La foule se presse sur les trottoirs pour attraper le prochain RER. Au passage piéton, les automobilistes tentent de trouver un intervalle dans le flot continu, mais il semble qu’à chaque fois un piéton surgisse au dernier moment. Les chauffeurs s’impatientent. Certains finissent par forcer, s’attirant des regards noirs de chaque côté de la chaussée. D’autres klaxonnent. Au milieu, les trottinettes slaloment, manquant de renverser une vieille dame, pestant contre un piéton plus lent que la moyenne. Les cyclistes se suivent en file, le doigt sur la sonnette, prêts à houspiller le premier qui oserait poser le pied sur leur voie réservée. Il y a peu de sourires dans cette foule. Quelques rares éclats de voix brisent le bruit des pas sur le béton, entre deux collègues de travail, le temps de rejoindre l’anonymat du quai. Les visages sont globalement fermés, les yeux rivés sur les écrans ou perdus dans le brouhaha que des écouteurs déversent directement dans leurs oreilles.
Assis sur le béton, un mendiant regarde le torrent humain qui charrie les individus comme des galets qui s’entrechoquent dans le courant. Personne ne voit le miséreux. Il est sale et malodorant. Déshumanisé, il devient invisible. Qui pour l’aider ? Enfin, une parmi un millier, une âme généreuse lui tend la main et glisse dans sa paume crasseuse une petite aumône. La Charité fleurit dans le sourire du misérable et dans celui de son bienfaiteur, que la foule happe de nouveau.
Jérusalem. Les cris ameutent les passants. Des gens, les bras levés, menaçants, insultent un homme seul, entouré d’une troupe de soldats. La foule éructe et crache sur le malheureux. Son corps est une immense plaie. Les yeux sont tuméfiés. La nuque, le dos, les épaules, les jambes sont lacérés par les coups de fouet. La chair est à vif. Reste-t-il quelque chose d’humain chez ce condamné ? Les épines humilient et blessent son front. Ses mains sont liées au patibulum qui lui laboure les épaules. Il ne peut se protéger le visage quand il chute de nouveau, sous les railleries. Il n’a plus figure humaine. Il est comme un ver de terre. Défiguré par le péché, les hommes se détournent de lui et le mènent à la mort, sans pitié aucune.
Qui pour l’aider ?
« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »
Où sont vos « amis », Seigneur ?
Par la Croix, Dieu restaure la dignité de l’homme. Non pas à la façon de l’âme généreuse qui donne l’aumône au misérable du coin de la rue. Non, en se faisant plus misérable que le misérable, afin que le mendiant restaure sa dignité en faisant lui-même l’aumône du peu qu’il a, à plus indigent que lui.
Dieu ne fait pas l’aumône aux hommes. Il se fait plus misérable que le plus misérable de tous les hommes pour mendier notre amour. Il revêt tous nos péchés qui le défigurent et lui ôtent toute apparence humaine. Il porte nos trahisons jusqu’au Calvaire pour les détruire, sous les coups et les crachats, versant tout son sang. Tout cela pour que, pris de compassion, nous l’aimions. Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur terre pour mendier notre Charité. Son Sacré-Cœur veut notre amitié. Il veut notre amitié plus que jamais nous ne pourrons le vouloir.
Ô Dieu Mendiant ! Ô Divin Ami ! Resterons-nous ingrats ? Resterons-nous dans le camp des hommes sans pitié qui l’ont vu dans les rues de Jérusalem et n’ont rien fait, ou pire, qui ont jeté leurs insultes et leurs crachats avec la foule ?
« Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes, et qui reçoit en retour tant d’ingratitudes. »
Le vrai amour est quand celui qui aime est prêt à se sacrifier pour le bien de l’être aimé. Aimons-nous véritablement ? Comment aimons-nous Dieu ? Pour nos intérêts d’abord ou pour Dieu uniquement ? Aimons-nous Dieu pour éviter l’Enfer et obtenir une promotion au boulot ? Ou aimons-nous Dieu pour sa Gloire et uniquement pour sa Gloire, pour répondre à son amitié et ne chercher qu’à Le glorifier ?
« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »
Où sont vos amis, Seigneur ? Vous êtes venu mendier la charité des hommes, qui avez-vous trouvé pour se donner tout entier à vous ?
Que chacun de nous, au fond de son âme, considère le Sacré-Cœur de Jésus qui a tellement souffert à cause de nous, qui ne veut pas faire l’aumône en nous sauvant sans nous, mais qui veut restaurer notre dignité en se faisant plus misérable que nous pour mendier notre charité. Quelle preuve d’amitié ! Il n’y a pas de plus grand ami que Jésus ! Que ferions-nous pour le meilleur de nos amis qui nous a sauvés en donnant sa vie ? Tout simplement donner sa vie en retour. Qu’au fond de notre cœur jaillisse le don total.
Ô Jésus, je vous donne tout, mon âme, ma vie, ma santé, mon corps, mon honneur, mes richesses, ceux que j’aime, tout. Vous voulez tout prendre comme Job ? Faites ! Tout ce que vous voudrez, Ô Cœur divin, tout ce qui vous est agréable, Ô Dieu mendiant, Ô vous Jésus, mon grand Ami.
Louis d’Henriques