La Prière

Chère Bertille,

           J’ai relu récemment un texte du Père Garrigou-Lagrange sur la prière que je trouve très intéressant et que je souhaite te faire partager. Il explique ce qu’est la prière et quelle est notre place vis-à-vis de Dieu.

« Demandez et vous recevrez » a dit Notre-Seigneur. « Il faut toujours prier » ajoutait-Il. Il importe donc de se faire une juste idée de l’efficacité de la prière, de la source même de cette efficacité et du but auquel toute vraie prière doit être ordonnée. Voici ce que saint Thomas à la suite de saint Augustin nous enseigne sur ce grand sujet1.

  Nous avons l’air de croire parfois que la prière est une force qui aurait son premier principe en nous, et par laquelle nous essayerions d’incliner la volonté de Dieu, par manière de persuasion. Et aussitôt notre pensée se heurte à cette difficulté, souvent formulée par les incrédules, en particulier par les déistes : la volonté de Dieu, personne ne peut la mouvoir, personne ne peut l’incliner. Dieu sans doute est la bonté qui ne demande qu’à se donner, Dieu est la miséricorde toujours prête à venir au secours de celui qui souffre et qui implore, mais il est aussi l’Etre parfaitement immuable. La volonté de Dieu de toute éternité est aussi inflexible qu’elle est miséricordieuse. Personne ne peut se vanter d’avoir éclairé Dieu, de lui avoir fait changer de volonté. « Ego sum Dominus, et non mutor ». Par son décret providentiel, fortement et suavement, l’ordre du monde, la suite des événements, sont irrévocablement fixés d’avance.

  Faut-il conclure que notre prière ne peut rien, qu’elle vient trop tard, que si nous prions, aussi bien que si nous ne prions pas, ce qui doit arriver arrivera ?

 

  La parole de l’Evangile demeure : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». – La prière, en effet, n’est pas une force qui aurait son premier principe en nous, ce n’est pas un effort de l’âme humaine, qui essaierait de faire violence à Dieu, pour lui faire changer ses dispositions providentielles. Si l’on parle ainsi quelquefois, c’est par métaphore, c’est une manière humaine de s’exprimer. En réalité la volonté de Dieu est absolument immuable, mais c’est précisément dans cette immuabilité qu’est la source de l’infaillible efficacité de la prière.

  C’est au fond très simple : la vraie prière par laquelle nous demandons pour nous, avec humilité, confiance et persévérance, les biens nécessaires à notre sanctification, est infailliblement efficace, parce que Dieu, qui ne peut se dédire, a décrété qu’elle le serait, et parce que Notre Seigneur nous l’a promis2.

  Un Dieu qui n’aurait pas prévu et voulu de toute éternité les prières que nous lui adressons, c’est là une conception aussi puérile que celle d’un Dieu qui s’inclinerait devant nos volontés et changerait ses desseins. Non seulement tout ce qui arrive a été prévu et voulu ou tout au moins permis d’avance par un décret providentiel, mais la manière dont les choses arrivent, les causes qui produisent les événements, tout cela est fixé de toute éternité par la Providence. Dans tous les ordres, physique, intellectuel et moral, en vue de certains effets, Dieu a préparé les causes qui les doivent produire. Pour les moissons matérielles, il a préparé la semence ; pour féconder une terre desséchée, il a voulu une pluie abondante ; pour une victoire qui sera le salut d’un peuple, il suscite un grand chef d’armée ; pour donner au monde un homme de génie, il a préparé une intelligence supérieure, servie par un cerveau mieux fait, par une hérédité spéciale, par un milieu intellectuel privilégié. Pour régénérer le monde aux périodes les plus troublées, il a décidé qu’il y aurait des saints. Et pour sauver l’humanité, depuis toujours la divine Providence avait préparé la venue du Christ Jésus. Dans tous les ordres, du plus infime au plus élevé, en vue de certains effets, Dieu dispose les causes qui les doivent produire. Pour les moissons spirituelles comme pour les matérielles, il a préparé la semence, et la moisson ne s’obtiendra pas sans elle.

  Or, la prière est précisément une cause ordonnée à produire cet effet, qui est l’obtention des dons de Dieu, nécessaires ou utiles au salut. Toutes les créatures ne vivent que des dons de Dieu, mais la créature intellectuelle est seule à s’en rendre compte. Les pierres, les plantes, les animaux reçoivent sans savoir qu’ils reçoivent. L’homme, lui, vit des dons de Dieu, et il le sait ; si le charnel l’oublie, c’est qu’il ne vit pas en homme ; si l’orgueilleux ne veut pas en convenir, c’est qu’il n’y a pas de pire sottise que l’orgueil. L’existence, la santé, la force, la lumière de l’intelligence, l’énergie morale, la réussite de nos entreprises, tout cela est don de Dieu, mais par-dessus tout la grâce, qui nous porte au bien salutaire, nous le fait accomplir, et nous y fait persévérer.

  Faut-il s’étonner que la divine Providence ait voulu que l’homme, puisqu’il peut comprendre qu’il ne vit que d’aumônes, demandât l’aumône ? Ici comme partout Dieu veut d’abord l’effet final, puis il ordonne les moyens et les causes qui le doivent produire. Après avoir décidé de donner, il décide que nous prierons pour recevoir, comme un père, résolu d’avance d’accorder un plaisir à ses enfants, se promet de le leur faire demander. Le don de Dieu, voilà le résultat, la prière voilà la cause ordonnée à l’obtenir ; elle a sa place dans la vie des âmes pour qu’elles reçoivent les biens nécessaires ou utiles au salut, comme la chaleur et l’électricité ont leur place dans l’ordre physique.

  Jésus, qui veut convertir la Samaritaine, lui dit, pour la porter à prier : « Si tu savais le don de Dieu, c’est toi qui m’aurais demandé à boire, et je t’aurais donné de l’eau vive…jaillissant en vie éternelle ».

  De toute éternité, Dieu a prévu et permis les chutes de Marie-Madeleine, mais il a ses desseins sur elle ; il veut rendre la vie à cette âme morte ; seulement il décide aussi que cette vie ne lui sera rendue que si elle le désire, que l’air respirable ne sera rendu à cette poitrine, que si cette poitrine veut s’ouvrir, que si Madeleine veut prier, et il décide aussi de lui donner une grâce actuelle très forte et très douce qui la fera prier. Voilà la source de l’efficacité de la prière. Soyez sûrs que lorsque Madeleine aura prié, la grâce sanctifiante lui sera donnée, mais soyons sûrs aussi que sans cette prière elle restait dans son péché.

  Il est donc aussi nécessaire de prier pour obtenir les secours de Dieu dont nous avons besoin, pour observer la loi divine et y persévérer, qu’il est nécessaire de semer pour avoir du blé.

  Ne disons donc pas : « Que nous ayons prié ou non, ce qui devait arriver arrivera » : ce serait aussi absurde que de dire : « Que nous ayons semé ou non, l’été venu, si nous devons avoir du blé, nous en aurons ». La Providence se préoccupe non seulement des résultats, des fins, mais aussi des moyens à employer, et elle sauvegarde la liberté humaine par une grâce aussi douce qu’elle est forte, « fortiter et suaviter ». « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, Il vous le donnera ».

Anne  

1 Cf Iia IIae, q 83, a.2.

2 Iia, IIae, 83,15