L’Eglise et l’Etat, quelle relation ?

S’interroger aujourd’hui sur la relation entre l’Eglise et l’Etat peut sembler incongru, tant la question paraît faire consensus : ne sont-ce pas deux choses complètement séparées ? Ne faut-il pas, pour que tous deux soient efficaces dans leur domaine, qu’ils soient indépendants l’un de l’autre ? Le système « Eglise libre dans un Etat libre » n’a-t-il pas permis d’éviter les problèmes d’ingérence des religieux dans la vie civile, et celle des politiques dans la vie religieuse ? Essayons de discerner plus précisément les rapports qui doivent animer ces deux entités.

Leur nature

S’interroger sur l’Etat et l’Eglise revient à s’interroger en premier lieu sur la notion d’autorité, puisque c’est leur relation en tant qu’autorité politique pour l’une, et religieuse pour l’autre, qui fait débat. Ce terme vient du latin « Augere, auctus », qui signifie augmenter, grandir. L’autorité a donc pur but de faire grandir les sujets qui lui sont confiés, de les rendre meilleurs. On est assez loin de la conception moderne d’un pouvoir froid, coercitif, parfois oppresseur, toujours limitant notre liberté. Elle se définit plus précisément par rapport à la société qui est objet : un père de famille, un chef d’Etat et un religieux n’ont ainsi pas la même autorité, les sociétés dont ils sont les responsables ayant des natures et des buts différents. Quelle que soit sa forme, « l’autorité a pour mission de mener la société à sa fin1 », et use des moyens à sa disposition pour atteindre ce bien commun.

Le but de l’Etat dépend donc du but de la société qu’il anime, et donc de ses citoyens.

L’homme est un animal social, composé d’une âme et d’un corps. La société a pour fin de l’aider à satisfaire ses besoins matériels, par une relation d’échange : l’individu seul ne peut en effet pas assouvir tous ses besoins. Mais la société vise également à satisfaire ses besoins spirituels, et à lui permettre de vivre en paix et en accord avec ses voisins. Cela implique l’apprentissage des vertus morales, condition sine qua non à l’harmonie en société. Le but de l’Etat est le Bien Commun, ou fin de la Cité, qui est le bonheur des hommes, et pour ce faire il cherche la vertu et la prospérité de ses membres. Il assure le « vivre » et le « bien vivre ».

Pour ce qui est de l’Eglise, sa mission est de mener les hommes au Ciel, et pour cela de répandre la Foi, d’enseigner la parole de Dieu et de la défendre contre les erreurs, et d’administrer les sacrements. Son pouvoir est donc d’ordre spirituel. Tout comme l’Etat, l’Eglise est une société « parfaite », c’est-à-dire disposant en elle-même des moyens d’atteindre sa fin. Cependant, son but est supérieur à celui de l’Etat, puisque lié directement à la fin surnaturelle de l’homme, à savoir la contemplation de Dieu. Son action va également porter sur des aspects de la vie politique de l’homme, puisqu’elle se doit de transcender la simple vertu naturelle en une vertu surnaturelle, par l’action de la grâce qu’elle dispense. L’Etat seul ne peut en effet donner à l’homme les moyens d’atteindre le Ciel, ces moyens n’ayant été donnés qu’à l’Eglise : « Allez enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé2 ». Il y a donc hiérarchie entre l’autorité politique et l’autorité religieuse, du fait de leurs natures et de leurs buts respectifs, inégaux en importance.

Une subordination

Eglise et Etat cherchent donc tous deux le bonheur de l’homme, mais la société politique ne peut lui donner les moyens spirituels dont seule l’Eglise dispose, moyens nécessaires pour atteindre la fin ultime de l’humanité. Il s’ensuit donc une supériorité du pouvoir religieux sur le pouvoir temporel. Mais est-ce dire que cette supériorité est absolue et entraîne une soumission totale du temporel au spirituel ? Non, puisque l’Etat a indépendance sur nombre d’aspects de la vie politique qui ne dépendent pas de l’action de l’Eglise. Saint Thomas use de l’analogie entre le corps et l’âme : « Le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel comme le corps à l’âme3.» Il est bien plus aisé de faire des saints dans une Cité où règnent la concorde, la prospérité et la justice, que dans un pays en proie à l’anarchie, à la misère et à la débauche. Et il est également plus facile au Prince de faire respecter la Loi si celle-ci s’appuie sur la vertu de Justice et que l’Eglise la soutient. Eglise et Etat collaborent dans toutes les questions politiques qui touchent au spirituel, ce qu’on appelle le « domaine mixte ». S’y retrouvent la Justice, l’Education… Dans ces domaines, l’action de l’Etat est soumise au contrôle de l’Eglise, puisque ces questions touchent de près ou de loin à la fin spirituelle de l’homme.

