Mon enfant peut-il faire Sciences Po?

           Mercredi 22 janvier 2020, les inscriptions sur le site Parcoursup.fr se sont ouvertes pour les quelques 750 000 candidats au baccalauréat du mois de juin. Une nouveauté attend les élèves de terminale cette année : la plateforme d’orientation vers l’enseignement supérieur accueille dorénavant la totalité des formations reconnues par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et accessibles en post-bac, y compris les formations très sélectives que sont certaines écoles d’ingénieurs, de commerce, ou encore les études de santé (médecine, pharmacie, dentaire, etc.). Les « Grandes Écoles » dans le domaine des sciences sociales que sont les « Sciences Po » ont elles aussi intégré Parcoursup, ce qui pourrait attirer nombre de jeunes intéressés par la politique, le droit, l’économie, l’histoire, les sujets de société, et qui veulent se laisser la possibilité de choisir plus tard une carrière publique ou privée. La formation proposée par les Instituts d’Études Politiques1 offre dès le baccalauréat une voie distincte de celle des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE) pour laquelle les enseignants du secondaire ne poussent habituellement que ceux qui sont en tête de classe. L’année dernière, plus de 10 000 candidats ont ainsi présenté le concours commun des Sciences Po de province (Sciences Po Aix, Lille, Lyon, Rennes, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg et Toulouse) et plus de 7000 celui de Sciences Po Paris2. Cette année, le concours subsiste mais il faudra obligatoirement passer par Parcoursup au préalable pour s’y inscrire3.

 

Plusieurs objections pourraient être formulées contre ce type de cursus :

Ces écoles généralistes n’offriraient pas de métier précis à la sortie et bien des jeunes qui les intègrent ne savent pas ce qu’ils vont faire plus tard et ce quasiment jusqu’à la fin de leurs études, situation qui contribue à nourrir de légitimes inquiétudes sur leur avenir chez leurs parents ;

Ces écoles dispenseraient un enseignement fortement idéologique et « politiquement correct », c’est-à-dire de gauche ou d’extrême gauche et anti-chrétien. Il y a donc un risque à ce que le jeune perde la foi et devienne révolutionnaire ;

La grande majorité des jeunes de ces écoles est issue d’une couche sociale aisée, souvent bourgeoise et amorale. Un étudiant catholique plongé dans ce milieu risquerait de se retrouver confronté à des comportements toxiques voire immoraux (surtout lors de soirées étudiantes, de week-ends d’intégration, de sorties, etc.).

Ces écoles fournissent cependant l’une des meilleures préparations possibles aux concours de la fonction publique et aux fonctions de cadres supérieurs dans le secteur privé comme dans le secteur public. Faut-il alors envisager sérieusement d’intégrer ces écoles dont nous savons qu’elles forment « l’élite de la République française » ?

Voici quelques éléments factuels permettant d’aider les parents et le jeune à décider.

Observons tout d’abord que les IEP sont des établissements publics d’enseignement supérieur associés à des Universités publiques: les enseignants chercheurs qui y sont affectés sont tous des universitaires (Professeurs et Maîtres de Conférences) titulaires d’un doctorat et qui ont passé les concours les plus exigeants du Supérieur (agrégation de droit, de sciences politiques ou d’économie, normaliens de la rue d’Ulm en histoire, etc.). La qualité du corps professoral est donc généralement d’un excellent niveau.

De plus, comme il s’agit de l’enseignement supérieur public, les IEP sont accessibles à toutes les catégories sociales puisque les boursiers ne paieront pas de frais d’inscription et suivront gratuitement leur scolarité comme à l’Université publique.

Les IEP ont l’avantage de pouvoir sélectionner leurs étudiants à l’entrée du cursus. Cette sélection est basée sur un concours comprenant des épreuves de composition de culture générale, d’histoire et de langues. Les candidats admis ont le goût de la lecture, l’habitude des rédactions longues et font peu de fautes d’orthographe. C’est pourquoi ils ont eu dans leur très large majorité une mention très bien ou bien au baccalauréat (même si ce type de mention est largement attribué aujourd’hui, il est surreprésenté en IEP).

Le cursus classique en IEP dure 5 ans et repose nettement sur des méthodes traditionnelles d’apprentissage : cours magistraux, conférences de méthode, dissertations, commentaires de textes, grand oral. La qualité de l’expression écrite y est privilégiée. Les effectifs sont restreints (une promotion compte de 120 à 200 étudiants au maximum, les classes une vingtaine d’élèves) et les étudiants très encadrés. Il y a beaucoup de travail en commun (bien plus que dans les Universités) pour lequel il faut s’entendre un minimum avec les autres étudiants : en raison des nombreuses évaluations collectives, il est impossible de réussir Sciences Po seul.  Le cursus est découpé en 3 phases. La première consiste en 2 années de tronc commun présentant des questions contemporaines (à l’échelle de la France, de l’Europe, ou de l’international) par le prisme de grandes disciplines des sciences sociales (l’économie, le droit, la science politique, l’histoire). En 3ème année, les étudiants quittent l’établissement pour partir en échange académique dans une Université partenaire à l’étranger. Enfin les 2 dernières années (souvent accessibles par un concours d’entrée en 4ème année si l’on vient d’une licence à l’Université ou d’une autre formation) permettent de se spécialiser en choisissant un « Master » spécifique (comme les carrières publiques, les relations internationales, le journalisme, la stratégie d’entreprise, etc.). Notons que l’administration des IEP encourage les étudiants à faire de nombreux stages (pendant les vacances et en 3ème année, sans compter le stage obligatoire de fin d’études de 6 mois). De plus, les étudiants sont mieux suivis pour leur insertion professionnelle (ateliers de lettre de motivation, CV) que dans les Universités grâce notamment aux effectifs qui sont très réduits. Les étudiants peuvent alors développer une expertise dans un domaine particulier grâce aux connaissances pointues transmises tout en appréhendant les bases de la direction de projets et d’équipes. Quelques exemples de parcours : des élèves issus des écoles hors contrat sont devenus commissaire dans la Marine après l’IEP, responsables à la Fondation du Patrimoine de l’attribution des subventions aux châteaux, abbayes et églises de plusieurs départements, ou encore directeur d’hôpital. Nous connaissons nombre de hauts fonctionnaires (par exemple des diplomates, des officiers, des directeurs d’administration), des magistrats et des chefs d’entreprises passés par la voie des « Sciences Po ».

