Aux jours de la moisson  

La pluie abreuve enfin la terre. En quelques jours, après les ondées de novembre, la peau dure des champs s’adoucit et se couvre d’un duvet vert tendre. Le blé est là, déjà là. Depuis plusieurs semaines, les paysans scrutaient le ciel. Parfois, des nuages traversaient l’azur, mais aucun ne daignait pleurer sur les semences enfouies dans les sillons. Après la sécheresse de l’été, si la pluie n’arrivait pas, le grain ne pourrait germer, l’hiver achèverait de le tuer, enseveli avant d’avoir pu éclore.

Puis, fin novembre, les lourdes nuées venues de l’océan ont déferlé sur les plaines et les collines, déversant leurs ondes. Les hauts sommets s’emmitouflent dans leurs manteaux de neige. Les lacs se remplissent, sur la rive chante le ressac. La terre se désaltère et boit tout ce qu’elle peut. Le grain germe, le blé est là. L’inquiétude du paysan s’envole, l’hiver peut arriver désormais. Peu importe, le printemps est déjà là, endormi, prêt à exploser dès que la lumière reviendra.

Car le paysan sait que l’eau fait germer, que la lumière nourrit et fait croître la plante. Il croit fermement que les jours vont commencer à rallonger après Noël. Le paysan a confiance, le blé va pousser. Alors il peut bien abandonner la semence à la terre pour l’hiver. Elle portera du fruit. Confiance et abandon. Oh, il ne peut pas tout contrôler, ni le gel, ni la sécheresse, ni les colères tempétueuses du ciel. Mais il sait que le grain germe et que l’eau et la lumière mèneront la jeune pousse jusqu’à la moisson. Cela a toujours été ainsi. Pourquoi en serait-il autrement demain ? La terre est capricieuse et rudoie ses serviteurs, mais elle ne trahit jamais, elle tient ses promesses.

Si la création tient ses promesses, combien plus le Créateur ! Un jour, un enfant fut surpris d’apprendre la mort d’une personne dont il demandait la guérison tous les jours à la prière du soir. « Pourquoi Dieu ne nous a-t-Il pas exaucés ? ». Notre Seigneur n’a-t-Il pas dit « Demandez, et vous recevrez. Frappez, et l’on vous ouvrira » ? Mais ce que nous voulons, Dieu le veut-Il aussi ?

Oui, si nous demandons à Dieu de nous donner les grâces nécessaires à notre sanctification, Il nous exaucera. C’est certain ! Oh, certes, nous avons beaucoup d’idées sur comment nous devons et voulons aller au Ciel. Mais Dieu a un autre plan que nous. Nous oublions trop souvent que Dieu sait mieux que nous ce qui sert notre sanctification et sa gloire. Dieu nous aime plus que tout ; tout ce qu’Il nous donne, tout ce qu’Il permet, les joies comme les épreuves, tout ce qu’Il fait n’a qu’une seule fin : nous ouvrir les portes du Ciel et nous amener à la sainteté. Cela, nous le savons. Souvenons-nous, nous trouverons dans notre mémoire le souvenir de grâces spéciales que Dieu nous a données. Et si nous regardons honnêtement notre vie, ne voyons-nous pas les myriades de grâces qui parsèment nos jours ici-bas ? Sacrements, enseignements, entourage, toute la création dont nous usons. Nous ne pouvons douter de l’amour de Dieu pour nous !

Alors, pourquoi parfois l’oublions-nous ? Pourquoi nous révoltons-nous parfois quand une grâce que nous avons demandée ne nous est pas accordée ? Nous savons si peu de choses, notre vision est obscurcie par la petitesse de notre nature et par nos attaches et nos desseins trop souvent limités à la vie d’ici-bas. Nous prions pour une maison, pour un emploi, pour une guérison, et nous avons raison, car ces choses terrestres peuvent être utiles à notre sanctification. Mais peut-être, parfois, oublions-nous de demander à Dieu une simple chose : L’aimer toujours plus et devenir un saint. Tout le reste ne sert que cette seule finalité.

Dieu veut nous donner le salut, Dieu veut nous inonder de sa charité. Si nous le demandons, Il nous exaucera. C’est le sens du « Demandez, et vous recevrez ». Le reste, ce ne sont que les moyens que Dieu nous donne pour atteindre ce but, selon un plan dont Lui seul connaît le déroulement. Ainsi, parce que nous avons la certitude que Dieu nous aime et nous guide vers le Ciel, nous devons avoir confiance et nous abandonner dans ses vues. Peu importe si telle ou telle prière n’est pas exaucée, c’est que notre demande n’était pas dans le plan d’amour de Dieu. Ainsi, à l’enfant qui se pose des questions, il faut lui dire que certains guériront par nos prières. D’autres non. Dieu seul sait pourquoi ! Nous, nous savons que c’est pour notre sanctification, celle du malade et celle de toute l’Eglise.

Comme le paysan qui confie la moisson nouvelle au sillon, alors que les ténèbres enveloppent la terre, nous savons que rien n’ira comme nous avons prévu – qui peut commander au ciel ? Mais nous savons que Dieu sera là tout au long de notre passage sur terre, comme l’eau et la lumière font pousser le blé. Le paysan travaille la terre, l’ensemence et la laboure, l’arrose de sa sueur, cela est son devoir. Le reste est dans les mains de Dieu. Nous, nous devons œuvrer à notre salut, ordonner notre vie dans ce but avec tout ce que cela implique tant matériellement que spirituellement. Le reste est dans les mains de Dieu. A la fin, quand la lumière aura repris ses droits, la moisson adviendra. Alors, haut les cœurs !

Le Sauveur naquit au cœur de la nuit du solstice, c’est-à-dire quand les jours commencent à rallonger, annonçant le triomphe de la lumière aux jours de la moisson. Cela, nous le savons, alors vivons le !

 

Louis d’Henriques