Du côté de l’Eglise, son action est indépendante de celle de l’Etat. Ce dernier n’a pas son mot à dire dans les questions de Foi, de morale, ou de tout autre sujet touchant à la vie de l’Eglise en tant que société spirituelle. Cependant, cela ne signifie pas que l’Etat ne puisse défendre son bon droit face à de possibles excès de la part de prélats : un religieux ne peut arguer de son statut de représentant de l’Eglise, pour contredire le Prince sur des questions purement politiques. Il peut certes conseiller, mais pas interdire tant que le spirituel n’est pas en jeu, et il serait du devoir du Prince de s’opposer à cette ingérence.

L’Eglise avec l’Etat, l’Etat sans l’Eglise

L’histoire de notre pays nous permet de considérer ce qu’il advient lorsque Eglise et Etat travaillent de concert, et lorsqu’ils sont séparés.  Il s’agit des époques du Moyen-Age chrétien, ou de la chrétienté, et de la Révolution. Le pape Léon XIII décrit la première en ces termes : « Il fut un temps où la philosophie de l’Evangile gouvernait les Etats. […] Alors le sacerdoce et l’empire étaient unis dans une heureuse concorde et l’amical échange de bons offices. Organisée de la sorte, la société civile donna des fruits supérieurs à toute attente, dont la mémoire subsiste et subsistera, consignée qu’elle est dans d’innombrables documents […] ». Conscients que la vie sur terre n’est que temporaire et n’a de sens que dans la perspective du Ciel, nos ancêtres faisaient de la vie politique un moyen de servir Dieu et de se rapprocher de Lui. Les gouvernants étaient également conscients de ces vérités, même s’ils n’étaient pas à l’abri de chercher des intérêts purement temporels. Cette époque vit s’épanouir des trésors incommensurables de vertus, des saints en foule innombrables, et des signes encore omniprésents de la dévotion de ses peuples. L’union n’était pas parfaite, bien des exemples prouvent l’existence de conflits de ci, de là, mais l’esprit général était imprégné de cette union du temporel et du spirituel. Cette union n’est pas étrangère à l’exceptionnel rayonnement de l’Europe chrétienne sur le monde entier. Mais les Etats, abusés par les sirènes des faux prophètes des Lumières, ont fini par se détourner de leur mission, pour s’attacher à leur pouvoir et à leur indépendance, privant l’homme de la voie royale qui lui avait été tracée vers le Ciel.

La Révolution consomme le divorce. Les Droits de l’Homme viennent remplacer les droits de Dieu sur les sociétés, et faire du citoyen la nouvelle divinité. L’Eglise est alors honnie, puisque prônant un ordre opposé à celui de la jouissance temporelle. Les églises sont fermées, les prêtres pourchassés et mis à mort, les fidèles bannis. C’est une forme extrême de ce que peut donner la désunion entre l’Eglise et l’Etat, si on ne la retrouve pas partout où il y a eu séparation, la fin est restée plus ou moins la même : en refusant à l’Eglise sa primauté et son rôle organisateur, l’Etat s’est lui-même empêché d’atteindre sa fin, et l’a remplacée par des mirages qui ne peuvent mener l’homme qu’à sa perte. Une simple cohabitation ne peut exister après cette séparation : l’Etat cherche immanquablement à mettre la main sur l’Eglise ou à la détruire, selon qu’elle peut lui permettre d’atteindre une certaine paix civile, ou qu’elle vient s’opposer à sa volonté de domination sans partage. Mais sans l’Eglise, l’Etat n’est plus qu’un corps sans âme.

En conclusion, Eglise et Etat cherchent tous deux à assurer le bonheur de l’homme, mais doivent pour ce faire collaborer en respectant le rôle de chacun. Etant directement en charge du bonheur spirituel de l’homme, l’Eglise est supérieure à l’Etat qu’elle guide à la lumière de la Foi et de la Morale. Unis, ils parviennent à un état d’harmonie propice à la croissance des vertus naturelles et morales de l’humanité. Séparés, l’Etat devient inévitablement un aveugle tentant plus ou moins violemment d’atteindre un but chimérique et voué à l’échec, qu’il nommera Liberté, Egalité, Fraternité, victoire du prolétariat ou enrichissement sans fin. Le bonheur de l’homme sur terre n’est possible que dans l’union du politique et du religieux, que dans le règne du Christ Roi. Sans cela, les efforts des nations séparées de Dieu seront vains et sources de souffrances innombrables : « S’il n’est pas temps pour Jésus-Christ de régner, alors n’est pas temps pour les Etats de durer4

 

RJ

 

 

Pour découvrir et approfondir :

  1. Jean-Dominique, Sept leçons de politique, ed. du Saint Nom

Savoir et Servir n°72, La Laïcité : quand César se fait Dieu, ed. du MJCF

Jean Ousset, Pour qu’Il règne, ed. DMM

P.T. de Saint Just, La royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ d’après le Cardinal Pie, ed. ESR