L’Eglise contre la science

Les très nombreuses et spectaculaires avancées technologiques et scientifiques des dernières décennies, liées à un athéisme aujourd’hui omniprésent, semblent pousser de côté la religion en l’assimilant à de l’obscurantisme, à du fanatisme, ou encore à une preuve évidente de manque d’esprit critique et de raisonnement : l’homme un tant soit peu sensé n’a que faire de l’enseignement de l’Église, puisque c’est bien souvent d’elle qu’il s’agit. Des multiples critiques formulées à son égard, nous pouvons retenir les principales : l’Église doit son succès à l’ignorance des peuples, ignorance qu’elle a entretenue ; l’Église s’est opposée à la recherche scientifique, persécutant les chercheurs. Voyons ce qu’il en est1.

« L’Église profite de l’ignorance des peuples »

« Le pouvoir religieux va de pair avec l’ignorance », assène Yves Lever, dans sa Petite critique de la déraison religieuse. Cette idée que l’Église s’oppose à la connaissance a fait son chemin parmi les cercles anticléricaux, et a été largement entretenue depuis les soi-disant Lumières. Mais est-ce vraiment le cas ? L’Histoire nous prouve le contraire.

On fait souvent remonter l’origine de l’école à Charlemagne, au IXe siècle. Il ordonna en effet la création d’une école auprès de chaque abbaye ou cathédrale, dans le but d’enseigner les clercs mais également certains laïcs. On y apprenait la grammaire, le droit, la médecine, les lettres, la philosophie, sur des copies de textes antiques produites dans les bien connus scriptorium. Les religieux enseignaient à de jeunes hommes destinés aux ordres, ou aux fonctions politiques. Cette organisation scolaire était si bien établie qu’elle survécut aux invasions barbares et à l’anarchie du Xe siècle. Les religieux, principaux détenteurs du savoir, n’avaient pas cessé de transmettre leurs connaissances et de continuer à enseigner, ce qui permit un nouvel élan intellectuel en Gaule et en Italie après les années 950. Les XIe et XIIe siècles virent le développement d’écoles non rattachées à une cathédrale ou à un monastère, jetant la base des premières universités, dirigées par des religieux ou des laïcs reconnus pour leur piété (Saint Albert le Grand…). Ces universités bénéficièrent très tôt de la haute protection de l’Église. Ainsi les universités de Bologne (créée en 1088), d’Oxford, de Montpellier, de Toulouse, reçurent des papes divers privilèges en vue de favoriser leur enseignement et leur croissance. Par ailleurs, le 3ème concile de Latran (1179) fait obligation pour chaque cathédrale de disposer d’une école gratuite : « Il y aura, pour l’instruction des pauvres clercs, en chaque église cathédrale, un maître […] qui enseignera gratuitement.» Ainsi toute personne appelée aux responsabilités religieuse ou politique pourra bénéficier d’un enseignement de qualité, le préparant à assurer son office de la meilleure manière qui soit, et ce pour le plus grand bien non seulement de l’Église, mais encore de toute la société civile.

On pourrait alors objecter que cet effort de l’Eglise dans l’enseignement ne visait que les élites, afin de les diriger et de les subordonner au clergé, tandis qu’elle laissait le bas peuple dans l’ignorance. Il est vrai que l’éducation du Tiers Ordre2 à l’époque médiévale n’est pas à l’ordre du jour : la très grande majorité de la jeunesse est en effet attendue dans les champs ou à l’atelier familial, plutôt qu’au siège des échevins, notaires et huissiers de justice. L’enseignement est surtout religieux, avec l’apprentissage du catéchisme et de la morale chrétienne lors des sermons et des leçons publiques, que prêtres et moines dispensent à l’église ou sur les parvis. C’est là le fonctionnement de la société médiévale, où l’on estime que la connaissance principale est celle qui touche au salut de l’âme, le reste n’étant pas d’une vraie utilité quand il ne répond pas à un besoin particulier nécessité par un office spirituel ou politique. Cette apparente ignorance est en réalité compensée par un solide bon sens et une réelle connaissance du monde, aujourd’hui quasiment perdus du fait des idéologies modernes et de l’omniprésence du virtuel.

