« Tu crois avoir à peu près tout connu de cette France à l’agonie, et ce n’est encore rien, rien face au désastre qui vient. La crise finale approche. Tu le sens. Tu le sais. Il faut quand même qu’on en parle. Tu vas rester assis chez toi sans rien faire, et laisser la fin venir te trouver, c’est ça ton projet ? »
C’est par ces mots que commence le dernier ouvrage de Monsieur Laurent Obertone. Cet auteur se propose, page après page, à la manière d’un traité ascétique naturel ou d’un programme de musculation éthique, de reconstruire l’homme en lui injectant, « une ampoule de réel à très haute dose ». Le titre de ce livre, c’est « Eloge de la force ». La vertu de force a fait l’objet du n°23 de Foyers Ardents et elle est tellement importante à l’heure actuelle que nous voudrions vous proposer une réflexion supplémentaire à ce sujet.
Ce monde ne vous convient pas, cher lecteur ? Changez le vous-même. Il y en a assez de se lamenter dans son coin ou de passer son temps à pleurnicher sur les réseaux sociaux ou en sortie de messe. Mais attention au « sursaut en forme de rage de dents1 ». Sinon nos ennemis vous briseront net. Comme on l’a souvent répété dans cette chronique, il vous faut réfléchir avant d’agir. Et pour réfléchir correctement, il vous faut commencer par vous mettre à l’école de maîtres et d’auteurs de qualité. Vous serez alors armés (intellectuellement) pour commencer à changer les choses.
Marcel de Corte a rédigé quatre livres sur chacune des vertus : la prudence, la justice, la tempérance et la force. Une librairie paroissiale s’étant procurée lesdits ouvrages en plusieurs exemplaires, quel ne fut pas mon étonnement que de voir tous ces volumes trouver preneurs les uns après les autres, sauf celui consacré à la vertu de force. C’est une anecdote, certes, mais révélatrice. Passons.
La vertu, il nous faut l’acquérir : peut-on laisser la force de côté ? « Le mot vertu désigne une perfection dans une puissance. Or la perfection de chaque chose tient principalement dans le rapport qu’elle soutient avec sa fin2. » Et saint Thomas d’Aquin d’ajouter que « les puissances rationnelles propres à l’homme, ne sont pas déterminées par elles-mêmes à une seule action, elles restent indéterminées à l’égard de plusieurs tant que l’habitus ne vient pas la déterminer à des actes précis. Voilà pourquoi les vertus humaines sont des habitus. » Ainsi chaque vertu imprime une façon d’être et donc d’agir dans nos vies : ce que l’Aquinate nomme précisément l’habitus. La vertu est ensuite ce qui permet à l’homme d’acquérir sa finalité. (Nous n’aborderons pas la question de l’articulation entre les vertus naturelles acquises et les vertus surnaturelles infuses : pour une vue précise se reporter à l’ouvrage du Père Froget3.)
La force est la vertu qui correspond à la puissance irascible de l’homme. Cette puissance est ce qui nous permet d’éprouver cinq passions : l’espoir ou son opposé, le désespoir, l’audace ou au contraire, la crainte et enfin, cette passion ni bonne ni mauvaise sans la notion de justice : la colère. L’irascible est en nous ce qui joue le rôle de source d’énergie qui permet d’entreprendre ou non une action. Allons plus loin. Dans l’homme, comme dans l’univers, tout est ordre. On ne doit pas concevoir une chose sans l’ordre dans lequel elle est enchâssée. Ainsi chaque puissance de l’âme et chaque vertu sont connectées les unes aux autres dans une sorte d’enchaînement d’activité. « La force est une vertu générale, ou plutôt la condition générale de toute vertu4». Donc s’il y a une vertu à cultiver en premier, et à posséder dans une intensité maximale, c’est bien la vertu de force.
Marcel de Corte l’explique : « [La vertu de force] ne consiste pas seulement aujourd’hui à tenir ferme dans les périls corporels, mais à maintenir l’essence de l’homme, et avant tout sa nature d’animal politique tant au plan naturel qu’au plan surnaturel, contre les dangers de plus en plus nombreux qui la menacent de mort, et à contre-attaquer les ennemis qui pullulent autour d’elle et tentent de l’asservir ». « La vertu de force supporte et repousse les assauts et les périls extrêmes dans lesquels il est le plus difficile de rester ferme. La force inclut la résistance à un monde extérieur ennemi ou à un autrui antagoniste qui attaque l’être humain en sa réalité propre ». « Du fait que l’acte principal de la force soit de résister, il ne faudrait pas conclure qu’il consiste uniquement dans la défensive […]. La vertu de force implique secondairement, mais nécessairement, l’attaque5. » On pointe directement du doigt la portée de cette vertu : elle maintient l’homme dans son être même et précisément dans sa nature, donc dans l’ordre dans lequel l’homme est inclus, qui est social et politique.
Quand on a dit tout cela, qu’est-ce qu’on a dit ? Rien du tout. Parce qu’aussi vrai que puisse être cet exposé succinct et incomplet, il n’en reste pas moins un article qui sera lu à la hâte et vite oublié. Que le lecteur nous pardonne alors d’oser un coup de force. La vertu n’est pas une chose abstraite, elle concerne l’homme qui vit ici et maintenant, dans le monde réel, ce monde-là dehors, qui est, notamment pour vous, cher lecteur, à la fois la condition de votre confort spirituel actuel (chapelles, écoles libres, etc…) et la cause de votre survie physique (allocations familiales, justice, santé, organisation de la cité, etc…). Ainsi cette vertu de force dont parlent saint Thomas et Marcel de Corte, vous concerne directement. Parce qu’il faut absolument se souvenir de cette terrible sentence de Bossuet : « Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer6 ».
Raphaël Laserna