La quatrième tentative sera-t-elle la bonne ? Après un premier débat engagé à l’Assemblée nationale sur une proposition de loi déposée en 2020 par Olivier Falorni, député de la Charente-Maritime, dont seul a été adopté en avril 2021 l’article premier qui définissait les conditions d’accès à une « assistance médicalisée active à mourir » avant que la discussion ne s’interrompe en raison de l’opposition, purement opportuniste, du gouvernement, puis une proposition de loi sénatoriale émanant du groupe socialiste « visant à établir le droit à mourir dans la dignité », rejetée à une courte majorité par le Sénat en mars 2021, vint le « projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » déposé par le gouvernement, après la mobilisation d’une convention citoyenne, dont la discussion et le vote en mai et juin 2024 étaient presque achevés avant que la dissolution de l’Assemblée nationale ne le rende caduc.
L’idée de légiférer sur la « fin de vie » ne fut pas abandonnée, loin de là, et en 2025, le projet de loi de 2024 a été scindé en deux textes distincts correspondant chacun à une proposition de loi, l’une relative aux soins palliatifs qui a été votée à l’unanimité, l’autre relative à la fin de vie. Ce dernier texte a d’ailleurs vu son titre modifié au cours des débats en proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir ». Au-delà des variations sémantiques qui traduisent sans doute un certain embarras du législateur pour appréhender le sujet, c’est bien à chaque fois de l’euthanasie qu’il s’agit. Le fait que le texte fasse l’objet de deux propositions de loi (d’origine parlementaire) distinctes et pas d’un projet de loi (d’origine gouvernementale) résulte de la distance personnelle qu’a voulu prendre le Premier ministre par rapport au second texte. Cela dit, Mme Catherine Vautrin, ministre des affaires sociales, qui représentait par ailleurs la France à la messe d’intronisation du pape Léon XIV, a joué, au nom du gouvernement, un rôle très actif dans la discussion et la promotion de la proposition de loi à l’Assemblée nationale.
Le soutien le plus emblématique à cette proposition de loi est venu du chef de l’Etat dans un discours prononcé à la Grande Loge de France le 5 mai 2025 à l’occasion du 120ème anniversaire de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Après avoir rappelé que « le dialogue entre la République et la franc-maçonnerie est une conversation, si je puis dire, polie par des siècles de combats, par la communion de pensée et par une connivence qui n’a rien d’un complot » et que « la franc-maçonnerie est aux avant-postes de la bataille qui importe si nous voulons façonner le siècle pour le bien de l’humanité », le président a souligné les enjeux de la proposition de loi : « Que les francs-maçons portent cette ambition de faire de l’homme la mesure du monde, le libre acteur de sa vie, de la naissance à la mort, qui peut s’en étonner ? »
La proposition de loi sur le droit à l’aide à mourir a été adoptée le 27 mai 2025 par l’Assemblée nationale en première lecture par 305 voix contre 199 et 57 abstentions. Elle a été transmise au Sénat qui l’examinera en séance publique à partir du 7 octobre 2025. Une seconde lecture dans chaque assemblée précèdera un examen de la proposition par la commission mixte paritaire et le texte devrait, sauf accident de parcours, être définitivement adopté avant la fin de l’année 2026.
Les débats à l’Assemblée nationale ont peu porté sur les principes (« Tu ne tueras pas », « l’indisponibilité de la vie humaine ») rappelés par Pie XII en 1957 : « Dieu seul est maître de la vie et de l’existence. L’homme n’est donc pas maître ni possesseur mais seulement usufruitier de son corps et de son existence. » Ils ont porté sur les « garde-fous » mis en place par les auteurs du texte pour tenter d’en limiter les abus et rendre celui-ci acceptable pour la majorité des députés.
