AIMER, EST-CE UNE SIMPLE AFFAIRE DE CŒUR ?

Chère Bertille,

« Aimer n’est pas si simple qu’il y paraît” m’écris-tu dans ta dernière lettre, un brin désabusée.

Et pour illustrer ton propos, tu enchaînes avec une salve nourrie de questions : “Comment savoir que nous aimons vraiment ? Devons-nous nous fier à notre cœur ou au contraire nous en méfier ? Aimer n’est-ce pas au fond l’illusion suprême ?”

Puis, certainement afin d’étayer ta dernière question quelque peu lapidaire, tu affirmes avec justesse que “l’émoi peut être très illusoire et nous entraîner dans la passion qui, à terme, détruit l’amour.”

Permets-moi de poursuivre ta réflexion sur ce sujet si délicat et essentiel.

Qu’est-ce qu’aimer en effet ? Est-ce ressentir un doux sentiment qui nous charme ? N’est-ce qu’un attrait plus ou moins violent qui nous submerge et nous entraîne ? En un mot, nous appuyant sur la formule tant de fois répétée que “le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas”, devons-nous conclure qu’aimer n’est qu’une simple affaire de cœur ?

Grâce à notre formation aristotélicienne où nous avons fort heureusement appris et compris que l’homme est un animal raisonnable, nous nous inscrivons avec force en faux face à cette réduction de l’amour aux dimensions du cœur.

Certes, il est possible que nous sentions dans notre cœur un attrait puissant qui nous émeut. Nul ne nie cette éventualité qui reviendrait à renier notre propre nature. L’attrait et ses émois appartiennent en effet à notre nature sensible, animale.

Cependant réduire l’amour à n’être rien d’autre qu’un attrait, une inclination de notre nature sensible à tomber sous le charme, n’est-ce point réduire l’amour à une force aveugle qui nous entraîne dans une spirale infernale où la concupiscence, puis rapidement la sensualité, tiennent les premiers rôles ? Nous serions réduites rapidement à devenir les esclaves du plaisir, à n’être qu’un bateau ivre et bientôt une épave.

Cette spirale nous éloigne en effet dangereusement des rives du devoir et nous donnons à la  passion, à nos passions, plein empire sur le cours de notre vie. Or la passion est aveugle. Guidées par nos seuls sentiments, nous nous recroquevillons de manière très égoïste au lieu de sortir de nous-mêmes et de nous épanouir. Nous construisons notre vie sur les sables mouvants de nos sentiments changeants. Ils finiront par nous engloutir.

Aimer ne consiste pas à se laisser submerger par une vague, mais bien à s’élever au-dessus de soi et de ses propres intérêts, à s’ennoblir en cherchant un bien supérieur : le bonheur de l’autre.

Réalisons-nous ce bel idéal si notre cœur exerce un pouvoir sans partage ? Ou, pour reprendre tes propres termes « devons-nous nous fier à notre cœur ou nous en défier » ?

Nous ne doutons pas que le cœur joue un grand rôle dans l’amour. La question qui se pose ici est de savoir quelle place il lui revient.

Affirmons-le de manière claire au risque de nous répéter : il est essentiel que le cœur ne soit pas la puissance dirigeante dans l’ordre de l’amour.

Nul ne peut aimer en effet s’il ne connaît au préalable. Il est impossible que nous prétendions aimer quelqu’un que nous ne connaissions ni d’Eve, ni d’Adam ! Un parfait inconnu n’ébranle aucune puissance de notre cœur et nous restons parfaitement indifférentes en sa présence. Qui pourrait prétendre aimer sans connaître au préalable ?

Le simple bon sens nous montre que le cœur suit l’intelligence et ne saurait en aucun cas la précéder.

                                                           AZILIZ