S’il est un personnage dont la présence dans l’art a connu de grandes évolutions, c’est bien saint Joseph ! Nul aujourd’hui n’imagine une Sainte Famille sans Joseph et nulle famille ne prive son foyer d’une Sainte Famille. Pourtant, le père nourricier du Christ fut pendant longtemps presqu’invisible aux yeux des hommes et, pendant toute la période médiévale, il ne bénéficia pas spécialement d’un culte propre. Il faut attendre le XIVe siècle pour que place lui soit faite dans l’art religieux.
A l’ombre de la Vierge et du Christ : une absence remarquable
L’absence primitive de Joseph dans l’art paléochrétien puis médiéval tient de sa non implication dans la conception du Christ. Pour des besoins dogmatiques, dans un contexte où les hérésies étaient nombreuses, sa place devait demeurer en retrait. C’est ainsi que sur les Nativités, comme à Palerme, en Sicile au XIIe siècle, il est à l’écart de la Vierge et du Christ. Il tient sa tête, adoptant l’attitude du penseur, et tourne le dos à la Vierge pendant que deux sages-femmes nettoient l’Enfant-Jésus nouveau-né, suivant les traditions apocryphes. Ce dos tourné est une manière de signifier visuellement, non pas qu’il ne reconnaît pas le Christ comme Dieu, mais qu’il ne participe nullement à sa conception. Il n’a rien à voir dans sa naissance.
En dépit de cette mise à l’écart, il n’est pour autant pas exclu de la sainte Famille dont il est le gardien et le chef : il conduit la Vierge et l’Enfant en Egypte pour les mettre à l’abri du danger, il présente l’Enfant-Jésus au temple, conformément à la loi juive. Seul pécheur de la Sainte Famille, il est pourtant investi d’une mission, chargé d’accomplir les devoirs qui incombent au chef de famille.
Une timide apparition
L’essor du culte de saint Joseph n’arrive que tardivement. Il débute au XIIIe siècle, notamment sous l’impulsion des Franciscains. Beaucoup débattent pour déterminer s’il est le dernier des patriarches ou le premier des saints. La plupart des auteurs se contentent toutefois de le citer pour louer la Vierge. La chasteté de Joseph appuie et valorise la virginité mariale. C’est donc uniquement en tant qu’époux de la Vierge qu’il est vénéré. Il ne fait pas l’objet d’une dévotion propre, même s’il est déjà fêté à la date du 19 mars. L’expression « père putatif » du Christ, parfois utilisée comme une moquerie à son égard, est alors forgée. Bien que prêtant à rire, elle a le mérite de rappeler qu’il n’est pour rien dans la naissance du Christ.
Les différents artistes ont alors coutume d’insister sur ses préoccupations matérielles, à l’inverse de la Vierge, perpétuellement en prière. C’est en tant que tel, parfois sous les traits d’un vieillard lourdaud, qu’il apparaît entre les XIVe et XVIe siècles, notamment sur le retable de Mérode où l’Annonciation centrale est encadrée à gauche par deux donateurs priants et à droite par saint Joseph très affairé à confectionner… un piège à souris. Le contraste est presque comique entre le Fiat de la Vierge et l’activité triviale de Joseph. Mais que l’on ne s’y méprenne pas, saint Joseph n’est pas le rustre que l’on pense et son activité n’est pas dénuée de sens, elle est un clin d’œil à saint Augustin qui à plusieurs reprises utilise la comparaison de la ratière pour signifier que le Christ sur la Croix a vaincu le Diable, il l’a pris au piège de la Croix. Sous ses airs de vieillard bien occupé à ses diverses tâches matérielles, Joseph tient le rôle qui est le sien dans le mystère de la Rédemption.
Saint Joseph, patron des artisans et de la bonne mort
Les travaux manuels étant sa spécialité, c’est assez naturellement que saint Joseph est par la suite représenté au travail, enseignant son métier de charpentier au Christ. Celui qui a eu le meilleur élève de tous devient également le patron des éducateurs. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui c’est lui qui comptabilise le plus grand nombre d’écoles à son nom en France, devançant largement le républicain Jules Ferry.
Les développements de son culte, notamment suite aux apparitions de Cotignac (XVIIe siècle), engendrent enfin des représentations d’un autre épisode de sa vie, celui de sa mort. Joseph devient de ce fait le patron à la fois des agonisants et de la bonne mort car il est vrai qu’on peut difficilement mourir mieux entouré qu’il ne le fut. La gloire éternelle de saint Joseph est ainsi proclamée, même si, comme les justes de l’Ancien Testament, il eut certainement à patienter aux Limbes avant que le Christ ne vînt l’en délivrer.
Conclusion
La ferveur actuelle que beaucoup portent à saint Joseph tranche avec la discrétion initiale de son culte. En retrait, il s’est fait discret pendant des siècles pour ne pas induire en erreur sur la virginité mariale et la divinité de son Fils. Il est resté dans l’ombre, à l’image de ce que fut son existence avant que sa valeur ne soit reconnue et sa chasteté exaltée pour mieux glorifier la Vierge. Il était là, presqu’invisible mais tenant sa place de père nourricier du Christ et de gardien de la Vierge. Il est ce grand timide de l’histoire de l’art qui n’apparaît qu’après une très longue attente.
Une médiéviste