Un sacrifice, c’est dur quand on l’avale

Un dimanche soir, après 20 km au pèlerinage de Pentecôte, les enfants âgés de 7 à 12 ans traînent la patte sous le soleil…Vont-ils tenir pour l’heure de marche restante ?

« Les enfants, dit le chef de chapitre, vous êtes fatigués, c’est normal ! C’est l’occasion de gagner encore plus de mérites : chacun va offrir ses difficultés, sa fatigue, ses ampoules s’il en a, de tout son cœur, par amour de Jésus et de Notre-Dame, comme un sacrifice pour une intention personnelle : ses parents ou grands-parents s’ils sont malades ou en difficulté ; la famille, un camarade ou des voisins à convertir ; les vocations qu’il connaît… Vous êtes d’accord pour essayer ? Alors prions et chantons de tout notre cœur maintenant.»

Instantanément, et comme chaque année, les enfants répondent présent, le chant est plus fort, le groupe se resserre et reprend un rythme de marche régulier. Parfois on chante « un sacrifice, c’est dur quand on l’avale… Mais après ça, on dirait que c’est du sucre ! »

Que s’est-il passé ?

Les intentions concrètes ont facilité le sacrifice, l’oubli de soi et de ses douleurs (réelles). Elles ont redonné une motivation et un courage. L’exemple des plus faibles va stimuler les autres. Une fois l’étape atteinte, la légitime fierté d’y être arrivé va fortifier la confiance en soi pour les prochaines épreuves : « J’ai été capable de le faire, je pourrai recommencer ! »

Enfants ou adultes, notre nature humaine est ainsi faite. Nous avons besoin de nous oublier et de rester concrets pour progresser avec la grâce de Dieu.

Des actions insignifiantes méritoires et formatrices !

Bossuet, qui fut un grand directeur de conscience, « aux grands efforts extraordinaires où l’on s’élève par de grands élans, mais d’où l’on retombe d’une chute profonde », préférait « les petits sacrifices qui sont quelquefois les plus crucifiants et les plus anéantissants, les gains modestes, mais sûrs, les actes faciles mais répétés et qui tournent en habitudes insensibles… »

« En effet, l’homme courageux n’est point celui qui accomplit quelque grand acte de courage, mais bien celui qui accomplit courageusement tous les actes de la vie… Nous devons, à défaut de grands efforts, en accomplir à toute heure, de petits, excellement et avec amour. La grande règle, c’est d’échapper, jusque dans les petites actions, à la vassalité de la paresse, des désirs et des impulsions du dehors… On vous appelle pendant votre travail (ou votre épouse vous demande un service), vous avez un mouvement d’humeur : aussitôt levez-vous, contraignez-vous à aller vivement et joyeusement où on vous appelle… La devanture d’un magasin vous attire à l’heure où vous rentrez : passez de l’autre côté de la rue et marchez rapidement1… » Faire les comptes et gérer les papiers administratifs vous répugne : astreignez-vous à les traiter au moins une fois par mois dès le début du week-end… Un plat manque de sel, taisez-vous et contentez-vous de ce qui est servi… C’est par de tels « crucifiements » que vous vous habituerez à triompher de vos penchants, à progresser et à donner l’exemple sans vous laisser décourager par les échecs et les difficultés. Rien n’est perdu, chaque action apporte à la formation du caractère et au progrès spirituel sa quote-part. Chaque victoire, si petite soit-elle, diminue l’effort du lendemain.

Nous avons bien compris que ces considérations valent pour l’éducation de nos enfants, mais elles sont d’abord utiles pour nous-mêmes. Comment prêcher ce qu’on n’essaie pas soi-même de pratiquer ? Comme les petits pèlerins, il nous faut travailler dans le concret de l’instant présent.

N.D. de Fatima nous invite au sacrifice quotidien

Chacun sait combien Notre-Dame a insisté auprès des voyants sur l’importance des sacrifices « pour les pauvres pécheurs ». Lucie a précisé le 20 avril 19432 : « La pénitence que le Bon Dieu demande c’est le sacrifice que chacun doit s’imposer à lui-même pour mener une vie de droiture dans l’obéissance à sa loi. Il veut pour mortification l’accomplissement simple et honnête des tâches quotidiennes et l’acceptation des peines et des soucis. Étant à la chapelle à minuit, Notre-Seigneur me disait : le sacrifice exigé de chacun est l’accomplissement de son propre devoir et l’observation de ma loi ; c’est la pénitence que maintenant je demande et j’exige.» Puis en 1957, Lucie ajoutera « Chacun doit non seulement sauver son âme mais aussi toutes les âmes que Dieu a placées sur son chemin3.»  

Voilà donc un programme exaltant et simple tout tracé pour les pères de famille ! Il ne s’agit pas de nous perdre dans des rêves inaccessibles, mais de profiter de chaque circonstance présente pour en faire un acte d’amour ou de renoncement à notre volonté propre, pour le bien de notre épouse, de nos enfants, de ceux qui nous sont chers… Le Bon Dieu qui nous a voulus pères, a voulu que notre amour familial soit inséparable de l’amour de Dieu, et nous soit une aide pour aller vers Lui. Que nos efforts ne soient ni trop rigides, ni trop lâches, qu’ils gardent assez de souplesse et d’équilibre pour ne pas devenir un obstacle à notre activité, à notre paix ou à notre bonne humeur. Mais, comme les B.A. (bonnes actions) des scouts, que nos sacrifices soient quotidiens. Il nous semblera de plus en plus naturel d’en faire, et nous soutiendrons ainsi notre progrès surnaturel et celui de notre famille.

Haut les cœurs !

« Si vous voulez être des vainqueurs, luttez et établissez triomphante la vertu dans votre cœur, creusez profondément, même au prix des plus héroïques sacrifices, le sillon du bien ; exercez vos facultés par cette gymnastique fatigante, c’est vrai, mais fortifiante de l’habitude4 ».   

Pour y arriver, pratiquons cette devise que la Croisade Eucharistique enseigne à nos enfants : « Prie, Communie, Sacrifie-toi, Sois apôtre ! »

Le Bon Dieu nous attend dans le concret de chaque jour, notre épouse et nos enfants aussi !

Hervé Lepère

 

1 F.A. Vuillermet, OP, Soyez des hommes.

2 Lettre à Mgr Fereira da Silva, Fatima, manuel du pèlerin, éditions parthenon – 2017.

3 Au père Fuentes, idem.

4 F.A Vuillermet, OP