L’Angélus de Millet ou quand le travail cesse

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Chaque jour à 07h00, 12h00 et 19h00, les cloches retentissent. C’est l’Angélus. Chacun cesse son travail et se recueille un instant. Le monde se met en pause. C’est ce que décrit le célèbre tableau du peintre symboliste Jean-François Millet, réalisé entre 1857 et 1859, aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay à Paris. Particulièrement connu, ce tableau présente un paysan et sa femme, recueillis dans les champs, alors qu’ils ramassent les pommes de terre.

Millet, le peintre du travail aux champs

Millet est connu pour ses tableaux mettant en scène les travaux des champs. Il a notamment peint Les glaneuses (1857), La récolte de pommes de terre (1855) et d’autres tableaux à thématiques rurales. Il peint notamment La plaine de Chailly en 1862, s’inspirant de la campagne environnant le hameau de Barbizon où il s’est installé. Le choix de l’Angélus s’inscrit donc dans cette série de tableaux à thématique paysanne où l’artiste dépeint le quotidien laborieux des paysans qu’il côtoie. Cette campagne lui sert de cadre également pour peindre l’Angélus. En arrière-plan, le clocher est celui de Chailly-en-Brière, paroisse voisine de Barbizon. Le soir tombe, répondant à l’appel des cloches, Monsieur a planté sa fourche dans le sol pour retirer son chapeau. A ses côtés, Madame a joint les mains sur son cœur. Tous deux inclinent la tête pieusement. A leurs pieds, un panier de pommes de terre attend d’être déversé dans la brouette. Leur attitude est simple et révèle toute la beauté de cette piété populaire.

Un souvenir d’enfance

Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à mettre en scène la piété paysanne, Jean-François Millet répondait qu’il s’agissait de peindre un souvenir d’enfance : « L’Angélus est un tableau que j’ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’Angélus pour ces pauvres morts.» Bien que l’Angélus célèbre l’Incarnation et le Fiat de la Vierge Marie lors de l’Annonciation, aux yeux de Millet cette prière commémore le souvenir de sa grand-mère défunte qui, elle-même, interrompait son travail au son de la cloche pour remercier le Seigneur. C’est peut-être ce souvenir qui le conduit à penser que cette prière est récitée en l’honneur des défunts alors qu’il n’en est rien. Intervenant aux trois heures de la journée correspondant aux offices monastiques des Laudes, de Sexte et des Complies, la cloche de l’Angélus invite chacun à mettre son travail en pause pour remercier le Seigneur. Ce faisant, elle rappelle à chacun ses fins dernières et la primauté de la prière sur le travail. Ayant lui-même prié l’Angélus avec sa grand-mère, Millet honore sa mémoire par ce tableau.

L’Angélus après Millet

Si Millet est le premier à peindre le rituel de l’Angélus, il ne reste pas seul à faire sienne cette thématique à la fois paysanne et religieuse. A sa suite d’autres artistes s’emparent du thème. C’est le cas de Jean Laronze qui, dans un tableau intitulé l’Angélus, conservé également au Musée des Ursulines de Mâcon, met en scène une famille de pêcheurs dans la même attitude de recueillement. Au milieu d’un fleuve où ils sont en train de pêcher, une famille se recueille, debout dans la barque qui leur sert d’embarcation.

Dans le même esprit, Georges Dupré réalise vers 1904 des plaques en bronze conservées au Musée d’Orsay, reprenant cette thématique : un bouvier en prière devant sa charrue, une femme gardant les brebis assisse avec son enfant, etc… Aux XIXe-XXe siècles, connus pour leur forte industrialisation, l’Angélus devient un thème artistique à part entière mettant à l’honneur la simplicité de la piété paysanne et la paix qu’elle apporte aux alentours.

Conclusion

L’Angélus, cette prière dont la pratique remonte au Moyen-Âge, a donc attendu quelques siècles avant de devenir un thème artistique reconnu. A la fois religieux et paysan, l’Angélus est aussi une thématique familiale. Quel que soit le tableau, l’Angélus y est dépeint comme un moment de recueillement familial ponctuant une journée de travail. Il est un instant de paix qui invite chacun à s’unir par la prière pour louer le Seigneur et offrir à Dieu son travail.

 

Une médiéviste au XXIe siècle