La chevalerie

 

Les leçons imprégnées de républicanisme que nous avons reçues en Histoire nous ont appris à désigner l’âge d’or du Christianisme par le nom de « Moyen Age ». En d’autres temps, d’avant 1789, on parlait de la « Haute époque » et cette appellation manifestait l’estime que l’on vouait à ces siècles de chrétienté. Aujourd’hui encore, il suffit d’une once de sincérité pour être capable de s’exclamer en montrant du doigt les cathédrales : « Ils ne devaient pas être si moyens ces hommes qui nous ont légué par dizaines ces monuments qui constituent les plus beaux joyaux de notre patrimoine ! » Vive le bon sens ! Non, ils n’étaient pas « moyens ». Ils étaient tout simplement à la hauteur des œuvres qu’ils nous ont laissées, de même que nous-mêmes, nous serons jugés par nos descendants à l’aune de nos réalisations. Et l’on doit dire qu’un type humain de la plus belle espèce se laisse deviner à travers les chefs d’œuvre qu’une époque a produits. Honneur à cette société dont la munificence sut dresser ces vaisseaux de pierre à l’ombre desquels nous vivons encore.

Chaque période historique se retrouve dans un modèle humain qui le représente et dont elle est fière. Celui de la « haute époque » a façonné lentement « le chevalier » qui est aussi – sans étonnement – le plus chrétien, le plus parfait de tous ceux qui se sont succédé. Bien que les racines de la chevalerie précèdent l’ère chrétienne et qu’on doit les rechercher sur l’autre rive du Rhin, l’essor et l’apothéose du mouvement chevaleresque se fera pendant les siècles chrétiens et principalement en France. Ne posons surtout pas la question de savoir quand fut instituée la chevalerie. Si elle a germé en Germanie, nul ne l’a jamais décrétée. Elle est à la fois une sève et le fruit de cette sève, sève des sentiments les plus élevés qui existent dans le cœur humain, d’abord dans le paganisme lui-même, puis incomparablement purifiés et perfectionnés par le Christianisme. Cette lente montée vers un idéal humain finit par se traduire par certains gestes extérieurs comme la colée1, tant l’âme ressent le besoin d’exprimer corporellement ce qu’elle perçoit.

Insensiblement, génération après génération, et cette fois-ci dans un monde christianisé, cette quête se poursuit, quête de l’idéal humain. Ne pourrait-on objecter : mais depuis que Dieu s’est fait chair, on le connaît, cet idéal, c’est le Christ ! Et l’objection est sérieuse. On dira alors que le Verbe Incarné qui descend sur la terre pour vaincre le démon et sauver les âmes est vraiment le divin chevalier, le chevalier par excellence. Mais si la sainteté est devenue à jamais l’idéal vers lequel les hommes doivent tendre de toutes leurs forces, la chevalerie, l’esprit chevaleresque exprimera, à une époque donnée, dans des circonstances bien caractéristiques, comment s’incarnera la perfection chrétienne que l’on honore et que l’on recherche, l’éducation des enfants s’orientera naturellement dans ce sens. La complexité grandissante – et jusqu’à l’excès – des rites de l’adoubement s’explique par l’enthousiasme de manifester toute la portée, toute la beauté des vertus du chevalier.

Affaire seulement d’hommes et de nobles, dira-t-on peut-être ? Répondons à cela que l’entrée en chevalerie n’était pas seulement réservée aux nobles. Tous les nobles d’abord n’étaient pas chevaliers et tous les chevaliers n’étaient pas nobles. Répondons ensuite à l’exclusion des dames de la chevalerie en cherchant d’abord à nous défaire des ridicules canons de la compétition des sexes promus par la modernité. Si le Christ est le divin chevalier, la très Sainte Vierge Marie est sa Dame et la Dame de tous les chevaliers. Tant que l’amour courtois ne sera pas venu en galvauder le sens, les preux combattront pour l’amour de leur Dame, « Notre-Dame ». Et ils verront dans leurs dames, leurs mères, leurs épouses, leurs filles, celles en qui doivent spécialement s’incarner les vertus de Marie. Voilà comment les femmes participent grandement de l’esprit chevaleresque, en sont les inspiratrices et dans quel esprit elles éduquent leurs enfants. Et voilà encore comment tout un peuple se trouve merveilleusement ennobli par cet idéal humain, chrétien qui porte toute une société.

Mais ne faut-il pas, en soupirant, se résigner et tourner la page car les temps de la chevalerie sont derrière nous ? Répondons encore en disant que si la nature humaine et si le Christianisme ne changent pas, alors l’idéal humain et chrétien ne doit pas non plus être modifié. Le chevalier est de tous les temps, l’esprit chevaleresque demeure le plus bel esprit qu’on puisse désirer. Laissons de côté ce qui n’est pas de l’essence de la chevalerie et qui peut disparaître, attachons-nous à ce qui est intemporel et qui doit être encore et toujours cultivé : virilité, pureté, générosité, franchise, protection des plus faibles, défense de l’Église, amour de la très Sainte Vierge Marie.

Cette race de chevaliers ne sortira pas des canapés, des téléphones portables et de la vie facile. Si elle surgit, par la grâce de Dieu, elle nous reviendra de la terre et de l’effort, de l’exemple et du travail d’un Christianisme fervent et sans compromissions. On peut être chevalier au temps de la modernité mais on ne peut être un chevalier moderne.

 

Dans le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie

 

R.P. Joseph