Une première série de garde-fous a consisté à fixer des critères d’éligibilité : la personne concernée, curieusement désignée « patient », doit être majeure et de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France. Elle doit être atteinte d’une « affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale ». Cela signifie qu’elle est entrée « dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de son état de santé qui affecte sa qualité de vie ». Le malade doit également présenter une « souffrance physique et psychologique constante » qui est « soit réfractaire au traitement, soit insupportable selon la personne » lorsqu’elle a « choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter » un traitement. Une souffrance psychologique n’est pas suffisante pour « bénéficier » de « l’aide à mourir ». Enfin, la personne concernée doit « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ».
Une certaine confusion est entretenue entre l’arrêt des traitements pénibles lorsqu’il n’y a pas d’espoir de guérison, ce qui est moralement licite, et le prétendu droit à mourir. Les auteurs de la proposition de loi veulent se placer dans le sillage de la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui autorise dans certains cas la sédation profonde jusqu’au décès, ce qui peut constituer une forme d’euthanasie car elle associe un arrêt des soins de base que sont l’hydratation et l’alimentation à une sédation profonde qui n’est pas toujours indispensable. La Conférence des évêques de France, tout en « s’inquiétant profondément » du vote de la nouvelle loi, s’est arc-boutée sur la loi Claeys-Leonetti qui ouvrait pourtant la voie à la réforme en cours. Quant aux souffrances physiques ou psychologiques réfractaires au traitement, la quasi totalité des demandes d’euthanasie disparaît lorsque la prise en charge d’un patient présentant des grandes souffrances morales et psychologiques est faite correctement grâce aux soins palliatifs.
Quoi qu’il en soit, ces critères d’éligibilité sont pour le moins flous et peuvent donner lieu à interprétation. En tout état de cause, comme ce fut le cas pour le droit à l’avortement, ce texte est une première étape qui ne demandera qu’à être dépassée le moment venu. L’essentiel est d’opérer la bascule anthropologique que constitue la reconnaissance du « droit à mourir ».
Les garanties procédurales constituent la seconde catégorie des garde-fous mis en place par la proposition de loi. La demande d’aide à mourir doit être expresse et adressée à un médecin qui a quinze jours pour se prononcer et notifier sa décision. Celui-ci peut en référer à un spécialiste ayant accès au dossier médical du patient et à un professionnel de santé impliqué dans le traitement en cours mais la décision finale, qui devra être rédigée et motivée, lui appartient. Le texte prévoit que l’auto-administration de la substance létale est la règle, ce qui correspond au suicide assisté, mais, si le « patient » n’est pas en mesure d’y procéder, l’administration pourra être effectuée par un médecin ou un infirmier. Une clause de conscience spécifique aux professionnels de santé leur permettra de refuser de réaliser ce geste. Cette clause ne s’appliquera pas aux pharmaciens, comme c’est déjà le cas pour les produits abortifs, car ils ne sont pas considérés comme des « auxiliaires médicaux ».
Un amendement à la proposition de loi instaure un « délit d’entrave à l’aide à mourir » visant à sanctionner le fait d’empêcher une personne de s’informer sur cette loi ou d’en « bénéficier ». Un tel délit pourra conduire à sanctionner ceux qui proposent des soins palliatifs aux candidats au « suicide médicalisé ». Un amendement proposant la création d’un délit d’incitation à l’euthanasie a été repoussé. Pour les députés, il est plus grave d’empêcher de tuer que d’y inciter. D’ailleurs, l’aide à mourir sera prise en charge par la sécurité sociale.
Il est difficile de conclure sans faire le parallèle, à cinquante ans de distance, entre la proposition de loi sur le droit à l’aide à mourir et le projet de loi libéralisant l’avortement. L’opposition à la réforme de 2025 semble peut-être un peu plus forte que celle de 1975 mais elle ne porte pas vraiment sur les principes des promoteurs du texte et qui sont peu ou prou considérés comme acquis. Or, c’est en défendant les nôtres que nous ferons un jour tomber les leurs.
Thierry de la Rollandière