Saint Vincent de Paul

C’est une longue vie, surtout pour l’époque, que celle de saint Vincent de Paul, extrêmement riche d’événements de toutes sortes, qui embrasse plusieurs continents et qui permet d’appréhender en même temps la monarchie et la cour sous Henri IV, Louis XIII et au début du règne de Louis XIV, l’Eglise bien sûr et le renouveau ecclésiastique qui suit le concile de Trente, la guerre extérieure et civile, et surtout la grande pauvreté qui donnera à notre héros sa célébrité. 

Né à Pouy, dans l’actuel département des Landes, près de Dax, un mardi d’avril 1581, d’un père, petit exploitant agricole, et d’une mère issue d’une famille d’avocats, Vincent grandit dans une région particulièrement marquée par les guerres de religion et l’hérésie protestante. Il aide ses parents en conduisant des troupeaux de brebis. Les rares témoignages recueillis sur son enfance mentionnent sa vivacité d’esprit, ainsi que son attention et sa générosité envers les pauvres. Son père se sacrifie en le mettant pensionnaire chez les Cordeliers à Dax, ce qui lui permet d’aller ensuite étudier la théologie à Saragosse (Espagne). Il est ordonné prêtre le 23 septembre 1600 par Mgr de Bourdeille, évêque de Périgueux, avant d’avoir atteint l’âge de vingt ans requis par le concile de Trente dont les décrets ne s’appliqueront en France qu’à partir de 1615. Il poursuit d’ailleurs sa théologie à Toulouse après avoir reçu la prêtrise, et finance ses études en étant professeur. 

En 1605, courant après un héritage à Marseille, il veut gagner du temps pour rentrer à Toulouse, prend un bateau pour Narbonne et est fait captif par les barbaresques qui sillonnent la mer Méditerranée. Il arrive à Tunis où il est vendu comme esclave avant de changer quatre fois de maître. Le dernier était un renégat à la femme duquel il expose les bienfaits du catholicisme, laquelle convainc son mari de reprendre son ancienne religion. Ils quittent la terre infidèle et abordent à Aigues-Mortes en 1607. Le renégat abjure entre les mains du vice-légat du pape à Avignon.

Libre, Vincent se rend à Rome en 1608 où Paul V (Borghèse) occupe le trône pontifical. Il découvre l’exercice de la charité envers les malades par les frères de Saint-Jean-de-Dieu qui tiennent un hôpital sur l’île Tibérine. De retour à Paris à la fin de l’année 1608, il est nommé aumônier de la reine Margot, autrement dit Marguerite de Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis et première épouse de Henri IV dont le mariage a été annulé. Le terme d’aumônier doit être entendu dans son sens étymologique de distributeur des aumônes. Il rencontre en 1609 Pierre de Bérulle, fondateur de l’Oratoire et futur cardinal, et Adrien Bourdoise, fondateur d’une communauté de prêtres rattachée à la paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet.

Le 2 mai 1612, il est nommé curé de Clichy. Pour la première fois, il a charge d’âmes. Il restera curé en titre jusqu‘en 1626 mais dès septembre 1613, il confie les rênes de la paroisse à un confrère car Bérulle lui demande d’être précepteur des enfants de la famille de Gondi. Les Gondi appartiennent à une famille florentine arrivée en France sous François Ier, qui comptera parmi ses membres un maréchal de France, un cardinal et deux archevêques de Paris. Le père des enfants confiés à Vincent, Philippe de Gondi, porte, parmi d’autres titres, celui de baron de Villepreux, village où sa famille réside de façon habituelle. Vincent sera aussi le confesseur de la princesse de Gondi mais il se sent, dit-il, « intérieurement poussé par l’Esprit de Dieu d’aller dans une province éloignée s’employer tout entier à l’instruction et au service des pauvres de la campagne ». En 1617, il quitte les Gondi pour Châtillon-les-Dombes près de Lyon. Il n’y reste que cinq mois, rappelé par Bérulle à la demande des Gondi, mais il y crée la première confrérie de la Charité afin d’aider matériellement et spirituellement les malades les plus pauvres. Vincent revient chez les Gondi mais, déchargé de l’éducation des enfants, crée en 1625 la première Mission à Villepreux qui complète son action de charité car il ne veut pas séparer la contemplation de l’action. Il faut, dit-il « joindre l’office de Marthe à celui de Marie pour bien répondre à l’appel de Dieu ».  Ce sera une constante de l’apostolat de Vincent.

