Le couronnement d’épines
Fruit de ce mystère : Le désir de l’humilité
« Il le leur livra pour être crucifié. » C’est ainsi que commence cette scène, la plus odieuse de la Passion. Les soldats se sont emparés de Jésus. Il faut bien s’amuser un peu ! Il a dit qu’il était roi, qu’il était Dieu ? Alors voilà un lambeau d’écarlate pour jeter sur ses épaules déchirées, cela figurera l’image de César. Il faut une couronne ? Il y a dans les chemins des épines à foison ; il est facile d’en tordre une poignée et de l’enfoncer à grands coups sur sa tête. Et maintenant amusons-nous, puisqu’on l’a livré à nos caprices…
Scène de dérision, soufflets, crachats… Le sang coule sur ce visage, le sang suinte de chaque trou d’épine et lentement descend, emplissant les yeux, entraînant cette sueur glacée….Rires grossiers, larges soufflets : « Tu es roi, tiens ; voilà pour toi !… » Comme c’est drôle de souffleter à son aise le visage d’un rival de César ! La haine est peu inventive. C’est la troisième fois depuis la nuit que la scène se répète : chez Caïphe et chez Hérode aussi, on a craché au visage de Jésus, on l’a souffleté…
Voici ton Dieu Ô mon âme, regarde-le bien… celui dont le visage ravit les anges et devant lequel ils se couvrent de leurs ailes, ne pouvant en supporter l’éclat ! Qu’il est difficile de reconnaître le Dieu derrière cette face avilie, tuméfiée et salie. Il est des supplices où la majesté des martyrs se révèle ; des condamnés qui devant la mort peuvent porter très haut le prestige de l’homme.
O Marie ! Où étiez-vous dans cette matinée tragique ? Tout à l’heure vous allez rencontrer votre fils, à ce coin de rue où notre piété s’arrête pour vénérer la quatrième station. Vous le verrez avec son visage couvert de poussière, la sueur de l’agonie, la souillure immonde des crachats, le sang collé comme par plaque, ce visage que Véronique n’a pas encore, le cœur battant follement d’amour, essuyé pour l’éternité dans les plis de son voile ! Vous seule, parce que vous êtes sa Mère, devant ce visage avili, pouvez retrouver sa beauté première. O Marie ! Visage qu’un seul regard de votre amour va laver de toutes souillures avant que Véronique n’emporte pour nous, pour toujours, l’empreinte sacrée de cette face mystérieusement humiliée.
Mais il ne faut pas que seule Véronique l’emporte avec elle ! Il faut que je l’aie devant les yeux pendant que je récite cette dizaine et que je comprenne le sens de ces mystérieux abaissements. Jésus ne s’est livré aux outrages que pour nous mieux montrer les ravages de l’orgueil. Entre tous les péchés du monde, c’est l’orgueil qui, en ces heures tragiques, bafoue le Christ et lui crache au visage. Les autres péchés ont pu déchirer ses épaules avec les fouets mais ils n’ont pas osé toucher à la noblesse du visage.
Est-ce que je sais ce que c’est que l’orgueil ? Est-ce que je ne me refuse pas d’appeler par son vrai nom ce que je nomme : dignité, respect de soi, que sais-je ? Et l’humilité ne me semble-t-elle pas comme la plus étroite des vertus du christianisme ? Et ma dignité humaine ? Et mon épanouissement personnel ? Je veux grandir, je veux m’élever, qu’on ne me demande pas de me ratatiner en compagnie de cette humilité aux yeux baissés !
Humilité, vertu de grandeur et non de petitesse ! Je n’ai rien compris si je pense que l’humilité rapetisse. C’est l’orgueilleux qui n’est qu’un nain grimpé ridiculeusement sur un pauvre escabeau et qui se contorsionne pour faire croire à la grandeur de sa taille. Les plus grands sont ceux qui le sont en Dieu, et les plus fiers, et les plus nobles. Oh ! Humilité des saints qui permet à Jeanne d’Arc de regarder ses juges avec un si fier sourire et une si crâne audace…
L’humilité, c’est simplement la vérité, celle qui d’un coup d’épingle dégonfle toutes les illusions derrière lesquelles nous dissimulons notre vraie nature. C’est ce regard tranquille et audacieux que nous jetons dans notre miroir intérieur. Je suis cela et pas autre chose. Voici en moi ce qui est de moi-même et ce qui est de Dieu. De Dieu, je tiens toutes mes qualités. Le bien, je ne le fais qu’avec Lui. Le mal seul m’appartient en propre.
Que de fois ai-je dit en regardant un de mes frères : « Seigneur, je vous remercie de n’être pas cet homme là ! » Mais qu’est-ce que je suis au fond ? Avoir été préservée de la tentation, voilà peut-être tout mon secret à moi qui me pavane dans ma grandeur factice… Et ceux que je juge m’auraient devancée à la course s’ils avaient reçu les mêmes grâces ! L’orgueil est si souvent à la racine de mes actes ; c’est lui qui dresse tant de barrières entre les autres et moi, suscite mes impatiences, mes susceptibilités, ces petits mots aigres et vifs qui me montent aux lèvres, ces lourdes rancunes que je rumine longtemps derrière un front en apparence oublieux, ou bien ces impatients besoins de me justifier à tout prix et d’avoir le dernier mot : c’est moi qui ai raison n’est-ce pas ?… C’est lui qui arrête sur mes lèvres les mots d’excuses qui aplaniraient bien des difficultés. C’est lui qui m’empêche de pardonner… Voyons, il en va de ma dignité… Est-ce à moi de faire le premier pas ?
Vierge Marie je veux réciter mon chapelet en votre compagnie. Mère chérie apprenez-moi à prendre, non pas de ces belles résolutions qu’on inscrit avec fierté, mais suggérez-moi les résolutions pratiques qui feront lentement dissoudre en moi la carapace de mon orgueil secret. Aidez-moi pour qu’à la fin de cette dizaine je sache sourire désormais avec un cœur pacifié et que quand les mots amers me monteront devant un reproche, une humiliation, une injustice, faites que je revoie le divin visage que Véronique me tend dans les plis de son voile.
Celui dont l’humilité s’appuie sur la force de Dieu n’a jamais eu peur de rien ni de personne, ni de lui-même ! Il est à l’abri de tous ces découragements qui prennent leur source dans un orgueil subtil. Je ne peux rien mais Dieu peut tout. On ne bâtit rien de durable sur l’orgueil. Je veux construire sur Dieu seul ma petite vie d’amour, être avec Lui un cœur lumineux et compatissant qui comprend et ouvre le cœur des autres, et sait créer de la joie et de l’amour.
D’après Paula Hoesl