L’instant présent est d’abord celui de la présence de Dieu : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » Dieu est l’éternel présent. Nous devons être convaincus que chaque instant, quel qu’en soit le contenu, est plein de la présence de Dieu, riche d’une possibilité de communion spirituelle avec lui. On ne communie à Dieu ni dans le passé, ni dans le futur, mais en vivant chaque instant en sa présence.
Au lieu d’être constamment projeté dans le passé ou dans l’avenir, il faudrait apprendre à vivre chaque moment comme se suffisant à lui-même car Dieu est là, et si Dieu est là je ne manque de rien.
Notre sentiment de vide, de frustration, d’inquiétude, l’impression de manquer de telle ou telle chose vient souvent du fait que nous vivons dans le passé (regrets, déceptions…), ou dans l’avenir (peurs, vaines attentes…) au lieu de vivre chaque instant en l’accueillant tel qu’il est, riche de la présence de Dieu qui nous nourrit et nous fortifie. Vivre ainsi l’instant présent dilate le cœur ! « Apprenons à lancer notre cœur à Dieu », recommande saint Bernard. Le Seigneur se sent alors comme chez Lui dans l’âme qui s’abandonne tout à Lui.
Aujourd’hui
Sans me soucier du passé ni de l’avenir, aujourd’hui je décide de croire, aujourd’hui je veux mettre toute ma confiance en Dieu, aujourd’hui je choisis d’aimer Dieu et mon prochain, et le jour suivant, nouvel « aujourd’hui » qui m’est accordé par la grâce divine, je recommence. Et ainsi de suite inlassablement, sans chercher à mesurer mes progrès, sans me décourager de mes faiblesses, sans me targuer de mes réussites, ne comptant pas sur mes propres forces, mais m’appuyant sur la Providence dans une présence de Dieu constante.
Sainte Thérèse de Lisieux disait : « Pour t’aimer ô Jésus, je n’ai rien qu’aujourd’hui… C’est parce qu’on pense au passé et à l’avenir qu’on se décourage et qu’on se désespère. »
Ce qui nous écrase, c’est bien souvent la projection dans l’avenir. Ce n’est pas la souffrance, mais l’idée que nous en avons. « Le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité, on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c’est en la portant que l’on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance, – qui n’est pas la souffrance car celle-ci est féconde et peut nous rendre la vie précieuse – il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi la vie réelle avec toutes ses faces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle dans sa propre vie. »
Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez -vous ?
La foi de Marie-Madeleine a été mise à rude épreuve. Tantôt paisible et priante, tantôt pleurante et souffrante… La foi de la grande convertie a été modelée, purifiée par la sage pédagogie de Dieu. On aurait pu penser que cela suffisait, mais il n’en est rien ! La bonne et fidèle Madeleine va subir une nouvelle purification. Comment Jésus va-t-il s’y prendre ? En laissant quelque temps la pauvre femme troublée par ses propres pensées, ses manières, ses projets… >>> >>> Or ce côté trop humain doit être anéanti pour que l’âme puisse se plonger sans retour dans la joie de la Résurrection.
Il est tôt le matin, Marie-Madeleine se rend au sépulcre qu’elle trouve vide, la pierre roulée. Une peur panique, irrépressible, l’angoisse du tombeau vide la gagne subitement. Saisie de vertige, elle court auprès de Pierre et Jean : « Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où ils l’ont mis ! » Elle retourne ensuite au sépulcre et se retrouve seule, elle s’agite, tout en pleurs parcourant le monde par son imagination affolée…
On se souvient que Marie-Madeleine avait tout donné à Jésus, à commencer par elle-même. Elle avait vu en lui sa miséricorde éternelle et s’était livrée à Lui. Jésus était sa vie, sa joie, son espérance, son tout. Et Le voilà perdu, disparu. Que Lui a-t-on fait ? Où est-Il ?
La foi de Madeleine traverse un nouveau purgatoire, une épreuve terrible mais nécessaire pour jouir bientôt de « l’union transformante ». C’est en passant par le feu que le sable devient verre. La pécheresse convertie doit apprendre que Dieu n’est jamais plus présent que lorsqu’on le croit absent. Bossuet a très bien exprimé ce mystère :
« Vous plaindrez-vous qu’il vous a trompée ? Non, non il ne vous trompe pas ; ou s’il nous trompe, c’est d’une autre sorte. C’est qu’il nous unit à lui plus intimement dans le temps même que tous nos sens n’éprouvent qu’éloignement et séparation. C’est ainsi que l’amour doit être traité pendant ce pèlerinage.
Il faut qu’il se nourrisse de la foi, qu’il ne vive que d’espérance ; qu’il croisse parmi les détachements et les privations les plus tuantes ; car il faut non seulement qu’il meure martyr de Jésus-Christ, que ses propres ardeurs soient son martyre, et que son bien-aimé même soit son tyran. […] Telle est la conduite, tels sont les détours, telle est la tyrannie de l’amour divin durant ces temps misérables de captivité et d’exil1. »
« Le chrétien de tous les temps n’est pas exempt de telles épreuves. Il connaît aussi l’angoisse du tombeau vide quand il assiste impuissant à la perte de la foi chez un fils ou un frère, au désastre d’un foyer qui se déchire, aux sacrilèges liturgiques, aux profanations du sacerdoce. Autant de tombeaux, autant de sanctuaires souillés par la main des impies, autant de désastres qui laissent l’homme de Dieu désarmé, autant de vides qui arrachent les larmes de compassion, autant de tabernacles qu’il faut rendre au Seigneur. Quel tourment pour le cœur qui aime Dieu ! Mais l’Esprit Saint passe et prépare l’âme à la vision2. »
« A chaque jour suffit sa peine », essayons de suivre cet enseignement du Christ, et de ne pas ajouter à la peine du jour, qui est déjà bien suffisante, celle d’hier et celle de demain ! Pour cela exerçons-nous à ne porter que la difficulté d’aujourd’hui, en remettant le passé à la Miséricorde divine, et l’avenir à la Providence.
Sophie de Lédinghen
1 Bossuet, Discours inédit
2 Sainte Marie-Madeleine, la foi victorieuse. Ed. du Saint Nom