En 1619, il rencontre à Paris François de Sales, évêque de Genève. L’affection et l’admiration que Vincent voue à François de Sales ne se démentiront jamais. Ils ne se connaîtront que pendant un an mais Vincent témoignera dans ces termes au procès de béatification de François : « Combien grande doit être la bonté de Dieu (…) puisqu’en Mgr François de Sales, Votre créature, il y a tant de douceur. »

Son apostolat donne une impression de vertige tant il est multiple : M. de Gondi devient général des galères, Vincent en est nommé par le roi aumônier général. A la demande de Mme Goussault, veuve d’un président de la Cour des comptes, il crée la charité de l’Hôtel-Dieu promise à un grand avenir, à laquelle de nombreuses dames de la cour et de la noblesse de robe apportent leur concours, tandis que les Filles de la Charité s’installent dans la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1633 pour s’occuper des malades à l’initiative de Louise de Marillac. Il crée aussi un apostolat spécifique destiné aux enfants trouvés qui, à cette époque, étaient déposés à Notre-Dame de Paris où une femme se tenait en permanence pour les recevoir : les Filles de la Charité se les verront confier jusqu’à ce que, chassées à cause de leur habit la première fois en 1792, la seconde en 1886. Ainsi les bases de l’assistance publique sont posées. En 1633, Vincent s’installe dans la maison Saint-Lazare, située près de l’actuelle gare parisienne éponyme sur le terrain d’un prieuré fondé au XIIe siècle sous le patronage de saint Lazare, patron des lépreux, qui sera le siège de sa Mission, d’où le nom de lazaristes donné à ses membres.  Des évêques veulent améliorer la formation des prêtres, il crée les retraites pour ordinands qui complètent voire remplacent l’enseignement encore balbutiant des séminaires, ainsi que les Conférences des mardis destinées aux prêtres, où l’étude de la doctrine est associée à l’oraison, la lecture spirituelle, la célébration de la messe et l’engagement dans les œuvres de charité, et que Richelieu considérera comme un vivier de candidats à l’épiscopat.

Vincent se rapproche du pouvoir en assistant Louis XIII dans ses derniers moments en 1643, puis en conseillant la reine Anne d’Autriche pour le choix du cardinal Mazarin comme principal ministre, enfin en entrant à la mort du roi au Conseil de conscience où il siègera jusqu’en 1652. Cet organisme, créé par Richelieu à la fin de son ministère, est compétent pour examiner les affaires religieuses dans leur dimension politique et a la main sur la nomination des évêques et des titulaires d’abbayes. Présidé par la régente Anne d’Autriche et animé par le cardinal Mazarin, Vincent y joue un rôle important tant en raison de son rayonnement spirituel que de sa bonne connaissance des personnes susceptibles d’occuper les plus hautes fonctions dans l’Eglise. Il aura l’occasion de s’opposer à Mazarin tenté d’utiliser le pouvoir de nomination que le roi tient du Concordat de 1516 à des fins politiques. Le Conseil de conscience aura à gérer la crise janséniste qui frappe l’Église en France au XVIIe siècle et se prolongera au siècle suivant. Vincent s’opposera aux thèses jansénistes, en particulier à celle selon laquelle Jésus-Christ ne serait pas mort pour tous les hommes, en conseillant d’en appeler à Rome. Le pape Innocent X condamne en 1653 les cinq propositions défendues par les jansénistes.

La guerre de 30 ans (1618-1648) qui se chevauche partiellement avec la guerre contre l’Espagne (1635-1659) est l’occasion pour les prêtres de la Mission d’apporter assistance spirituelle aux troupes engagées dans ces conflits. C’est une première car il n’existe pas jusque-là d’exemple d’aumônerie militaire constituée. A la demande de la reine Anne d’Autriche, les Filles de la Charité entreprennent un travail encore inédit d’infirmières dans les hôpitaux militaires. Tout en voulant mettre ceux qui vont mourir en état de salut et en défendant l’esprit chrétien de la guerre juste, Vincent voit dans le fléau de la guerre un châtiment du péché des hommes.  

La Fronde qui oppose le Parlement de Paris et les grands seigneurs au pouvoir royal est l’occasion pour Vincent d’intervenir en tentant en vain une médiation entre les forces en présence, en conseillant à la régente d’éloigner au moins temporairement Mazarin du royaume et en soutenant contre ce dernier le cardinal de Retz, fils de la famille des Gondi de Villepreux, devenu archevêque de Paris en mars 1654, que Mazarin pousse à la démission un mois plus tard et qui trouve refuge à Rome. Vincent a déjà quitté le Conseil de conscience.

L’Œuvre de la Mission connaît aussi un grand rayonnement à l’étranger avec des succursales en Italie, dans les îles britanniques, en Pologne, à Madagascar et même en Barbarie comme sont dénommés les rivages de la Méditerranée occupés par les Turcs. 

De grandes épreuves physiques précèdent sa mort le 27 septembre 1660 dans un abandon paisible à Dieu. Vincent a été béatifié par Benoît XIII en 1729 et canonisé par Clément XII en 1737. Le Parlement de Paris s’est opposé à l’enregistrement de la bulle de canonisation pour protester contre les positions prises par le saint contre le jansénisme. Léon XIII le proclame en 1885 patron de toutes les institutions catholiques de charité.

A la Révolution, la Mission compte 168 maisons dont 55 séminaires en France, habituellement doublés d’une paroisse ou d’une Mission. Elle rassemble aujourd’hui plus de trois mille membres répartis dans 66 pays sur les cinq continents. La chapelle des Filles de la Charité rue du Bac attire chaque année plusieurs centaines de milliers de pèlerins. L’œuvre de saint Vincent de Paul continue à rayonner.

 

Thierry de la Rollandière

 

Repères bibliographiques :

Marie-Joëlle Guillaume, Un saint au grand siècle, éditions Perrin 2015 

Guillaume Hunermann, Le père des pauvres, Saint Vincent de Paul, Edition Salvator 2018