Sortir de la caverne ou y rentrer

 

« Si quelqu’un tente de délier et de conduire en haut ceux qui sont prisonniers dans la caverne, et que ceux-ci le puissent tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueront-ils pas ? – Sans aucun doute, répondit Glaucon1. »

Sortir de la caverne ou y rentrer, ne serait-ce pas la question ?

Qu’il est viril et plein d’audace, cet être humain mis en scène par Platon, osant, au début du septième livre de La République, se retourner et quitter le triste spectacle des ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui lui faisait face, pour affronter la pleine lumière, malgré la souffrance de l’éblouissement et sortir de la caverne ?

La magnifique allégorie du philosophe grec ne signifie-t-elle pas cette belle aventure de la pensée humaine en quête de la vérité ? « Il s’agira d’opérer la conversion de l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour véritable, c’est-à-dire de l’élever jusqu’à l’être : et c’est ce que nous appellerons la vraie philosophie2.» Sans doute, Platon se trompe partiellement dans sa trop grande opposition entre le monde sensible et le monde intelligible. Mais on le lui pardonne aisément lorsqu’on pense au décisif élan qu’il a donné à l’esprit de l’homme pour conquérir la sagesse !

Et vraiment, comment ne pas aimer ce téméraire de la caverne qui passe au-dessus de la crainte que ses yeux soient blessés par la lumière parce qu’il cède à l’irrésistible besoin de son esprit de connaître et de pénétrer jusqu’à l’essence des choses.

Sortir de la caverne, c’est l’attitude saine et optimiste de l’homme à qui Dieu a donné une intelligence pour connaître la vérité, pour gouverner sagement les sociétés et pour les contempler !

 Mais que se passe-t-il donc, quand l’homme est fatigué de vivre et fatigué de tout ? Quand son esprit devenu sceptique ne se préoccupe plus de la vérité ? Quand il n’a plus que faire des lois divines pour le gouvernement de lui-même et des sociétés ? Quand il a commis le crime de ne même plus se reconnaître comme dépendant d’un Dieu ?

L’homme fatigué d’être homme se replie sur lui-même, cherche à se protéger du réel et de la vérité comme ses ennemis ! Il cherche alors à se créer un monde qui ne risque plus de le réveiller et de le brusquer. Il rentre dans la caverne. Il se déclare satisfait de ressortir du réel, après vingt-quatre siècles, pour se retourner vers le triste mur qui en forme le fond et qu’il a nommé « écran ». Il y regarde de nouveau ses images et s’enferme dans son monde virtuel.

Ne t’es-tu pas trompé, Platon ? Tu écrivais de l’homme sorti de la caverne que « se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l’on y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité (…) qu’il se réjouira du changement et plaindra ces derniers3.» Eh bien, sache, ô Platon, qu’un âge est arrivé où les hommes sont retournés en masse dans la caverne, s’y sont volontairement enchaînés et vivent là, les yeux rivés sur la paroi et sur les images incessantes qui défilent devant eux.

Ô Platon, comme tu dois pleurer la régression fatale de l’homme que tu avais sorti de la caverne et qui y est rentré ! Que nous en dis-tu, Platon, n’est-ce pas la fin de l’homme ? Je crois t’entendre t’exclamer, ô Platon, que l’homme qui est retourné dans la caverne n’est plus digne de vivre. Mais l’avais-tu deviné, Platon, je te conjure de me le dire, qu’un jour l’homme retournerait dans la caverne dont tu l’avais sorti ?

R.P. Joseph

 

1 Platon, La République, VII, 517.

2 Platon, ibid., VII, 477.

3 Platon, ibid., VII, 516.