La paix… Qui n’a jamais voulu la posséder entièrement, cette paix que tous recherchent mais que bien peu trouvent ? Que ne serions-nous prêts à sacrifier pour l’obtenir, ne serait-ce que quelques instants ? C’est ce que semble entendre Voltaire lorsqu’il la met au-dessus de la vérité, lui qui a été si dogmatique durant sa vie. La paix… les peuples l’ont chérie, les nations ont même, chose étrange, combattu en son nom, les civilisations ont été par elle grandes. Les parents la veulent pour leurs enfants, les enfants la souhaitent à leur parents, le foyer se construit tout autour et avec elle prospère et grandit. Elle est le plus grand bien que l’on peut avoir, alors pourquoi ne pas sacrifier pour elle les immanquables querelles qu’entraînent les débats stériles sur une vérité que personne ne comprendra jamais et, qui, somme toute, semble bien subjective ? Pourquoi paix et vérité s’opposent-elles systématiquement alors que si chacun acceptait le point de vue de l’autre nous pourrions tous vivre en harmonie ? Combien actuel est ce message que nous entendons à droite et à gauche, mais combien est-il destructeur pour ce monde si pacifique en apparence ! Essayons d’y voir plus clair dans ce labyrinthe édifié par des maîtres sophistes et voyons en quoi consistent la paix et la vérité et quelle est leur relation.
Pourquoi la paix est-elle si importante pour l’homme ? Tout simplement parce qu’elle signifie que nous nous trouvons dans un état où sont exclues la contrainte, la douleur, l’inquiétude, la difficulté. Mais ce n’est pas tout : la paix est aussi intimement liée au bonheur car elle permet de goûter pleinement ce que l’on aime, sans inquiétude de le perdre. La paix est ce sentiment de plénitude, de contentement qui vient nous remplir une fois que nous avons atteint l’objet que nous cherchions. Nous recherchons à la fois l’objet pour ce qu’il représente (un travail, l’estime de nos pairs, …) mais aussi pour la paix qu’il nous apportera, pour le vide qu’il viendra combler, et c’est pour cela que l’on peut dire que tout acte humain est fait en vue de la paix, que même la guerre est faite en vue de la paix. Encore une fois, tout ce que l’homme fait est dirigé vers ce « quelque chose » qui lui manque, et c’est pourquoi la paix est le motif de chacun de nos actes. Nous cherchons à remettre dans l’ordre ce qui est déréglé, ce qui n’est pas droit, c’est pourquoi saint Augustin dit de la paix qu’elle est « la tranquillité de l’ordre ». Bien sûr, plus grand est l’objet recherché, plus grande sera la paix que nous en tirerons, et l’objet le plus grand que l’homme peut rechercher n’est autre que Dieu, c’est pourquoi il est dit dans l’Evangile « Recherche la paix et poursuis-la ». Mais pourtant nous observons au quotidien des gens qui ne connaissent pas Dieu, qui le haïssent même et qui pourtant semblent goûter la paix chaque jour de leur vie : ils sont respectés, entourés, comblés de biens et de faveurs. Comment expliquer que les méchants soient dans la paix malgré leur injustice ? A cela saint Thomas répond : « la vraie paix n’est compatible qu’avec le désir d’un bien véritable », et il ajoute « car le mal, même s’il a quelque apparence de bien (…), comporte pourtant beaucoup de défauts à cause desquels l’appétit demeure inquiet et troublé », et il termine ainsi : « La vraie paix ne peut donc exister que chez les bons et entre les bons ». La paix des méchants ne peut donc qu’être apparente et pourtant c’est celle que recommande Voltaire, nous allons voir comment.
