A propos de la polémique sur le secret de confession
L’actualité liturgique et sociétale de cet automne 2021 est largement consacrée aux relations entre l’Eglise et l’Etat. L’évangile du 22ème dimanche après la Pentecôte rappelle le précepte rendez à César ce qui est à César, mais à Dieu ce qui est à Dieu tandis que, le dimanche suivant, jour de la fête du Christ-Roi, l’Eglise proclame la royauté sociale de Jésus-Christ qui est l’antithèse du laïcisme. Nous pouvons y voir les réponses catholiques à certaines recommandations de la Commission Sauvé sur les abus dans l’Eglise et aux déclarations de plusieurs hommes politiques français qui, en demandant à celle-ci d’introduire des exceptions au secret de la confession, veulent promouvoir la supériorité de la loi civile sur la loi religieuse, fût-elle d’origine divine. Ce principe erroné, qui sous-tend la récente loi confortant le respect des principes de la République, pourrait, en effet, servir de fondement à une remise en cause du secret de la confession, et, peut-être même un jour, d’autres règles canoniques en vigueur dans l’Eglise.
L’importance que l’Eglise attache au secret de la confession est suffisamment connue pour qu’il ne vaille pas la peine de s’y étendre : le concile de Latran IV, réuni en 1215, l’a proclamé de façon solennelle en même temps qu’il instituait l’obligation de la confession annuelle. Plus récemment, le code de droit canonique de 1917 affirme que « le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi le confesseur veillera diligemment à ne pas trahir le pécheur ni par parole, ni par signe, ni d’une autre façon pour n’importe quel motif ». Aucune exception ne peut donc justifier la levée du secret et ce, que le confesseur ait donné ou non l’absolution au pénitent. Ces règles ont été maintenues dans le nouveau code de 1983.
En droit laïc français, le secret de la confession est placé sous le régime du secret professionnel et est protégé à ce titre. Le principe même d’un secret professionnel est nécessaire au bien commun et doit être respecté en particulier par les médecins, les notaires, les avocats, les militaires, ainsi que certains fonctionnaires et salariés. La formulation de l’article 226-13 du code pénal est très large et vise la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. Ce délit est sanctionné par une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Cette interdiction de révéler le secret s’applique aux membres du clergé puisque deux arrêts rendus par la Cour de cassation en 1810 et en 1891 ont inclus le secret de la confession dans le secret professionnel tel qu’il est défini dans le code pénal. Un arrêt beaucoup plus récent, rendu en 2002, rappelle l’obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur ministère, ce qui est plus large que la communication d’une « information » par le pénitent au confesseur pendant le sacrement de la pénitence qui seule bénéficie de la protection édictée par le code de droit canonique.
Une dérogation à la règle du secret est prévue pour donner à son détenteur la possibilité de s’en libérer afin de lui donner la faculté de dénoncer aux autorités certaines atteintes ou mutilations imposées à un mineur. Il ne s’agit en aucun cas d’une obligation mais d’une simple possibilité alors qu’une dénonciation est obligatoire pour les personnes qui ne sont pas soumises au secret professionnel et qui viendraient à avoir connaissance de tels faits. L’obligation de dénonciation s’efface alors devant le secret professionnel mais peut justifier une exception à celui-ci. Autrement dit, la loi civile permet, dans certaines circonstances, au prêtre de dévoiler le secret dont il est dépositaire, sans qu’il soit obligé de le faire, alors que la loi ecclésiastique l’interdit dès lors que les faits lui ont été révélés dans le cadre du sacrement de pénitence.
La loi ecclésiastique et la loi civile sont donc parfaitement compatibles et les deux condamnations d’évêques français prononcées au XXIème siècle pour non-dénonciation d’atteinte sur mineurs ne remettent pas en cause cette appréciation. Le 4 septembre 2001, Mgr Pican, alors évêque de Bayeux-Lisieux, a été condamné à trois mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Caen pour ne pas avoir dénoncé un prêtre de son diocèse coupable d’abus sur mineurs. C’était la première condamnation d’un évêque français en matière pénale depuis la Révolution de 1789 et la première en Europe pour un ecclésiastique de ce rang. Le jugement retient que l’évêque s’est abstenu de dénoncer les faits commis par un prêtre de son diocèse dont il était le supérieur hiérarchique. Pour le tribunal, l’option de conscience, tirée du secret professionnel, ne pouvait s’appliquer dans le cas d’espèce car l’évêque avait eu connaissance des faits non seulement en dehors de toute confession mais grâce à une information que lui avait transmise le vicaire général du diocèse, lui-même alerté par la mère de l’enfant. Le jugement applique la notion de secret professionnel aux faits révélés directement par la personne concernée et portant sur sa propre histoire. Pour mesurer le chemin parcouru depuis 2001, rappelons seulement que Mgr Pican est resté en fonction à la tête de son diocèse jusqu’en 2010, année pendant laquelle il a atteint la limite d’âge qui s’applique à l’épiscopat, et qu’il a même reçu une lettre de félicitations du cardinal Castrillon Hoyos, préfet de la congrégation du clergé, pour ne pas avoir dénoncé un de ses fils à l’autorité civile.
