« Venez voir la beauté, la clarté du Sauveur,
Et admirez en lui les beautés immortelles. »1
L’empire du laid a si détestablement envahi les rues de nos cités qu’on peut le considérer comme l’une des manifestations les plus significatives et les plus déplorables de l’apostasie qui y règne, en lieu et place de la loi de Jésus-Christ. Le citoyen, en effet, a besoin du Beau au même titre qu’il a besoin du Juste ou du Vrai, qu’il a besoin de Dieu. Les forces maçonniques à la manœuvre dans les institutions culturelles et universitaires le savent bien qui, au nom du subjectivisme, ont sans discontinuité contesté l’objectivité du Beau et fait de la revendication du « moche » un droit pour tous. Jean Ousset dénonça en son temps cette manipulation idéologique. Il expliqua que, si la plénitude du Beau peut parfois être difficile à percevoir, « cela ne diminue en rien son caractère objectif, tout comme le caractère objectif d’une découverte scientifique ne saurait être contesté, sous prétexte que ladite découverte fut particulièrement compliquée.»2 Contester le caractère objectif du Beau, autour duquel s’était construite une forme de lien social pérenne et de décence esthétique commune, revient donc non seulement à précipiter la déconstruction de ce lien et l’abandon de cette décence, mais surtout à ériger le laid comme mode d’expression privilégié de tout individu en quête d’une reconnaissance au sein de son empire médiatique. Cela revient à déspiritualiser le champ de l’apparence du monde.
Il fut un temps où les peintres de la Contre-Réforme s’adonnaient aux Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola. Dans la pratique de leur art, ils respectaient ainsi au mieux la « composition du lieu » que le saint hidalgo y préconise. D’abord conçue en une intelligence contemplative, l’image ne prenait qu’ensuite forme dans la matière, lors de la réalisation effective de leur toile. Pierre Gibert a consacré un ouvrage édifiant à cette pratique de la peinture, qu’on pourrait qualifier de théologique, à travers l’observation d’œuvres de Poussin, Morales, Rubens, Lotto, Vermeer…3
Il a démontré que l’agencement de leurs sujets reproduit souvent les suggestions des préambules données dans les Exercices spirituels : « Me rappeler l’histoire de ce que j’ai à contempler… Voir le lieu… Voir les personnages les uns après les autres… Entendre ce que disent les personnages… Ensuite, regarder ce qu’ils font, etc. » On pénètre par exemple dans cette Adoration des bergers (Rubens, 1608, cathédrale de Soissons) selon les indications très précises consignées au n°114 : « Dans le premier point, je verrai les personnes : Notre-Dame, Joseph, la servante, et l’Enfant Jésus lorsqu’il sera né. Je me tiendrai en >>> >>> leur présence comme un petit mendiant et un petit esclave indigne de paraître devant eux. Je les considérerai, je les contemplerai, je les servirai dans leurs besoins avec tout l’empressement et tout le respect dont je suis capable, comme si je me trouvais présent. » Il est frappant de constater que le regard de « ce petit mendiant » est à la fois celui du personnage, du peintre et du spectateur de la scène. Par sa technique, certes, mais avant tout par sa spiritualité et son intelligence contemplative, l’artiste s’est hissé à la hauteur de cette plénitude objective de l’œuvre, si nécessaire au partage du Beau.
L’architecte Soufflot énonça de même quatre règles à respecter dans la conception d’un bâtiment, règles nécessaires « dont le respect assure le succès à tout architecte de bon sens »4 : l’utilité, qui détermine le rapport du bâtiment à l’usage qui lui est imparti, la sûreté, seule garante de la sécurité des gens appelés à le fréquenter, la convenance, qui insère l’ouvrage dans le paysage, la symétrie, qui confère à l’édifice son unité et sa beauté. Or tout ce qui, de nos jours, se prétend artistique revendique partout l’éphémère (graffitis, clips, tags), l’incongru (piercings, tatouages), l’abstraction (art contemporain), le virtuel (« œuvres » numériques) et, toujours, une certaine et spectaculaire prouesse technologique… Aussi, avant même l’apprentissage des règles esthétiques et techniques, dont l’expérience a prouvé qu’elles peuvent être dévoyées, seule une pratique spirituelle authentiquement catholique sera à même de susciter de nouveau, chez nos artistes, un goût accordé non à l’idéologie du moment, mais à l’Esprit Saint, et de les rendre capables de pratiquer leur art à bon escient. Ils pourront alors injecter de nouveau la plénitude de ce « Beau », dont la cité catholique a tant besoin pour rayonner de tous les éclats du Christ parmi nous. Pour cela, il est évidemment nécessaire que de plus en plus de gens reconnaissent collectivement le besoin vital d’un renouveau esthétique allant durablement dans ce sens.
G. Guindon