« Et à la neuvième heure Jésus cria d’une voix forte «Héloï, Héloï, Lamà sabacthàni », ce qui signifie « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Ces mots de Notre Seigneur au plus fort des souffrances de la Passion mettent en avant l’une des plus graves questions que l’homme se pose : celle de la nature du mal. Qui d’entre nous n’a jamais entendu cette phrase venant d’un ami non croyant : « Si Dieu existe et qu’il est bon, comment peut-il permettre le mal ? », ou cette autre que nous nous disons souvent à nous-même : « Mais qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter cela ? ». La question du mal est centrale pour l’être humain dans sa quête de sens à donner à sa vie, essayons donc d’y apporter une réponse en dégageant une définition du mal, une raison de son existence et surtout un remède.
Qu’est-ce que le mal ?
Avant d’établir une distinction dans le mal, nous pouvons déjà établir qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une absence de bien. Est bien ce qui correspond à sa nature, ce qui atteint son but propre : le corps humain est « bon » quand il est en pleine santé, la maison est « bonne » quand elle est stable et assure un confort de vie à ses habitants, une loi est bonne quand elle protège le bien commun. Le mal sera que ce corps soit malade, c’est-à-dire privé de santé, que cette maison soit fissurée, que cette loi nuise au bien commun. Ces choses seront « mauvaises » parce que privées de leur fin, de leur raison d’être, parce qu’elles brisent l’ordre propre à chaque être.
Nous pouvons ensuite distinguer deux sortes de mal : le mal sensible et le mal moral. Le mal sensible est la souffrance que nous vivons lorsque nous nous blessons physiquement ou lorsque nous éprouvons de la tristesse. Cette souffrance est liée à notre nature humaine limitée, imparfaite, soumise à la matière. Elle nous permet d’apprendre ce qui est bien pour nous et ce qui nous nuit, elle nous est une sorte de guide dans notre vie. Nous pouvons le constater avec l’exemple de l’enfant qui doit se brûler à la flamme de la bougie pour comprendre que le feu peut être source de danger, ou encore avec la règle d’or « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse », qui sous-entend une volonté d’éviter de faire du mal à autrui parce que l’on connaît soi-même le prix de la souffrance. Cette sorte de mal revêt un caractère « social », guidant l’homme dans ses rapports aux autres mais aussi dans ses rapports avec lui-même en lui faisant sentir dans son être les conséquences de ses excès (boire jusqu’à l’ivresse, manger jusqu’à la maladie, …).
La seconde sorte de mal, le mal moral, établit une relation directement avec Dieu : il s’agit là du péché. On peut certes souligner que voler, mentir, tuer a des conséquences négatives pour la société, mais ce n’est que secondaire car il est directement une rébellion de l’homme contre Dieu, créateur de toutes choses et législateur suprême. Le péché est un refus de la Loi naturelle disposée par Dieu dans chaque être humain, cette Loi qui instinctivement fait comprendre à chacun la bonté ou la malice d’un acte par des sentiments tels que le plaisir ou le remords.
Que ce soit sous l’une ou l’autre forme, le mal semble s’opposer à la finalité de l’homme : le bonheur. Comment donc Dieu, lui qui est la Bonté infinie, peut-il permettre que nous souffrions et que nous l’offensions ?
Pourquoi le mal ?
Ce « pourquoi » n’est pas une question en l’air car il est le principal obstacle à la venue de la Foi dans beaucoup d’âmes révoltées par cette apparente injustice. En effet, la réponse que nous entendons bien trop souvent est que l’existence du mal est incompatible avec l’existence d’un Dieu bon, ou même d’un Dieu tout court. On se réfugie alors dans le déisme (Dieu nous a créé mais il ne s’occupe pas de nous), dans l’agnosticisme (Dieu existe, mais il ne s’est pas révélé à nous et nous ne pourrons jamais le connaître même imparfaitement), ou encore dans l’athéisme pur. Le mal nous révolte parce que nous ne le comprenons pas, et pourtant il a tout à fait sa place dans l’ordre voulu par Dieu.
En ce qui concerne le mal sensible, nous savons par les Ecritures Saintes qu’il s’agit d’un châtiment voulu par Dieu pour punir Adam et Eve du péché originel. Ceux-ci bénéficiaient de certains dons tels que l’immortalité, l’intégrité (les passions sont soumises à l’intelligence, elle-même soumise à Dieu) et l’impassibilité (Ils ne peuvent pas connaître la souffrance). Ces dons, appelés préternaturels, ont été perdus avec le péché originel et il s’ensuit que tout homme est condamné à connaître la souffrance quotidiennement (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » / « Tu enfanteras dans la douleur »). Le mal donc apparaît comme un désordre mais il permet de replacer l’homme dans un état de dépendance par rapport à Dieu. La souffrance est le prix à payer pour la faute de nos premiers parents, un moyen de remettre de l’ordre dans la Création : la faute appelle une punition qui remet le coupable à sa place de dépendance envers son supérieur et fait justice à ce dernier. Le mal sensible est donc une bonne chose puisqu’il maintient l’homme dans la considération de sa faiblesse et le pousse vers Dieu.
