Les trois sortes d’amitié

Ma chère Bertille,

 Tu rêves d’avoir quelques véritables amies et me demandes quelles sont les conditions d’une bonne amitié. Tu as raison, l’amitié est un mot qui fait rêver, qui scintille comme les étoiles dans le ciel ! Parfois, on la rencontre dès le jeune âge et elle perdure au fil du temps ; parfois on souffre de se trouver isolé quand on aimerait tant pouvoir partager « d’âme à âme ». Les franches et belles amitiés sont exigeantes, tant elles demandent confiance réciproque, dépassement de tout amour-propre et harmonie. Comment les trouver ?

 Aristote distingue trois amitiés : l’amitié utile (ayant pour fondement un intérêt commun), l’amitié de plaisir (les amis ressentent une joie mutuelle à être ensemble) et l’amitié parfaite fondée sur la vertu.

Les deux premières sont celles que l’on rencontre le plus souvent ; elles se nouent et se dénouent au fil des ans et sont souvent fondées sur les centres d’intérêts communs. Quoi qu’il en soit, il faut veiller à ce que celles-ci soient saines afin de toujours mener vers le Vrai, le Beau et le Bien.

Tu te demandes donc comment savoir si une amitié est mauvaise ou même seulement inutile ?

Il est un signe qui ne trompe pas : si elle te rend triste, t’abaisse et te mène vers un repli sur toi, une vision pessimiste ou égoïste sur le monde, alors « taillez, tranchez, il ne faut pas s’amuser à découdre ces folles amitiés, il faut les déchirer1. »

Parmi les mauvais amis, on reconnaît les égoïstes qui ne voient que leur intérêt ; les arrivistes qui cultivent les belles relations pour se frayer un chemin professionnel ; les accapareurs qui veulent tout recevoir sans jamais rien donner, les vaniteux qui se juchent sur un piédestal pour se faire aduler ; les jouisseurs qui ne cherchent qu’une exaltation excitante comme celle qui se propage sur « la toile », les volages qui papillonnent et font souffrir, les exclusifs qui n’admettent aucun partage, les médiocres et les vulgaires… Ne nous attardons pas sur ces relations superficielles et malsaines qui ne font que combler un vide absolu et qui sont l’apanage des « petits » ;  leur âme, soit par manque de profondeur, soit par absence de volonté, n’a pas réussi à acquérir la valeur que Dieu propose pourtant à chacun. Quelle que soit la gloire qui les entoure, le prestige qui les auréole ou le bruit étourdissant qui retentit autour d’eux, détournons la tête et passons, car le bien de notre âme mérite d’être entouré par de vrais amis.

 Approfondissons donc cette amitié vertueuse que tu souhaites :

Bien plus qu’une question de sentiments, la véritable amitié est aussi un choix de la volonté. Les vrais amis, comme une cordée, partent vers les plus beaux sommets de leurs idéaux partagés. L’amitié favorise le don de soi, l’enrichissement de sa personnalité, la lutte contre les défauts car « Toute âme qui s’élève élève le monde » écrivait Elisabeth Leseur.

Ces êtres qui, quand on les côtoie, donnent envie d’être meilleurs et entraînent vers le bien se reconnaissent non par les dons reçus mais par l’utilisation noble de leur vie dans le sens du bien, par leur attitude de conscience en face du devoir et par la puissance de sacrifice qu’ils sont capables de mettre au service de ce même devoir et de ce même idéal. Ils ne sont pas parfaits, mais ils cherchent à progresser. La belle amitié, « fondée sur la beauté de l’âme, naît dans des régions plus libres, plus pures et plus profondes que toute autre affection2. » Elle s’entretient et doit être réciproque ; elle incite à la confidence pour s’enrichir et se soutenir, ce qui nécessite la confiance et ne supporte aucune ambiguïté ou mélange d’intérêts. Tu comprends mieux maintenant pourquoi l’amitié entre filles ou entre garçons sera plus facilement vraie qu’une amitié mixte tant le désir de plaire ou de conquérir, si naturel entre garçons et filles, risque de polluer ce qui unit les âmes.

 

Il y aurait encore beaucoup à dire, ma chère Bertille, mais je te laisse méditer toutes ces réflexions et me dire au cours de notre prochaine conversation ce que ces pensées t’ont inspiré.

 

Anne