Avortement, fin de vie, guerre : France, fille aînée de Satan ?

Une décision téméraire

Saint Thomas d’Aquin situe l’origine de la témérité dans « la racine d’orgueil qui refuse de se soumettre à une règle étrangère » (Somme III, 53, 3). Tel est bien le cas de celle du gouvernement français actuel qui, au nom de la laïcité, fait de la loi de Dieu une règle étrangère, et pour tout dire un non-sujet. Le pape Léon XIII le remarquait déjà en son temps : « Rendre l’État complètement étranger à la religion et pouvant administrer les affaires publiques sans davantage tenir compte de Dieu que s’il n’existait pas, voilà une témérité sans exemple, même chez les païens1. »

Saint Thomas explique ailleurs (Somme III, 12, 2) qu’un souverain apostat délivre ses sujets du rapport de suzeraineté et du serment qui les attache à lui. Dans une monarchie catholique, il serait donc légitime pour le peuple de contester une décision du monarque offensant Dieu, puisque ce dernier est une personne identifiable. Qu’en est-il dans une république résolument laïque, comme celle de la France actuelle, qui se réclame non plus d’un roi, mais de la « souveraineté populaire » ?

Car c’est en son nom, sur proposition du gouvernement et du président français et sur la foi de sondages indiquant qu’une majorité de Français le souhaiterait, que le Congrès vient de constitutionnaliser l’avortement, le 4 mars 2024, au nom de la liberté de conscience et du fameux « droit des femmes » en la matière, qui n’est rien d’autre qu’une variante du « respect humain » jadis condamné par les papes.

Un étrange calendrier

Contester la législation sur l’avortement au nom de l’autorité de la vie était jusqu’alors légitime pour tout catholique. D’un droit accordé par la loi, l’IVG est bel et bien devenue un élément de ce qui constitue et définit la France, en lieu et place de ce qui la constituait jadis : sa religion d’état, la morale et la politique qui découlaient naturellement d’elle. Durant la « cérémonie du scellement », quatre jours plus tard, l’actuel président de la République a annoncé son souhait d’inscrire l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, comme si, d’une séquence de communication à une autre, un calendrier préconçu prévoyait que l’exemple hexagonal inspirât d’autres nations, elles aussi jadis catholiques, dans une Europe qui ne le serait plus du tout : La France, désormais fille aînée de Satan ?

Dès le 11 mars, l’inquiétant « maître des horloges » s’est ensuite empressé d’annoncer un projet sur la fin de vie (renommé aide à mourir) ; trois jours plus tard, alors que la campagne pour les élections européennes se lançait à peine, il affirma, impavide, que la France pourrait envoyer « des troupes » sur le front ukrainien. Le lien le plus évident entre l’avortement, l’euthanasie et la guerre, c’est la culture de mort qui parachève tout projet révolutionnaire, entraînant subrepticement la société entière dans un chaos, et déconstruisant la représentation symbolique que chacun doit se faire de la France. Si la France reste la France en puissance, certes, elle ne doit plus, pour ces gens, exister en acte.

C’est pourquoi le combat catholique est en premier lieu un combat de réparation à la fois morale, intellectuelle et spirituelle : pour relever les « défis civilisationnels du monde contemporain », comme ils disent, on ne pourra encore longtemps se contenter des réflexions et des productions de sociologues, économistes, artistes et philosophes de la déconstruction. Tant que le gouvernement de notre pays sera confié à des hommes qui ignorent ou combattent la théologie véritablement catholique, il est clair que la situation ne pourra que se dégrader.

Une victoire acquise ?

Car c’est de Jésus-Christ seul que la France, à travers ses gouvernants actuels, refuse l’enseignement et l’autorité. En Jésus-Christ seul, la naissance est une promesse de baptême, la vie un combat pour le salut des hommes, la mort une rencontre qu’on ne cherche pas à éviter pour se sentir « digne ». Tout cela découle, hélas, d’une implacable logique : dans leur témérité, ils ont perdu la crainte de déplaire à Dieu. Ils ne voient ni ne ressentent plus, en conséquence, la honte de leurs péchés. Ils se sont départis de la confiance en sa Bonté. Ils se trouvent donc incapables de permettre au pays de bénéficier de ses complaisances en proclamant sa rayonnante Majesté, ni de servir son peuple en appliquant ses lois.

Ils ne peuvent dès lors que nous entraîner collectivement dans la dissolution de l’être et la déconstruction accomplie de la cité catholique, ce qui semble en dernière analyse constituer leurs uniques buts. Aussi, face à cette volonté d’ancrer irréfragablement le pays du côté du seul vice, les catholiques, plus que jamais, ont une parole originale à défendre, un rôle vivifiant à jouer, un rang exemplaire à tenir, pour porter et glorifier la Croix du Seigneur et mener jusqu’au terme son digne combat. « Dignare me laudare te Virgo Sacrata, da mihi virtutem contra hostes tuos2 ! »

Le modèle révolutionnaire aura beau dicter les décisions politiques de notre pays, contaminer ses institutions, s’affirmer à travers les modes et les médias jusqu’à considérer sa victoire déjà acquise, comment pourrait-il pénétrer jusqu’au  corps mystique du Christ qui s’établit en chacun de nous par les mérites du sacrifice de l’Agneau, reconduits en chaque messe ? Et puisque l’Enfer ne prévaudra pas sur l’Église de Jésus-Christ, comment pourrait-il indéfiniment prévaloir non plus sur sa Fille aînée, baptisée à Reims un jour de la Nativité, tant qu’un « petit troupeau », même infime, lui demeurera inconditionnellement fidèle ?

G. Guindon

 

1 Encyclique Inscrutabili Dei Consilio, donnée « sur les maux de la société moderne, leurs causes et leurs remèdes », le 21 avril 1878.

2 « Accueillez ma louange, ô Vierge Sainte, et donnez-moi la force de confondre vos ennemis. » (commun des fêtes de la Vierge Marie)