Marie les fondations d’un lieu destiné à attirer les autochtones, à les enseigner par la parole et par l’exemple, à faire briller en terre païenne la lumière de l’Evangile. Ville-Marie a été de nombreuses fois comparée à un monastère géant, tant la vie de prières et de vertu y était développée. Une autre leçon proposée par l’épopée de Ville-Marie est cet élan de piété et de ferveur, principalement l’œuvre de laïcs. Des fondateurs, seul l’abbé est un religieux. Marguerite Bourgeoys, fondatrice de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, ne rentra en religion que plusieurs années après son arrivée dans la colonie. Les colons étaient également laïcs, dans leur quasi-totalité, et les exemples de sainteté chrétienne et de vertu ne manquent pas parmi eux. Nous apprenons ainsi les bienfaits de la participation à une œuvre sainte : une fois que le Fiat généreux et libre a été prononcé, suite au choix proposé par Dieu, on grandit bien plus vite et bien  plus facilement qu’en tâchant d’avancer par ses propres moyens. Les premiers montréalistes ne différaient pas en grand-chose de nous, malgré les quatre cents ans qui nous séparent. Aujourd’hui comme hier, nous avons la possibilité de grandir par le don aux œuvres de Dieu, qui ne manquent pas. Cependant, nous ne risquons pas de nous faire scalper ou torturer à un poteau à chaque fois que nous donnons de notre temps et de nos biens.

Puissent les colons de Ville-Marie, dont la grande majorité est à ne pas douter au Ciel, nous apprendre le don de soi et l’esprit de générosité à l’œuvre de Dieu3.

RJ

1 A l’époque, sept villes portaient en France ce nom.

2 A la maison de la Sainte Vierge

3 Sources : Sel de la Terre n°120, art. « L’Epopée mystique de Montréal »