Ô saint Joseph, apprenez-nous !

« Oh, papa, vous allez faire des travaux ? » La mine réjouie du petit garçon arrache un sourire à son père. Ses yeux pétillent de joie à l’idée qu’aujourd’hui, avec papa, il va pouvoir jouer avec quelques outils. Oh, il ne lui faut pas grand-chose pour être comblé, à trois ans : un petit grattoir pour ôter les morceaux de tapisserie récalcitrants sur le mur, une vieille éponge imbibée d’eau tiède pour dissoudre la colle et arracher le papier peint, un marteau pour détacher les anciennes plinthes, un tournevis qui demandera toute sa concentration pour rester docilement dans la tête de vis et tourner sans récriminer. En fait, tous les enfants aiment ces journées de travaux dans la maison. Chacun, selon son âge, en fera plus ou moins. Petit à petit, à force de patience, leur aide devient véritablement efficace. Leurs petits travaux deviennent une vraie réalisation, qui, une fois achevée, les rend fiers. Peinture, papier peint, manutention de meubles, corvées de bois, potager, ou plus humblement, coups de balais, aide à la cuisine… Les petites mains s’activent dans la maison et les petits cœurs goûtent la joie du travail bien fait.

Car oui, à l’école de leurs parents et maîtres, l’impatience des enfants à faire, souvent trop vite, laisse peu à peu la place à la joie d’avoir bien fait. Les enfants apprennent la docilité pour imiter le bon geste, la patience pour essayer à nouveau après l’échec, l’humilité pour comprendre que derrière les choses qui se voient se trouvent toujours des tâches plus ingrates, invisibles. Et même, qu’il n’existe pas de beauté dans un travail sans qu’il n’y ait, nécessairement, une tâche, un effort invisible, un sacrifice, un don caché derrière ce qu’on voit. Ce qui attire l’œil n’est véritablement achevé que si l’artisan, celui qui a réalisé l’œuvre, y a mis tout ou partie de son cœur.

Ô saint Joseph, apprenez-nous la charité ! Enseignez-nous, vous qui guidâtes les mains du Sauveur sur le rabot. Une œuvre d’art sans charité n’a aucune valeur aux yeux de Dieu. Mais la plus petite chose, faite avec la plus grande Charité, résonne dans l’éternité par-dessus les siècles. Ainsi, du parfum jeté sur les pieds de Jésus par sainte Marie-Madeleine, ainsi, du bâton sec arrosé par l’obéissance de sainte Rita, puis fleuri et porteur de fruit par sa charité. Ainsi du petit geste, humble, fait dans le secret de Dieu, par amour, qui claquera comme un étendard éclatant sur les parvis célestes au jour du jugement dernier. Ce qui n’est pas fait avec le cœur n’a pas de valeur.

Ô saint Joseph, apprenez-nous la patience ! Vous qui eûtes le plus pur des élèves, apprenez-nous à sans cesse recommencer. A ne pas rester sur un échec, mais toujours, à essayer à nouveau. Puis, à ne jamais se satisfaire du médiocre, mais à toujours chercher à faire mieux, à force d’entraînement. Dans nos œuvres manuelles comme dans nos œuvres intellectuelles et spirituelles. Que nos méditations soient de plus en plus profondes, que nos travaux manuels soient toujours plus aboutis, qu’au bureau comme à la maison, nous ne nous lassions jamais de faire mieux que la fois précédente. Par le travail, l’homme a le pouvoir, reçu de Dieu, de parfaire la Création. Pouvoir immense, qui confère au travailleur une noblesse qui oblige.

Ô saint Joseph, apprenez-nous l’humilité ! Vous qui demeurâtes caché dans l’ombre du Fils de Dieu, enseignez-nous une plus grande humilité, qui nous fera rechercher uniquement l’agrément de Dieu et non celui des hommes. L’authentique goût du travail bien fait comble de joie notre cœur quand nous offrons nos travaux pour la gloire de Dieu, peu importe l’opinion des hommes, peu importe même qu’un seul homme connaisse notre œuvre tant que Dieu la considère. Ainsi en est-il des pierres et poutres de Notre-Dame de Paris, dans des endroits inaccessibles, et pourtant, travaillées avec soin, parfois décorées d’une frise ou d’un autre ornement ouvragé. L’homme du XXe siècle s’étonne :  pourquoi mettre de la beauté là où aucun œil humain ne peut accéder ? Tout simplement parce que l’ouvrier est véritablement chrétien lorsqu’il œuvre pour Dieu d’abord, indépendamment du regard des hommes. Que la pierre soit sur le tympan admiré des pèlerins ou sur le faîte d’un arc de la voûte, elle doit être faite avec le même soin, car Dieu voit les deux.

Ô saint Joseph, apprenez-nous à donner du cœur à l’ouvrage, à patiemment chercher à toujours faire mieux, à ne travailler que pour la gloire de Dieu. Ainsi, nous pourrons enseigner à nos enfants ce goût du travail chrétien, celui qui bâtit jadis les cathédrales de nos villes, celui qui recopia les textes sacrés à la lumière d’une bougie, celui qui défricha les forêts et draina les marais autour des abbayes. Un père qui n’emmènerait pas ses garçons et ses filles travailler avec lui, dans la maison ou au jardin, manquerait à son devoir d’éducateur. Car le travail que nous faisons avec nos mains et notre tête, sur cette terre, à la manière de saint Joseph, est l’image du travail que nous faisons dans notre âme pour édifier la cathédrale de notre sanctification, éternelle, toute offerte à la gloire de Dieu.

 Louis d’Henriques