Cinquième Mystère Douloureux : Jésus meurt sur la Croix

Fruit de ce mystère : Le don de soi

            En haut du chemin, il y a la petite colline où le drame s’achève. Le dénouement est brutal comme le reste. Cette tunique arrachée, ce corps meurtri étendu sur le bois rude et ces clous qui s’enfoncent dans les membres ! Notre cœur chrétien a peine à regarder ces scènes affreuses !

Et maintenant, sur le ciel de fin d’après-midi, voici que se détache la Croix de Jésus entre les deux autres condamnés. Au pied de celle qui porte l’écriteau : « Jésus, roi des Juifs », il y a le groupe, -si petit hélas !- des amis : sa mère et les saintes femmes… Seul Saint Jean est là, revenu, happé par son cœur. Peut-il laisser mourir seul, l’ami, le bien-aimé, sur la poitrine duquel sa tête reposait si tendrement quelques heures auparavant ?

Et ce sont les heures d’attente, les mystérieuses, les solennelles heures d’attente de toutes les agonies quand on épie autour d’un être qui s’en va, les derniers mots, les derniers regards, les dernières pensées… Oh ! Agonie de Jésus… Mère immobile, pauvre Mère ! Il ne vous reste que l’échange suprême de vos pensées. « Femme, voici votre fils ; Fils voici votre mère… » C’est le seul héritage que Marie reçoit de son Bien-Aimé : la pauvre humanité à aimer avec tout son cœur de mère. A cette heure solennelle, c’est l’adoption suprême. Elle ne répond rien. Elle reçoit cette mission. Et dans le grand silence de la terre et des cieux, dans ce grand silence de l’âme, Jésus put dire : « Tout est consommé ».

O Marie, apprenez-moi le sens profond de ce mystère. Je ne médite pas mon rosaire aujourd’hui pour apprendre à mourir mais pour apprendre à vivre.

« Donne-toi, comme mon Fils s’est donné… »

La vie chrétienne est amour, et l’amour est un don. Tout ce qui nous fait nous retourner sur nous-mêmes est misérable et infécond. Il faut franchir les étroites limites de notre « moi », briser ce tenace égoïsme qui sans cesse, comme un enfant mal élevé, crie : « Et moi ? » Ma joie c’est le don que je fais de moi-même ; je ne suis riche que de ce que je donne !

Et à qui me donnerais-je, mon Dieu, si ce n’est à vous ? Oh, Notre-Dame, aidez-moi à bien comprendre ce sens profond de toute vie chrétienne. Que pour moi les rapports avec Dieu ne soient pas un accord soigneusement passé : « Je donne ceci pour que vous me donniez cela. Votre part, la voilà Seigneur : cette Messe du dimanche, ces prières, moyennant quoi je suis tranquille et vous n’avez plus rien à me demander. J’équilibre mon budget spirituel… » Non ce n’est pas cela ! Ah ! je peux bien multiplier les prières, les aumônes et mêmes les sacrifices, si je ne me donne pas moi-même, je ne donne rien… Mon Dieu, faites que je regarde au fond de moi-même. N’aurais-je pas enterré moi aussi au fond du jardin ce « talent » que je n’ai pas envie que vous me demandiez… ?

Otez de moi cet esprit d’avarice spirituelle qui toujours calcule et suppute ses chances de gains et de perte. Si je vous donne tout, que me restera-t-il pour moi ?… Si je commence à vous donner généreusement tout ce que j’ai, n’allez-vous pas Seigneur, vous autoriser à en prendre plus ?… Est-ce-que je ne la sens pas au fond de moi-même cette peur lorsque j’entends votre demande… ? « Mon Dieu, jusque là, je veux bien, mais pas plus loin… Cela est à vous mais le reste est à moi !… »

O Notre-Dame, vous qui avez tout donné, aidez-moi à tout donner à mon tour. Chaque élan vers vous, mon Dieu est une richesse.

A qui me donnerais-je, mon Dieu, à travers vous ?… Mais à tous. Les autres sont là autour de moi : mon mari, mes enfants, cette amie, ce voisin, tous ceux que j’appelle mon prochain. Si je veux les aimer vraiment, non des lèvres mais du cœur, il faut que je me donne sans compter, en m’oubliant moi-même. Dans les grandes choses comme dans les petites ! Le monde souffre d’une pénurie d’amour parce que nous retenons pour nous ce qui devrait aller aux autres, parce que nous mesurons parcimonieusement notre cœur… Nous sommes des avares de notre tendresse, de notre compassion, de notre temps. Ce sourire qui mettrait une lumière dans la maison de cette pauvre femme, cette visite toujours remise, cette lettre attendue, ce désir personnel que je fais passer en priorité…

Mon Dieu ! Jamais sans doute vous me demanderez le suprême témoignage de « donner ma vie pour ceux que j’aime » car cela reste exceptionnel mais aidez-moi à ne pas oublier que ce soir en rentrant, mon mari attendra un sourire même si je suis épuisée, mes enfants auront besoin de moi même si j’ai un livre passionnant à terminer, et je pourrais énumérer toutes ces joies personnelles à sacrifier avec le sourire parce que quelqu’un est là qui frappe à la porte de mon cœur. Vais-je dire : Non ! Je n’ai pas le temps » à tous ceux qui ont besoin de moi ?…

« J’aurais commis peut-être bien des fautes, mais au moins je ne me serais pas épargné » écrivait Jacques Rivière. Il y en a tant qui s’épargnent ! Ils ont beau dire « qu’ils se dépensent sans compter », ce n’est vrai qu’en apparence. Ils s’agitent, ils se fatiguent, ils donnent ce qu’on ne demande pas, ils essaient de compenser… mais ils retiennent toujours ce qu’on aimerait tant recevoir : ce don profond qui est un renoncement à soi-même.

Vierge Marie, notre « moi » est si tenace qu’il n’est pas facile de s’en dépouiller. Faites que je comprenne la leçon de l’amour suprême de Jésus en Croix. Que je sache la retrouver chaque fois que j’assiste à la Messe, sans me laisser happer par mes soucis. Que cette goutte d’eau mise dans le calice me rappelle que la Messe est aussi mon offertoire et que le Christ veut que nous y associions notre offrande. Faites que je donne humblement ma vie quotidienne avec ses banalités pour qu’à travers toutes ces petites choses ce soit vraiment le meilleur de moi-même qui se donne.

Vierge Marie, vous qui étiez au pied de la croix, témoin de cette grande offrande, prenez avec cette dizaine mon grand désir pour qu’il devienne une réalité.

D’après Paula Hoesl