Une autre constatation vient rejeter l’objection faite plus haut : la croissance de l’Eglise en Europe et dans le monde s’est partout accompagnée d’une prolifération des écoles et autres établissements d’enseignement. Des ordres religieux en font leur spécialité, tels les salésiens3 ou les jésuites4, en Occident comme en terre de mission. En terre étrangère, l’école est l’un des premiers bâtiments construit par les missionnaires assurant bien souvent l’enseignement de leurs nouvelles ouailles. Ainsi, l’histoire de l’Eglise est indissociable de celle de l’enseignement, au rebours de ce qu’affirment de nombreuses critiques.

« L’Eglise s’est opposée aux scientifiques et à leurs recherches »

Une attaque plus courante contre l’Eglise est qu’elle se serait généralement opposée à la recherche scientifique et aux savants qui, par leurs travaux, contredisent ou risquent de remettre en question son autorité. Référence est alors faite à l’affaire Galilée, comme preuve de l’obscurantisme et de la tyrannie de l’Église contre les chercheurs, désireux seulement d’éclairer le peuple. Revenons brièvement sur cette histoire, ce qui permettra de rétablir des faits historiques et en même temps d’exposer quelques principes de la relation entre la science et la Foi.

Galilée5 enseigne d’abord les mathématiques, puis l’astronomie à l’université de Padoue. Le système alors en vigueur est celui de Ptolémée, ou système géocentrique : la Terre est fixée au centre de l’univers, tandis que les autres planètes ainsi que le Soleil tournent autour d’elle. Cette croyance a bien été remise en cause par Copernic6, soutenant au contraire le système héliocentrique (le Soleil est le centre de l’univers), mais il ne réussit pas à apporter suffisamment de preuves scientifiques pour convaincre ses contemporains, d’autant plus que le géocentrisme semble plus en accord avec ce que l’on peut lire dans la Sainte Ecriture. L’héliocentrisme bénéficie pourtant d’un certain soutien parmi les papes eux-mêmes, dont Clément VII7, ne remettant pas pour autant en cause l’Ecriture : cette dernière n’est pas un traité de science ou une œuvre à prendre systématiquement au sens littéral. Elle s’adresse à l’ensemble des hommes et doit donc être comprise par eux, charge ensuite à l’Église de clarifier ce qui pourrait interroger, à la lumière de la Tradition. En 1609, Galilée est convaincu du système de Copernic et proclame haut et fort la fausseté du géocentrisme. Le problème est qu’il présente immédiatement ce système comme une certitude scientifique, impliquant ainsi une remise en cause de l’interprétation alors en cours de l’Ecriture, sans pour autant donner de preuves concluantes8. Or les autorités religieuses sont disposées à corriger leur compréhension des textes, pour peu que la certitude scientifique soit établie : « Que Galilée nous apporte d’abord quelques preuves scientifiques convaincantes ; il lui sera ensuite loisible de parler de la Sainte Ecriture » (P. Greinberger) : « Je ne croirai pas à l’existence d’une pareille démonstration avant qu’elle ne m’ait été faite et, dans le cas de doute, on ne doit pas abandonner l’interprétation traditionnelle. » (Cardinal Bellarmin)

Le problème est donc d’abord une question de méthode scientifique (pas d’affirmation absolue avant de prouver) puis une question religieuse (l’interprétation de l’Ecriture). Le refus de Galilée de présenter l’héliocentrisme comme une théorie, en l’absence de preuves réelles, et sa remise en question implicite de l’Ecriture lui valurent une première condamnation : il lui est interdit de parler de l’héliocentrisme, tant que les découvertes scientifiques n’auront pas apporté de certitude en la matière. Ne respectant pas son serment, il sera assigné à résidence suite à un second procès en 1633, pour parjure et tromperie, ayant obtenu par fraude l’autorisation de publier un ouvrage affirmant de nouveau la certitude de son système, sans apporter plus de preuves. Cette nouvelle condamnation disciplinaire sera effectuée dans divers palais avec toutes les commodités possibles, bien loin de l’image de persécution que rapporte l’historiographie moderne.

 

La science, servante de l’Eglise ?

