Les Zouaves pontificaux

« Vive le Sacré Cœur, vive la France et vive Pie IX ! » Les soldats qui, en ce 2 décembre 1870, poussent ce cri en chargeant les prussiens retranchés dans le village de Loigny, ne manqueraient pas de surprendre un spectateur non avisé. Si leur uniforme bleu ressemble à celui des troupes de zouaves de l’armée française, il diffère par la couleur, et les hommes qui le portent ne sont clairement pas originaires d’Afrique, mais plutôt de France, et même en grande partie des régions de l’Ouest. De plus, le drapeau qui les précède dans cet assaut n’est pas le drapeau tricolore, mais une bannière de procession immaculée sur laquelle se détache un Sacré-Cœur, et les mentions « Cœur de Jésus, sauvez la France » et « Saint Martin, patron de la France, priez pour nous », en face et au revers. Enfin, ils ne sont que quelques centaines à charger, sur un découvert complet de plus de deux kilomètres, une force deux fois supérieure en nombre et solidement embusquée, ignorant le déluge d’obus et de mitraille qui s’abat sur eux, comme s’il ne s’agissait que d’un exercice. Ce sont les derniers des Zouaves pontificaux, illustres combattants de Dieu et de l’Eglise. Quelle est leur histoire, et comment se sont-ils retrouvés des monts du Latium aux plaines de la Beauce ?

Un appel à l’aide

Il faut faire un saut de 10 ans en arrière pour comprendre l’origine des Zouaves pontificaux. En 1860, l’Italie est au cœur de conflits visant à assurer l’unification de la péninsule, sous le contrôle de Victor-Emmanuel, roi du Piémont. L’année précédente, la guerre qu’il a déclarée contre l’Autriche lui permet d’annexer le nord de l’Italie et une partie des Etats pontificaux, grâce à l’aide de Napoléon III. Il ne lui reste plus, pour atteindre l’hégémonie complète, qu’à se débarrasser du royaume de Naples au sud, et des terres de l’Eglise au centre.

Pie IX, pape depuis 1846, ne peut plus compter sur le soutien de l’empereur d’Autriche, et sait que Napoléon III n’est pas un allié fiable. Il lui faut d’urgence reformer les troupes pontificales, dont la valeur combative est douteuse, hormis certains corps tels que les Suisses. Il fait alors appel au général de La Moricière, ancien ministre de la guerre sous la Seconde République, qui aura ces mots : « Quand un père appelle son fils pour le défendre, il n’y a qu’une seule chose à faire, c’est d’y aller. » Pour compenser la faiblesse de l’armée (moins de 7 000 soldats, pas d’artillerie, peu d’armes modernes), La Moricière lance un appel à tous les chrétiens de bonne volonté. Ceux-ci répondent massivement, que ce soit par leurs personnes ou leurs biens. Il parvient ainsi à doubler les effectifs, notamment grâce à l’arrivée de volontaires et officiers français et belges, que l’on retrouve en grande partie dans un bataillon de tirailleurs.

Aussi impressionnante que soit la transformation opérée par le général de La Moricière, il ne disposait pas du temps nécessaire pour faire de ces troupes disparates et encore peu entraînées une armée d’élite, puissante et cohérente. En septembre 1860, Victor-Emmanuel lance ses troupes à l’assaut des Etats du Pape, et oppose près de 33 000 hommes aux 14 000 soldats de Pie IX. Ces derniers sont balayés le 18 septembre, à la bataille de Castelfidardo, près de Lorette. Les troupes fuient en pleine débâcle, à l’exception du bataillon franco-belge et d’un autre corps de volontaires français1. Le courage de ces hommes, dont la plupart se sont est confessés avant la bataille, sauve au moins l’honneur, et est un exemple d’héroïsme chrétien2. La capitulation qui suit cette bataille voit les Etats Pontificaux amputés de tout le nord, et réduits au Latium.

L’armée du Pape

Cette défaite entraîne une nouvelle refonte des armées papales, dont le bataillon franco-belge devient le cœur. Il prend au début de 1861 le nom de Zouaves pontificaux, et regroupe près de 1 000 hommes, avec une hausse jusqu’à plus de 3 000 à partir de 1867. Le recrutement des volontaires et leur armement est assuré en partie par les comités de Saint-Pierre, chargés de la collecte de fonds pour le pape après la perte des régions riches des Etats pontificaux. De 1860 à 1870, plus de 3 000 Français s’engagent pour la défense de la papauté. On y retrouve des catholiques de toutes conditions : paysans, ouvriers, notables, nobles… Beaucoup viennent des régions de l’Ouest, Bretagne et Vendée, et de nombreux noms illustres s’y côtoient : deux d’Aquin (de la famille de saint Thomas), deux Cadoudal, deux Cathelineau, cinq Charette, des descendants de Bourbon, de Chateaubriant, de Montesquieu, et d’autres encore. Tous ces hommes ont répondu à l’appel de Pie IX, tels des Croisés de l’ancien temps, à la différence qu’il ne s’agit pas cette fois de défendre l’Eglise sur quelque terre lointaine ou contre quelque hérésie, mais bien au cœur même de l’Italie. Les Zouaves se battent pour défendre le droit du pape sur ses terres, mais aussi pour contrer le principe faux de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, qui doivent tous deux mener l’homme à Dieu, avec la soumission nécessaire du politique au religieux.