Que la souffrance soit permise par Dieu comme châtiment pour les péchés des hommes, soit. Mais alors, comment Dieu peut-il laisser l’homme l’offenser ? Comment peut-il laisser l’infiniment petit défier l’infiniment grand ? La réponse en un mot : liberté. La liberté est l’une des preuves de l’amour de Dieu pour nous, car elle sous-entend la faculté de connaître et donc d’aimer également, et donc d’être heureux. Or l’amour cherche naturellement à se diffuser, à se transmettre. Les passionnés le savent, eux qui ont une soif intarissable de partager ce qu’ils aiment, de le faire connaître à leurs amis. Mais aimer n’est pas du seul ressort des passions, il faut aussi une adhésion de la volonté, il faut vouloir aimer, il faut pouvoir choisir d’aimer, et c’est bien là qu’est le problème : je peux choisir d’aimer comme je peux le refuser. Refuser d’aimer Dieu, lui préférer des plaisirs passagers et vains tient plus souvent à l’ignorance et à la faiblesse qu’à de la véritable malice de notre part mais le fait est là : nous offensons délibérément un père qui nous a donné absolument tout ce que nous avons et ce père nous aime tellement qu’il se laisse écarter sans rien dire, ou presque. Mais dans ce cas pourquoi ceux qui font le mal sont-ils si prospères, si heureux alors que les justes ne cessent de rencontrer les difficultés et la souffrance ? Si Dieu est un père aimant, ne doit-il pas combler ceux qui l’aiment de biens et priver les autres de tout ce qu’ils ont ? N’y a t’il aucune solution au mal ?
Le remède au mal
Le grand danger qui nous guette lorsque nous nous interrogeons sur la nature du mal est de le regarder sous un point de vue naturel, humain. Rien d’étonnant alors à ce que nous soyons perdus et doutant de la bonté de Dieu. Comprendre le mal, si tant est que l’on puisse réellement le comprendre, nécessite de regarder au-delà du plan terrestre, de se projeter dans l’éternité.
Nous savons par l’intelligence et par la Foi que chacun de nous sera récompensé ou puni de sa vie terrestre en allant au ciel ou en enfer ; par l’intelligence parce que la vie terrestre est absolument inconcevable sans cette éternité, et par la Foi parce que Notre Seigneur lui-même n’a cessé de nous le dire lorsqu’il était avec nous : « Bienheureux les pauvres, car ils auront le royaume de Dieu », « En vérité je vous le dis, vous pleurerez et vous souffrirez, tandis que le monde se réjouira. Mais votre tristesse sera changée en joie ».
Il est nécessaire qu’il y ait de la souffrance sur Terre pour nous rappeler que nous sommes pécheurs et pour nous élever vers Dieu. Il est nécessaire qu’il y ait de l’injustice et que les hommes de mal triomphent sur Terre pour que les justes grandissent en Foi et en Charité : Notre Seigneur lui-même a dit « Il faut qu’il y ait des scandales ». St Paul nous en donne l’explication : « Il faut qu’il y ait des hérésies parmi vous, afin que les frères qui sont d’une vertu éprouvée soient manifestés parmi vous », et St Thomas d’Aquin ajoute : « Les bons sont en effet incités au bien par les mauvais. S’il n’y avait pas eu les hérétiques, la science des saints, comme celle de St Augustin et de tant d’autres, n’aurait pas brillé dans le monde ». Dieu laisse la Terre à ceux qui le rejettent, car son royaume « n’est pas de ce monde ». Ils paieront le prix de leur infidélité dans l’éternité. A ceux qui le suivent il envoie les embûches et les souffrances sur la Terre pour les purifier, comme on purifie le métal en le faisant passer dans le feu. Mais jamais il ne les abandonne et chacun des actes d’amour qu’ils posent augmente leur part du Ciel. Et en cela nous pouvons reconnaître à quel point est grand l’amour de Dieu pour nous : plus nous rencontrons d’épreuves, plus nous avons l’occasion de gagner en « capital céleste » en renouvelant notre soumission à la volonté de Dieu.
« Si tous les maux étaient empêchés par Dieu, il manquerait beaucoup de bien dans l’univers. Le lion ne vivrait pas, s’il ne tuait pas certains animaux ; et il n’y aurait pas la patience des martyrs s’il n’y avait la persécution des tyrans ». C’est ainsi que St Thomas d’Aquin résume la question du mal. Depuis le péché originel le mal fait partie de notre lot. Nul ne peut y échapper et la seule attitude digne d’un chrétien est de le supporter comme Notre-Seigneur a supporté sa Croix et de l’offrir comme participation à son œuvre de Salut des âmes. Ainsi le chrétien achète le Ciel pour lui mais également pour les autres, et cela n’a pas de prix :
« Vivre d’amour, C’est essuyer ta face,
C’est obtenir des pécheurs le pardon.
O Dieu d’amour ! Qu’ils rentrent dans ta grâce
Et qu’à jamais ils bénissent ton Nom. »
(Ste Thérèse de l’Enfant Jésus)
RJ