Comment tenir compte alors des objections formulées ?

Nous avons montré que les IEP dispensaient des connaissances solides dans des matières incontournables (comme le droit ou l’économie) et des enseignements qui forment la culture générale, la qualité de l’expression écrite et orale, la capacité à entreprendre des projets et à diriger des hommes. C’est justement ce dont ont besoin nos futures élites et dirigeants, plus encore que de l’apprentissage initial unique d’un métier technique ou d’une profession précise (pour ne prendre qu’un exemple : un bon médecin ne fait pas toujours un directeur d’hôpital compétent).

Rémi Brague¹ rappelait récemment que « Toute université est catholique. Si elle rejette le titre de catholique, elle cesse d’être une université. […] Certaines ne le savent pas, d’autres s’efforcent de l’oublier. Les universités européennes sont une création de l’Église, et plus spécialement rendue possible par la papauté. La corporation des maîtres et des étudiants se rattache directement au Pape de Rome, enjambant ainsi la juridiction de l’évêque local. En ce sens, <université catholique> est une tautologie. » Malheureusement, depuis la Révolution, les plus prestigieuses de nos universités (comme la Sorbonne) ont été laïcisées et ont oublié leur origine, raison pour laquelle les idéologies les plus diverses y ont cours. Que l’on soit en médecine ou en droit, en lettres ou en sciences, les études supérieures diffusent dans leur ensemble des enseignements d’État souvent contraires à la loi naturelle et au réalisme chrétien. Nous le déplorons, mais jusqu’à présent certains parviennent tout de même encore, à force de courage et grâce aux secours des sacrements à devenir de bons médecin, de bons avocats (ou juges) ou professeurs s’ils ont su se prémunir de ces erreurs (notamment par de bonnes lectures) en suivant ces études.

Quant aux Grandes Écoles, elles ont été créées à partir de la Révolution (l’une des premières est Polytechnique, fondée en 1794) pour permettre aux plus méritants de bénéficier des enseignements les plus exigeants et des meilleurs professeurs. À l’origine, les diplômés étaient souvent appelés à servir d’abord l’Empire puis la République. Cela n’a cependant pas rebuté certains des plus grands universitaires catholiques et royalistes à y enseigner ou y suivre des cours. Au XXe siècle, le philosophe thomiste Louis Jugnet enseignait la philosophie politique à Sciences Po Toulouse. Il a eu en cours l’étudiant Jean de Viguerie, lui-même devenu plus tard Professeur d’histoire à l’Université Lille III Charles de Gaulle. Ces grands noms du catholicisme traditionnel ont trouvé d’autres disciples qui enseignent encore aujourd’hui dans les IEP et les universités publiques. Il est ainsi possible de trouver dans ces écoles des antidotes aux idées révolutionnaires qui peuvent y être propagées. Signalons le véritable danger qui vient des autres élèves : ce sont avec eux que les étudiants catholiques devront travailler pour réussir leurs études. Ce sont les autres élèves qui les rejetteront et les excluront en cas de désaccords. Les Sciences Po, par leur mode de fonctionnement même (effectifs réduits, rapprochement par les travaux de groupes avec d’autres étudiants), amènent les étudiants à douter de leur foi et de leur mode de vie. Pour cette raison, il faudra vraiment déconseiller cette formation à des jeunes gens faibles, influençables et mondains.

Dans l’ensemble, quelques soient les études supérieures suivies, nos étudiants devront par nécessité acquérir une règle de vie solide pour résister au milieu moral comme aux problèmes intellectuellement délétères qu’ils seront amenés à rencontrer. Ils le pourront notamment grâce au moyen des retraites spirituelles, du suivi sacerdotal et des mouvements de jeunesse. Des jeunes gens, fermement attachés à leur foi, nourris de lectures fortes, puisant aux sources de la philosophie thomiste, proches d’un prêtre à qui ils pourront exposer leurs doutes, attachés à leur chapelet quotidien peuvent donc encore risquer cette formation.

 

Louis Lafargue 

1 IEP est l’acronyme d’Institut d’Études Politiques, nom historique de ces écoles qui ont adopté comme nom de marque « Sciences Po » suivi du nom de la ville où se trouve l’école.

2 Le taux de sélection de ces concours est d’un peu moins de 10%.

3 À partir de 2021, Sciences Po Paris, Grenoble et Bordeaux sélectionneront sur dossier et sur entretien. Les autres IEP gardent leur traditionnel concours d’entrée.

4 A l’exception notable de Sciences Po Paris, établissement public lui aussi mais qui est une « université de sciences sociales » à part entière avec près de 13000 étudiants.

1 philosophe et historien de la philosophie