Dernièrement, Jean, mon ami, me confiait avec un air dépité : « Ah ! Si tu savais, mes parents sont totalement à la masse. Ils n’ont toujours pas compris comment fonctionne WhatsApp ! Et quand je leur parle d’Intelligence Artificielle, ils restent arc-boutés sur leurs positions. J’ai l’impression que je ne les changerai jamais. »
Mais, au fond, pourquoi vouloir les changer ? Pourquoi donc exiger d’eux qu’ils se conforment à ces nouveautés technologiques ? Certes, elles présentent des intérêts pratiques qui facilitent un certain nombre de choses dans la manière de communiquer, mais elles ne présentent pas non plus que des avantages, loin de là !
Pourquoi donc éprouver cet esprit de condescendance envers les générations qui nous précédent ? Parce que le monde le décrète ainsi. Le progrès se définit aujourd’hui uniquement dans sa composante matérielle. De nos jours, il n’est plus question de progrès dans la vie intellectuelle et encore moins dans l’exercice de la vertu. Le critère de progrès de nos sociétés matérialistes jusqu’à la moelle, ce sont les évolutions technologiques. Si donc vous n’êtes pas à la remorque de ces nouveautés, vous êtes considérés comme des parias.
A titre d’exemple, en dix-huit ans, nous sommes passés de l’IPhone 1 à l’IPhone 17 qui sort en ce moment-même. Les réseaux sociaux n’ont cessé de se développer avec notamment l’apparition de Tik Tok en 2019 qui ne brille pas par ses contenus.
Ce que nos parents nous ont transmis avant tout, c’est la vie mais aussi la vie intellectuelle et l’exercice de la vertu. Tel est le rôle de l’éducation. Dans son opuscule L’esprit familial écrit en 1910, Mgr Delassus s’exprime ainsi sur l’évolution morale des familles : « Peu d’idées fixes et beaucoup d’idées errantes, des sentiments très vifs et point de sentiments constants, l’incrédulité aux devoirs et la confiance aux nouveautés, des idées décidées et des idées flottantes, l’assertion au milieu du doute, la confiance en soi-même et la défiance d’autrui, la science des folles doctrines et l’ignorance des opinions des âges : tels sont les maux du siècle. La coutume étant détruite, chacun se fait des habitudes et des manières selon son naturel. Déplorables époques que celles où chaque homme pèse tout à son propre poids, et marche, comme dit la Bible, à la lumière de sa lampe. »
Mgr Delassus continue en précisant qu’il y avait autrefois dans chaque famille un caractère propre qui la distinguait. Chacune d’entre elles possédait un livre de raison. Ce livre s’appelait ainsi parce que l’on y rendait raison à ses enfants et aux générations à venir de la position de la famille, de ses antécédents, de ses travaux, des idées et des sentiments qui l’avaient guidée dans le chemin de la vie, des coutumes qui assuraient la transmission des mêmes sentiments ainsi que des vertus. Le livre de raison était divisé en trois parties qui répondaient aux phases de l’existence : le passé avec la généalogie qui maintient la mémoire des ancêtres, le présent avec le journal qui recense les évènements du ménage actuel et l’avenir que sont les enseignements laissés par les parents et les ancêtres à leurs enfants et petits-enfants. Ces enseignements étaient des recommandations morales. Voici ce qui constituait l’esprit familial, jadis. Ainsi, par ce livre de raison, les familles cherchaient le perfectionnement dans la vertu des générations futures et ainsi de suite de génération en génération, loin des codes mondains.
La gratitude envers nos parents et nos grands-parents vient de la reconnaissance que nous leur devons pour ce qu’ils nous ont transmis. Loin de nous enfermer sur nous-mêmes ou dans notre auto-suffisance, elle nous place dans un climat de dépendance, d’écoute et de vérité. Elle oriente notre esprit vers le bien qui nous a été fait et qui nous est encore fait. Elle nous remplit de joie pour tout le bien reçu.
La gratitude nous fait donc réaliser que tout le superficiel véhiculé par le monde n’est pas un critère de reconnaissance que nous devons à nos parents. Ainsi, s’ils se désintéressent des modes et du progrès matériel bien plus facilement que nous, c’est-à-dire de tout ce qui fluctue et ne se transmet pas, nous les remercions de s’être concentrés sur l’essentiel qu’ils nous ont transmis et que nous devrons, à notre tour, transmettre aux générations futures.
En définitive, la gratitude impose le respect !
Laurent