C’est un témoignage, parmi d’autres, que nous vous livrons.
Quand chacune de nous s’est mariée, nous étions loin de penser être confrontées à cette épreuve et avions comme tout le monde le désir d’avoir des enfants ; pour nous, cela allait de soi.
Mais après des inquiétudes et des déceptions, quelle douleur quand nous avons compris que nous n’aurions pas cette joie !
Nous avons prié, confié notre peine à Dieu et espéré dans l’intercession de tant de saints, mais rien n’y faisait ; nous ne comprenions pas pourquoi le Bon Dieu ne nous écoutait pas.
Ce n’était pas sa volonté. Nous le récitons pourtant chaque jour dans le Notre Père… « Que votre volonté soit faite… » Y être confrontées, c’est autre chose !
Commence alors un long deuil, avec ses moments de douleur, d’incompréhension, de révolte…
Le deuil de ces enfants que nous aurions eus, le deuil de toute la vie maternelle que nous pensions connaître, avec des tout-petits, des enfants qui grandissent et qu’on élève, dans la chaleur de la vie de famille, avec ses fatigues, ses difficultés et ses joies.
Ce sentiment de vide, de solitude du cœur, et d’inutilité devient lancinant, obsédant, et il est bien difficile à notre entourage même de tenter de nous aider. Il faut vivre cette épreuve pour la comprendre. Toutes les paroles, tous les gestes, même pleins de bonne volonté, nous pouvons les ressentir comme des maladresses tant nous sommes blessées jusqu’au fond de notre cœur. Il nous faut affronter le regard des autres : nous nous sentons si différentes. Et que répondre lorsqu’on nous interroge sur nos enfants ?! Car c’est souvent la première question posée lorsque l’on fait connaissance…
C’est la Croix, notre croix, nous le savons ! Mais comment la porter ? Et la porter quotidiennement, heure après heure ? En effet, ce n’est pas possible de la saisir d’un coup. Alors nous avons essayé, sans voir où nous allions, « de porter doucement, chaque jour, la Croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour1 ». Aujourd’hui après aujourd’hui sans regarder demain.
Quand, maintenant, nous regardons en arrière, nous constatons qu’avec le temps et la grâce, le Bon Dieu et la Vierge Marie nous aidaient jour après jour et nous soutenaient pour soulager nos souffrances.
En nous guidant pour avancer, dans l’obscurité, sur ce chemin d’humilité, ils nous ont poussées petit à petit à nous unir à la volonté de Dieu. Et après avoir d’abord aimé Notre-Seigneur en dépit de la Croix, à nous unir à Lui, avec sa Croix2. Oui, sans le ressentir, nous le croyons, la Croix est l’Arbre de Vie, l’Arbre de la Rédemption.
Par ailleurs, alors que tout, dans la société, nous fait croire que nous sommes maîtres de notre vie, la vérité est que la vie est un don de Dieu, et un don purement gratuit. « La fécondité n’est nullement un droit des époux, elle est un droit de Dieu qui en use comme il veut. Le foyer sans enfants qui porte vaillamment cette croix (…) chante à la face des anges que Dieu est maître de la vie3 ».
Cette épreuve, c’est aussi celle de notre foyer, même si chacun la porte différemment ; nous la vivons à deux. Par la grâce du sacrement de mariage, la peine partagée par les époux porte des fruits de sanctification ; et la même épreuve, bien vécue ensemble, renforce l’union des âmes.
L’expérience nous a depuis longtemps fait comprendre que, si nous nous apitoyons sur notre sort, nous tombons dans le piège du découragement.
Pour redonner un équilibre et un sens à notre foyer, il nous a donc fallu nous détourner de notre peine en nous tournant vers les autres, y trouvant une véritable source de joie.
Car l’expérience de la souffrance nous aide à mieux percevoir celle des autres, à nous mettre à leur place, pour les aider à notre manière, avec notre attention, notre compréhension, notre aide pratique… et bien sûr notre prière. Par notre sourire, notre écoute, nos conseils, nous nous donnons, et combien nous recevons en retour ! Que nous choisissions une activité directement orientée vers les enfants, ou dans tout autre domaine, qu’il soit caritatif ou professionnel, c’est là que nous pouvons soulager notre peine et nous épanouir au service des autres.
Ainsi, sans nous en rendre compte, naturellement, le Bon Dieu nous guide, Il nous fait comprendre que nous aussi, si nous le voulons, nous pouvons avoir un rôle auprès des enfants qui nous entourent (famille, amis…) Il nous fait évoluer vers une autre forme de maternité. Celle-ci est certes plus cachée, mais elle peut trouver sa place entre celle des mères de famille et celle des religieuses, à la fois concrète et spirituelle. Quelle joie quand nous nous apercevons que le lien d’affection que nous avons noué avec tel filleul ou telle nièce est devenu, grâce au temps et à l’attention que nous lui avons consacré, une relation de confiance, une amitié, et que nous contribuons, à notre place, à faire fleurir les talents et l’âme de ces enfants. Et il arrive parfois que leurs oreilles qui étaient imperméables au discours de leurs parents s’entrouvrent au nôtre, et que leur cœur soit touché.
Aujourd’hui, nous comprenons mieux ces paroles du Père Jean-Dominique : « Cette souffrance n’est pas vaine, elle n’est pas un amoindrissement ni un rejet de la part de Dieu, mais la porte ouverte vers la sainteté et vers une fécondité supérieure4.»
Nous avons expérimenté que la maternité ne se limite pas à porter des enfants, elle est l’essence de notre nature de femme, elle est un appel à aimer, à entourer de soins et à guider la jeune génération, et ceux qui, à tout âge, en ont besoin ; et nous avons compris que cet appel était le nôtre, que nous ayons enfanté ou non. Car nous savons aujourd’hui ce que c’est qu’être mère auprès des âmes en les menant doucement vers Dieu, et nous savons que cela est beau !
En espérant que ce témoignage apportera un soulagement, un réconfort, à celles qui sont dans la peine.
Claire et Constance
1 Monseigneur de Ségur
2 Citation de source inconnue… Si quelqu’un en connaît l’auteur, merci de nous en informer (malgré la Croix, avec la Croix, par la Croix).
3 Père Jean-Dominique, D’Eve à Marie, Editions du Saint Nom, p. 98
4 Même ouvrage, p. 97