La relation entre Science et Eglise, entre Raison et Foi, s’exprime dans une subordination de la première à la seconde. Elles ont toutes deux la vérité comme objet, mais sur des plans différents. La science relève plutôt de la vérité physique, qu’elle cherche à démontrer principalement par l’expérience et l’observation. Pour arriver à une certitude absolue, à la vérité scientifique, des théories sont d’abord échafaudées, pour être ensuite confirmées ou contredites par les expériences et les observations. Le chemin est long avant de parvenir à la vérité recherchée, et les exemples ne manquent pas de certitudes d’un temps qui ont été remplacées par d’autres : le remplacement du géocentrisme par l’héliocentrisme, où s’est illustré Galilée, le montre bien. Les défaillances humaines, les défauts éventuels des outils scientifiques rendent difficile l’atteinte de la vérité. Par la science, l’homme découvre lentement le monde qui l’entoure. Il peut, par la raison, sortir du monde physique pour prouver l’existence de Dieu ou l’immortalité de l’âme, mais il est bien en peine d’en dire plus.

La Foi, quant à elle, a pour objet direct Dieu et sa création. Elle s’appuie sur la Révélation, contenue dans la Bible, et sur la Tradition, c’est-à-dire sur l’enseignement des apôtres par le Nouveau Testament et l’enseignement de l’Église. Alors que la Raison peut errer et se tromper dans sa recherche de la vérité, la Foi donne une connaissance sûre des vérités les plus hautes concernant Dieu, puisqu’elle provient directement de Lui. La théologie, ou science de Dieu, vient approfondir les vérités qui seraient plus difficiles à comprendre. Cette connaissance des choses de Dieu est en soi la seule nécessaire à l’homme, puisqu’elle lui permet d’accomplir son but qui est de connaître, d’aimer, de servir Dieu et ainsi d’atteindre le bonheur parfait. La science humaine, pour respectable et éminente qu’elle soit, n’a pour but que de permettre à l’homme d’atteindre une paix terrestre, temporelle, qu’il doit mettre à profit pour mieux se diriger vers Dieu. Cette connaissance du monde peut malheureusement être dévoyée, et servir à des buts autres que la recherche de Dieu et sa contemplation, s’attirant alors la condamnation des autorités romaines9 : le salut de l’homme étant supérieur au savoir, il appartient au devoir de l’Église de corriger les chercheurs quand leurs erreurs mettent le prochain en danger de perdre son âme. 

Nous pourrions pour conclure dresser une liste des religieux qui, par leurs travaux, ont fait avancer la science. Cela permettrait d’enterrer définitivement l’accusation d’opposition de l’Église à la science ; mais leur nombre est bien trop important pour en faire ici le catalogue10. En résumé, l’Église a toujours encouragé la Science et son enseignement, quand elle permet à l’homme de devenir meilleur et de se rapprocher de Dieu. Elle l’a également combattue ou dénoncée lorsqu’elle était utilisée au mal. Dans ce dernier cas, elle n’est plus légitime et corrompt l’homme au lieu de le grandir : « Science sans conscience, disait Rabelais, n’est que ruine de l’âme.» Cela est encore plus vrai quand la science s’oppose à la conscience de Dieu.

RJ

1 Science est utilisé dans cet article pour parler de l’ensemble des sciences, et non pas uniquement de la science « technologique »

2 La société médiévale est divisée entre le Clergé (religieux), la Noblesse (chevaliers) et le Tiers Ordre (artisans, laboureurs …)

3 Congrégation fondée en 1859 par saint Jean-Bosco

4 Fondée par saint Ignace de Loyola en 1539

5 Galileo Galilei : Italie, 1565 – 1642

6 Nicolas Copernic : Prusse, 1473 – 1543

Pape de 1523 à 1534

8 Il appuyait sa démonstration sur le phénomène des vents et des marées, qui ne sont pourtant pas causés par la rotation de la Terre.

9 Se référer aux textes de Pie XII : l’encyclique Humani Generis (1950), Discours à l’académie des sciences (1951)…

10 Nous renvoyons le lecteur intéressé par ce sujet au Savoir et Servir n°75, ed. du MJCF, duquel une grande partie de cet article est tiré.