Le 22 novembre 2018, Mgr Fort, évêque d’Orléans au moment des faits, a été condamné à huit mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d’Orléans pour non-dénonciation d’atteintes sur mineurs commises par un prêtre de son ancien diocèse dont il avait été informé par un courrier que lui avait envoyé la victime. Il faut noter dans le second cas une sanction plus sévère que dans le premier cas de dix-sept ans antérieur. En outre, même si cette circonstance n’entre pas dans la définition du délit reproché, dans ces deux affaires, les évêques avaient maintenu dans leurs fonctions ou dans des fonctions exposées aux mineurs les prêtres en question.
Le rapport de la commission Sauvé, mise en place par l’épiscopat français pour enquêter sur les abus sur mineurs commis par certains clercs, qui propose de faire évoluer la législation de l’Eglise sur le secret de la confession, ne laisse pas de surprendre et d’inquiéter. L’objectif poursuivi par les auteurs du rapport est, en obligeant les confesseurs à révéler ce type d’actions, d’en prévenir leur commission à l’avenir. Divers Etats fédérés américains et australiens ont engagé des réformes qui obligeraient le prêtre à violer le secret de la confession à cette fin.
De surprendre, car le secret de la confession non seulement garantit la liberté de la personne dans sa relation à Dieu mais est également une condition de la sincérité dans l’accusation. Une telle mesure serait sans effet pratique car il est déjà peu probable que les auteurs de ces délits s’accusent de ces délits à des prêtres qui les connaissent et il est à peu près certain qu’ils le feraient encore moins s’ils n’avaient plus la garantie du secret absolu de leur accusation, sauf peut-être s’il s’agissait d’une confession in articulo mortis qui serait sans effet sur le plan des poursuites pénales.
D’inquiéter car une telle législation si elle était mise en place serait un grave empiètement de l’Etat dans le libre exercice du culte. De séparée de l’Etat, l’Eglise deviendrait subordonnée à celui-ci. On en revient aux paroles de Clémenceau parodiant au début du siècle dernier le précepte évangélique rendez à César ce qui est à César et tout est à César. L’on pourrait même craindre d’autres incursions du pouvoir temporel dans le pouvoir spirituel. Pourquoi les pouvoirs publics ne demanderaient-ils pas aux associations à objet religieux et à statut civil, et même aux associations cultuelles, d’introduire la parité entre hommes et femmes dans leurs organes d’administration ? Le fait que les femmes ne puissent accéder au sacerdoce ne constituerait-il pas une discrimination injustifiée dont les pouvoirs publics devraient s’émouvoir et qu’ils pourraient sanctionner ? Qu’en sera-t-il de la prédication concernant certains actes contre nature interdits par la loi ecclésiastique et autorisés, pour ne pas dire plus, par la loi civile, voire même de l’interdiction en elle-même de certaines pratiques ? Nous ne sommes évidemment pas parvenus à un tel stade mais il convient de rester vigilant. Les réactions timides, tant de la conférence épiscopale française que du Vatican, sur l’éventualité d’une levée du secret de la confession par les pouvoirs publics de notre pays ne sont guère encourageantes, surtout après la reconnaissance par les évêques français de la responsabilité institutionnelle de l’Eglise dans les dérives de quelques-uns de ses fils.
Cela dit, il faut bien admettre qu’en se limitant à demander aux Etats, au nom du principe de la liberté religieuse affirmé par le concile Vatican II, la seule protection du droit commun et en refusant par principe tout statut protecteur qui lui soit propre, l’Eglise catholique s’est considérablement affaiblie à l’égard des autorités publiques. De même que, chez beaucoup de catholiques et pas seulement chez les laïcs, la foi tend à devenir une opinion comme les autres, l’Eglise est considérée comme une institution, voire même une association, comme les autres à laquelle le pouvoir civil peut, sans ménagement, imposer sa loi en fonction des idées et des majorités politiques du moment.
Nous sommes loin de la royauté sociale du Christ qui soumet à la loi divine les individus et les sociétés, y compris les Etats. Un jour viendra où l’ordre voulu par Dieu sera rétabli mais il n’est pas de victoire sans combat.
Thierry de la Rollandière