La nouvelle armée pontificale ne va pas tarder à faire ses preuves. Victor-Emmanuel et Garibaldi tentent de déstabiliser les Etats du Pape en envoyant des troupes semer le trouble dans les territoires frontaliers. Les coups de main et les razzias se succèdent, et des affrontements ont lieu avec les Zouaves, envoyés pour faire face aux soudards. Ces opérations de contre guérilla durent de 1861 à 1867, et sont ponctués de maints faits d’armes et petites victoires. L’une des plus belles pages de ce corps d’élite n’est pourtant pas au combat, mais en cœur de l’épidémie : en août 1867, le choléra frappe la ville d’Albano. Les habitants se sont calfeutrés, et les corps des victimes sont jetés en pleine rue, sans sépulture. Un détachement de zouaves, passant par la localité, se met à ensevelir les cadavres et à porter secours aux malades. Animée du plus bel esprit de charité chrétienne, la quasi-totalité des zouaves et de leurs officiers va se porter volontaire pour se rendre à Albano et secourir son prochain, suscitant l’admiration de tous.

L’autre grande prouesse des zouaves, durant cette période, est la victoire remportée à Mentana contre les troupes de Garibaldi, le 3 novembre de la même année. Le combat se déroule dans les bois et les vignes pentues, et oppose la jeune armée papale à près de 10 000 garibaldiens, retranchés dans le village et le château, et sur les hauteurs. Les zouaves se lancent à l’assaut et, au terme d’une journée de violents affrontements, forcent les ennemis à la retraite. Garibaldi perd près de 1 000 tués, et 1 500 prisonniers, tandis que les zouaves, qui ont mené le plus gros des combats avec le corps expéditionnaire français3, comptent 28 morts. Cette belle victoire met un coup d’arrêt aux incursions de Garibaldi et de Victor-Emmanuel, mais ne marque malheureusement pas la fin des hostilités.

Fin des zouaves et derniers coups d’éclat

Tout bascule avec l’entrée en guerre de la France contre la Prusse, le 19 juillet 1870. Victor-Emmanuel, en échange de son soutien à Napoléon III, demande le départ du corps expéditionnaire français, envoyé pour protéger le pape d’une nouvelle invasion. Cette demande est d’abord refusée, mais le 5 août le corps est rappelé, sans que l’Italie n’entre en guerre du côté de la France. Victor-Emmanuel a les mains libres pour envahir les Etats pontificaux, et assemble une armée de 70 000 hommes, contre les 9 000 soldats du Pape. Les Italiens attaquent Rome le 20 septembre, défendue avec rage par les zouaves. Le combat est perdu d’avance, et Pie IX ordonne la fin des combats pour épargner le sang. Le Pape est retenu au Vatican, et son armée dissoute, avec le corps des zouaves pontificaux. Les 1 200 volontaires français sont autorisés à rentrer en France, où la guerre tourne au désastre. Le second Empire est tombé après la défaite de Napoléon III à Sedan, le 1er septembre, et le gouvernement de Gambetta se lance dans la guerre à outrance contre les Prussiens. Les zouaves sont regroupés dans la Légion des Volontaires de l’Ouest, et deviennent immédiatement une unité d’élite, du fait de leur expérience et de leur remarquable discipline au combat. Ils forment un corps-franc, dotés d’une plus grande autonomie que les troupes plus régulières, et sont rattachés au XVIIe Corps d’Armée que commande le Général de Sonis. Ils sont très vite engagés au combat et se distinguent à Orléans, mais se couvrent surtout de gloire à la bataille de Loigny, le 2 décembre 1870, où leur charge héroïque sauve l’armée du désastre. Afin d’empêcher une déroute et dans une tentative de repousser les Prussiens, Sonis ordonne la charge qu’il dirige lui-même avec leur chef, Athanase de Charette, alors qu’est déployée la bannière du Sacré-Cœur, avant d’être gravement blessé. L’assaut, mené dans de très mauvaises conditions, permet de faire reculer l’ennemi et donne le temps aux autres unités de se retirer en bon ordre. Ce sacrifice coûte cher aux zouaves, qui perdent 96 morts et 122 blessés sur les 300 hommes engagés, mais évite une défaite totale. Les ossements de ces chrétiens héroïques sont conservés dans la nécropole de l’église de Loigny, renommée Loigny-La-Bataille en l’honneur de ce fait d’armes, et reposent aux côtés des tombeaux des généraux Gaston de Sonis et Athanase de Charette, qui les ont si bellement menés au combat.

Les zouaves eurent à mener d’autres engagements après Loigny, mais aucun d’une telle ampleur. A la fin de la guerre, le gouvernement républicain tenta d’incorporer la Légion des Volontaires de l’Ouest au sein de l’armée, afin de mieux les contrôler. Charette refusa, la raison d’être des zouaves étant de servir l’Eglise, et non la République. La dissolution des Volontaires de l’Ouest est donc annoncée en août 1871, mettant fin à onze ans de bravoure et de sacrifices qui ont donné à l’Eglise un nouveau motif de gloire, et à la France chrétienne une cause de fierté supplémentaire.

RJ

 

Pour en apprendre plus sur les zouaves pontificaux :

Les Zouaves Pontificaux, de G. CERBELAUD-SALAGNAC

Article « L’épopée des zouaves pontificaux », de X. BARTHET, Le Sel de la Terre, n°81

Les Zouaves Pontificaux, de M. de CHARETTE

 

1 Les Guides du comte de Bourbon-Chalus

2 Certains font figures de saints, tel Joseph-Louis Guérin, séminariste nantais mort après deux mois de souffrances causées par ses blessures. Une quarantaine de guérison miraculeuses lui sont attribuées dont la guérison d’une aveugle.

3 L’attitude de Napoléon III dans les guerres d’unification de l’Italie est assez étonnante, virevoltant entre soutien aux révolutionnaires et aide militaire au pape.