Ad Petrum : San Pietro al Monte de Civate

Au sommet d’une montagne escarpée sur la commune de Lecco en Lombardie (Italie du nord), se tient l’inaccessible abbaye romane de San Pietro al Monte de Civate. Uniquement accessible via un chemin de randonnée d’une heure minimum sur un dénivelé de 300m, c’est une véritable ascension qu’il faut réaliser pour atteindre cette abbaye bénédictine reculée, en haut de la montagne, dont la fondation remonte au VIIIe siècle.

Origines du monastère 

C’est au dernier roi des Lombards, Desiderius, que la légende attribue la fondation d’un monastère bénédictin en 772, sur la montagne de Civate, en reconnaissance pour la guérison miraculeuse de son fils Adelphe, devenu aveugle au cours d’une chasse au sanglier. Recueilli par un ermite installé en haut de la montagne, il est guéri miraculeusement par l’eau d’une source qui coulait à côté de son ermitage.

Le premier édifice, érigé à la demande de Desiderius, est par la suite intégralement reconstruit au XIe siècle à l’initiative d’Arnulphe, évêque de Milan. Nommé par l’empereur germanique et non par le pape, il fut d’abord déposé pour simonie avant de devenir lui-même un grand réformateur au service du pape Urbain II. Il fit le choix de se retirer à Civate à la fin de sa vie, en pénitence pour l’expiation de ses péchés. A cette occasion, l’axe de l’église est inversé. L’abside et donc l’autel sont déplacés à l’ouest, tandis que l’ancienne abside est transformée en narthex, espace d’accueil pour les pénitents et les catéchumènes, aménagé, dans la plupart des édifices paléochrétiens et médiévaux.

Les peintures murales

Le complexe monastique est actuellement composé de l’église abbatiale elle-même, de l’oratoire Saint-Benoit, autour duquel les moines étaient ensevelis, et de quelques vestiges des bâtiments monastiques aujourd’hui transformés en gîtes à destination des pèlerins et des randonneurs. Après sa construction au XIe siècle, elle est ornée de peintures murales d’une qualité remarquable, dont une large part nous est parvenue, notamment dans le narthex, à l’entrée de l’église.

A l’extérieur, au-dessus du portail, une traditio legis et clavium accueille le pèlerin. Rappelant le pouvoir de lier et délier les péchés donné à saint Pierre par le Christ lui-même, elle présente le Christ au centre, en train de donner les clefs à saint Pierre et la loi, sous forme d’un parchemin, à saint Paul, car Pierre et Paul ne vont jamais l’un sans l’autre.

Une fois rentré, le pèlerin se voit « arrosé » par les quatre fleuves du Paradis, représentés de façon allégorique sous la forme de petits hommes déversant le contenu de leurs outres en direction du sol, et donc du pèlerin qui vient de franchir le seuil de l’église. Sur la portion de voûte précédente, le Christ, accompagné de l’Agneau, trône au centre d’une enceinte quadrangulaire à douze portes, la Jérusalem Céleste. A ses pieds une source jaillit, c’est la source de Vie, Fons Vitae, en référence au baptême. Dans le livre qu’il tient de sa main gauche sont inscrits les mots latins : Qui sitit veniat (Apo 22, 17), « Que celui qui a soif vienne ». Avoir la volonté de se laver de ses péchés semble la condition sine qua non pour pénétrer dans l’édifice. A droite sur le mur, probablement en référence à l’histoire personnelle d’Arnulphe, le pape saint Marcel réintègre les lapsi, ces chrétiens, dont des évêques, qui, au cours des premiers siècles, avaient abandonné la foi par peur des persécutions politiques de Dioclétien.

La nef a en grande partie perdu son décor peint. Seul subsiste le récit magistral du chapitre 12 de l’Apocalypse, relatant le combat de la femme contre le dragon. Placé sur le mur oriental, juste au-dessus de l’entrée, il n’est donc visible qu’en sortant. Enfin, dans les absidioles latérales, respectivement dédiées aux anges et aux saints, et qui encadrent l’entrée, les peintures présentent les différents ordres angéliques et les différentes catégories de saints.

Aller à Saint-Pierre 

L’occupation monastique des lieux fut courte. Dès le XIIe siècle, en raison d’un conflit opposant l’empereur germanique Frédérique Barberousse à la commune de Milan, siège de l’évêché, les moines s’installent dans la vallée. Seuls quelques-uns d’entre eux demeurent dans la montagne pour accueillir les pèlerins de passage. Le sanctuaire conserve malgré tout sa vocation pénitentielle. Chacun monte à Saint-Pierre pour renouer avec Dieu et se laver de ses péchés, d’où la « douche » imposée à l’entrée par les quatre fleuves du Paradis.

Il y est également beaucoup question des clefs de saint Pierre, en rapport avec le sacrement de pénitence puisque la traditio legis représentée au-dessus du portail, réapparaît au-dessus de l’autel, sur la face orientale d’un imposant ciborium mi-sculpté, mi-peint. Le nom de Civate lui-même viendrait du latin clavis, désignant les clefs. Enfin, le monastère revendique la garde des précieuses reliques à savoir les clefs de saint Pierre, particulièrement imposantes, en fer forgé, même s’il est évident que saint Pierre ne reçut pas littéralement les clefs du Paradis et qu’il est peu probable que le Paradis dispose littéralement de telles portes. Mais on comprend l’idée, les clefs rappellent avant tout le pouvoir de lier et délier les péchés accordé à saint Pierre et dont chaque pécheur en quête de rémission espère la délivrance.

Conclusion 

Le chemin escarpé qu’il faut gravir, parfois sous des tonneaux de pluie, montre bien qu’aujourd’hui comme hier la rémission de ses péchés ne s’obtient pas confortablement depuis son canapé. L’ascension de San Pietro al Monte de Civate dans un esprit de pénitence est évidemment acte de volonté en plus d’être une épreuve physique. Mais quelle joie devait animer le cœur des pèlerins lorsqu’à la satisfaction d’être parvenus au sommet, s’ajoutait la délivrance de l’âme qui reçoit le pardon de ses péchés. Chacun y renouait avec Dieu, enthousiasmé c’est-à-dire littéralement rempli de Dieu comme au jour de son baptême.

Une médiéviste