Les meilleurs dons de la nature, non seulement ne suffisent point, sans la grâce, à mener l’homme à sa fin dernière, à cette fin divine et unique, au-dessous de laquelle il n’y a d’avenir pour lui que l’enfer ; mais ces dons sont encore impuissants à sauver l’homme en ce bas monde : je veux dire à préserver notre esprit des erreurs les plus déplorables, non plus que notre cœur des plus honteux dérèglements. En réalité, sans le secours surnaturel de Dieu et l’action de sa grâce, ces dons se corrompent toujours plus ou moins et n’empêchent l’homme ni de se tromper, ni de se dégrader, ni de se perdre.
Quelle mère chrétienne, ne souhaiterait à ses enfants un cœur et un esprit semblables à ceux de saint Augustin ? Qui de vous, si elle reconnaissait des dons si rares en quelqu’un de ses fils, n’en ressentirait point une vive joie et ne rendrait point à Dieu d’immenses actions de grâce ? Vous auriez bien raison : ces dons naturels ont réellement un grand prix ! N’est-ce point assez qu’ils viennent de Dieu ? Outre que tous sont là pour conduire à lui, ils sont excellents en eux-mêmes. Toutefois, l’Eglise l’enseigne : si, pour favorisée que la nature puisse être, Dieu n’y ajoutait point un surcroît de grâce : grâce sanctifiante et grâce actuelle, nul de nous n’atteindrait le terme de sa route et risquant d’y tomber à chaque pas, nous y ferions inévitablement des chutes et souvent des chutes graves.
La nature ne nous suffit point sans la grâce car non seulement elle est impuissante à conduire l’âme en paradis mais elle ne peut même pas, toute seule, maintenir l’homme à son premier niveau, retenir son esprit dans l’ordre de vérité et son cœur dans la mesure d’honnêteté et de vertu.
La grâce, Ô Mère chrétienne, la grâce du Christ, estimez-la, demandez-la, faites-la valoir !
Estimez-la : rien ne la vaut. Elle est le trésor caché dans le champ évangélique, elle est la perle précieuse entre toutes. La grâce, c’est comme le cœur de Dieu écoulé sur la terre. C’est la force de son regard et >>> >>> l’attrait de sa voix. C’est un signe propice de sa main et un doux sourire de ses lèvres. C’est le don même de l’Esprit-Saint et son intronisation dans les âmes. C’est la vertu du sang répandu de Jésus et le prix de tout son sacrifice. C’est la moisson de sa vie, le salaire de ses sueurs, l’héritage que nous vaut sa mort. C’est la clé d’or du paradis ; c’est le mariage du ciel avec la terre. C’est la résurrection du monde et l’avènement du règne de Dieu ici-bas. C’est une lumière qui ne trompe point, un appui qui ne trahit personne, une source intarissable où toute soif légitime a de quoi s’épancher. C’est une sagesse, une science, une stratégie, un triomphe. C’est une arme qui peut tomber quand nos mains ne la tiennent plus, mais qui jamais ne se brise et rend invincible quiconque la garde et la manie. C’est la céleste aurore de nos intelligences, le soulèvement et la dilatation de nos cœurs, la guérison de tous nos maux, le remède toujours prêt contre toutes nos défaillances, un baume à fermer toutes blessures, une onction à laquelle ni amertume, ni chagrin ne résistent. C’est la rupture des liens qui nous oppriment et nous entravent, c’est notre vraie liberté intérieure ; ce sont des ailes ajoutées à nos pieds et des yeux divins ouverts au centre de notre cœur. C’est une justice, une beauté, une convenance, une harmonie qui font qu’en tous ceux qu’elle décore Dieu se mire et s’admire. C’est notre communion à Dieu, notre part de sa joie et de sa gloire ; c’est notre béatitude dans son germe et dans sa substance.
N’estimez rien tant que la grâce, et puisqu’elle s’offre, recevez-la, puisqu’elle se promet elle-même à vos prières, demandez-la. Ne demandez-vous pas votre pain ? Le désir traduit le besoin ; en toute âme éclairée et humble, la prière traduit le désir. Demandez-la donc souvent et instamment à plein cœur et à mains jointes. « La confiance, tout obtient » répétait sainte Thérèse. Demandez la grâce et quand vous l’aurez reçue, faites-la valoir et fructifier. Car sans la grâce, ni les arts ont définitivement de valeur, ni les richesses, ni la beauté, ni le courage, ni la vigueur, ni le génie, ni l’éloquence. Ces dons naturels, en effet, sont communs aux bons et aux méchants ; tandis que le don propre de vos élus, c’est la grâce et l’amour qui parce qu’ils en sont ornés les rendent dignes de la vie éternelle…
O bienheureuse grâce, qui rendez riche en vertu celui qui était pauvre d’esprit et qui donne l’humilité du cœur à celui qui possède déjà d’autres biens, viens, descends jusqu’à moi ; remplis-moi chaque matin de consolation, de peur qu’avant le soir mon âme ne tombe de défaillance, accablée qu’elle est si souvent par le poids de toute chose et par sa propre sécheresse.
Seigneur, je vous en conjure, que je trouve grâce devant vos yeux car quand bien même je n’aurai rien de ce que peut désirer ma nature, si j’ai votre grâce, je possède tout… Qu’elle me prévienne, qu’elle m’accompagne, qu’elle me suive, de telle sorte que je sois uniquement et constamment appliqué à bien faire par Jésus-Christ votre Fils.
Conférence aux mères chrétiennes – Monseigneur Charles Gay