Lorsque Voltaire affirme que « la paix vaut encore mieux que la vérité », il faut entendre deux sens à ce « encore ». Tout d’abord il signifie que si l’on en venait à comparer paix et vérité la première serait d’un prix beaucoup plus élevé que la seconde, et donc à lui préférer. Ensuite il signifie un rejet implicite de cette vérité qui semble si peu importante voire même ennemie de notre paix. Et qui en effet n’a jamais, au moins une fois, mis de côté cette vérité par lassitude, pour éviter d’envenimer une discussion avec un ami ou un proche ? Il ne faut pas parler là de la prudence qui dans certains cas nous commande de nous taire pour qu’un mal plus grand ne soit pas causé, mais bien de cette opposition qui se fait en nous entre notre désir profond de paix et notre volonté de partager la vérité. La vérité est en effet un bien qui se diffuse, qui ne peut pas rester confiné. Naturellement, nous voulons transmettre la vérité aux autres parce qu’elle est le guide de tout l’agir humain, parce qu’elle est la clé du bonheur. Le problème est qu’elle vient bien souvent nous contrarier dans nos habitudes de vie, dans notre confort –nous parlons là bien sûr de la Vérité avec un grand V, celle qui nous éclaire sur ce qui est moral ou non, sur les réalités spirituelles- et alors grande est la tentation de la laisser passer sans réagir, de lui préférer l’instant présent. On aboutit immanquablement au subjectivisme où l’on considère que « à chacun sa vérité », que « s’il est heureux comme cela, alors c’est bien », etc… Nous créons, sur les pas de Voltaire, une opposition entre paix et vérité alors même qu’elles sont toutes deux complémentaires comme nous l’avons dit plus haut avec saint Augustin : « La paix est la tranquillité de l’ordre », et cet ordre étant bien évidemment soumis à la vérité.
Il suffit pour s’en convaincre de considérer ceux qui se sont adonnés à la recherche de cette vérité, les moines, les grands philosophes chrétiens : la paix les habite parce qu’ils sont en contact permanent avec la Vérité. Ce sont des exemples vers lesquels tout chrétien et même tout homme peut tendre s’il est animé du désir sincère de la vérité. Rien ne peut détacher l’homme de cette paix puisqu’il sait, il sait la grâce, la vie après la mort, le Ciel et l’Enfer, le Jugement, le Bien et le Mal. Il sait quel est le but de son chemin terrestre et quel est le moyen d’y arriver : quel est alors ce qui pourrait le troubler et le détourner de ce chemin ? La vérité est le plus grand et le plus précieux de tous les biens que peut posséder l’homme car de lui découle son bonheur, et c’est pourquoi le plus ignorant des hommes qui sait ne serait-ce que l’existence de Dieu et sa bonté est plus riche en savoir que le savant athée, ennemi de la religion ou même simplement indifférent. Et l’on voudrait cacher ces vérités sous le prétexte qu’elles viendraient troubler notre paix ? C’est aussi grave que de priver un mourant de la visite du prêtre parce que ce dernier risque de le troubler, de lui faire peur. La vérité est d’un prix tellement élevé que des royaumes chrétiens ont fait la guerre contre l’hérésie, parce que la paix éternelle de millions d’âmes était en jeu. Accepter de sacrifier la vérité pour conserver la paix est un contresens qui mène de manière absolument sûre à la mort de l’âme et à la nécrose spirituelle.
Certes, la paix est extrêmement importante pour l’homme : sans paix, rien de ce que nous ne pouvons faire n’est appelé à durer et notre bonheur en serait grandement compliqué. Mais cette paix ne peut être réelle, durable, que si elle est s’accompagne d’une recherche, d’une soumission à la vérité. Voltaire commet l’erreur de confondre la paix purement naturelle de l’homme du monde avec celle plus spirituelle de l’homme de l’Eglise. Pour le premier elle est un absolu pour lequel il est prêt à sacrifier la vérité sans sourciller. Pour le second, elle n’est qu’une conséquence de la vérité, de la découverte de ce qui surpasse l’homme.
« Point de paix dans l’homme dont les pensées, les affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l’ordre et à la vérité et à la volonté de Dieu ». (Imitation de Jésus-Christ, II, 3)
Un animateur de MJCF