S’il ne s’agissait à la maison que de se partager la besogne, et d’y agir chacun de son côté, selon les nécessités de la vie familiale (la femme se réservant l’entretien de la maison et l’éducation des enfants, et le mari ne se consacrant qu’aux affaires administratives et financières), le problème serait très simplifié. Tellement simplifié que nous voyons la nature, sans l’aide de la vertu, tendre spontanément à cette solution qui va de soi. Ce serait une collaboration, mais ni intime ni sacrée. Ce genre de vie, divergente, à deux, ne suffit pas. Il n’est pas bon que l’homme soit seul à côté de la femme.
Si, à l’opposé de ce système de la division dans la communauté de vie, on recommandait à la femme de participer aux affaires de l’homme et, réciproquement à l’homme de coopérer aux tâches de sa femme, on aboutirait plutôt à la confusion qu’à l’union… Quoi que l’on puisse en dire aujourd’hui !
Pour que la collaboration soit pratique, il est nécessaire qu’elle soit spirituelle. Car la participation de l’esprit, autrement dit de la vie de l’âme, à toutes les tâches de l’homme, est une chose possible et facile. La fonction spirituelle est double : donner de la lumière, donner de la chaleur. D’abord action sur l’intelligence pour l’éclairer ; puis action sur la volonté pour l’animer. Cette influence rappelle le rayonnement qu’eut la très Sainte Vierge dans la primitive Église. La Vierge, épouse modèle, épouse par excellence, éclairait et animait les Apôtres. Elle était l’âme de tout l’apostolat.
Quand on essaie de se représenter sous quelle forme précise la Sainte Vierge, pendant ses vingt ou vingt-cinq années que Jésus la laissa sur la terre, exerça ce ministère d’illuminatrice des âmes, on ne la voit ni agitée, ni affairée, ni prêchant, ni voyageant, ni occupée aux œuvres extérieures, mais on se la figure seulement comme une présence continuée du Christ. Lampe toujours éclairée au sein du premier cénacle. On la trouvait, en effet, toujours à Jérusalem, dans sa demeure, tranquille et fidèle au poste. Elle était surtout pour les Apôtres, pour Jean en particulier, Notre Dame du Bon Conseil. Elle inspirait à en toutes leurs ardeurs le véritable esprit de l’Évangile.
Or voici bien le titre que le mari doit spontanément donner à sa femme : Ma dame du bon conseil. Dieu porte à l’homme un secours quotidien en sa femme, « un asile sacré que l’inviolabilité du mariage défend contre tous les assauts, avec plus de force que tous les remparts, c’est l’asile que l’épouse chrétienne peut donner dans l’intimité de son amour1. » Il suffit pour cela que l’épouse vive elle-même profondément de cet esprit et qu’elle le fasse respirer constamment par celui qui l’approche dans l’intimité de son foyer.
« L’homme souffre du métier qui le surmène et qui le courbe vers la matière sans arrêt… Il souffre de ne pas être aussi rempli d’idéal qu’il le voudrait ; il souffre d’être en proie partout à la rivalité, farouche quoique polie, des âmes livrées à toutes les laideurs des péchés capitaux ; il souffre d’être déçu par des amitiés […], de ne pas trouver dans les livres la manne du Ciel dont il voudrait se nourrir… » En un mot, il a besoin de respirer, comme une poitrine oppressée, le bon air de la montagne, l’atmosphère du surnaturel.
Mais voici maintenant son désir le plus sincère : ce bon air d’en haut, il compte le trouver dans l’intimité de sa femme, parce qu’il ne peut le trouver vraiment que là. « Elle est la dame du bon conseil, parole vivante et pénétrante, qui sait dire ce qu’il faut dire, cet ineffable nécessaire que l’esprit attend et réclame. Elle a le tact, l’opportunité, la délicatesse. »
Pour pénétrer son époux de cet esprit supérieur, il faut nécessairement qu’elle vive elle-même dans un monde supérieur, au-dessus du terre à terre, des mesquineries, de l’amour-propre, des timidités, des vues étroites, égoïstes qui, loin de favoriser le bonheur, condamnent au contraire toute la famille à la souffrance vaine. Comment vivra-t-elle à ce niveau si elle ne prend pas l’habitude de tout juger du point de vue de Dieu ?
C’est ainsi que Pierre Dupouey, officier de marine, voit sa femme comme la présence de Dieu en son foyer :
30 novembre 1914
« En dehors du devoir et des choses divines, je n’ai besoin que de toi (ou plutôt, j’ai besoin de toi, parce que tu fais partie des choses divines de ma vie) parce que c’est le Bon Dieu qui t’y a fait entrer, parce que tu es, sous mon toit, sa bénédiction vivante et efficace… Depuis que je t’ai reçue de Dieu, j’ai compris ce qu’était la Providence… »
19 décembre 1914
« En revenant des tranchées, je trouve trois lettres bénies, je veux dire : pleines pour moi de bénédictions, de joie, de paix, de réconfort. Je te remercie de me continuer ainsi de loin l’intimité de ton cœur… et de me permettre, du fond de mes tanières, de partager les chères pensées que Dieu lui inspire. Cette union de pensées et de désirs, qui a été la bénédiction et la force de notre cher mariage, continue de loin à me soutenir, à me fortifier, à me montrer l’excellence de mon devoir. Dans la patiente fidélité de ton cœur, mieux que partout ailleurs, je goûte ce bel ordre français et catholique que Dieu me demande de défendre. »
Il n’est pas étonnant que, dans l’absence, le plus grand désir de cet époux soit de retourner auprès de celle qui le spiritualise par sa présence. Il sait que sa force est là, dans l’intimité du foyer.
Ainsi, toute épouse chrétienne, avec une inaltérable confiance en la Providence, devrait aujourd’hui plus que jamais panser et guérir les blessures morales de son mari, en illuminant son âme de pensées idéales de foi chrétienne, et en soutenant sa volonté d’un courage surnaturel.
Sophie de Lédinghen