Ouvrons notre martyrologe, et parcourons -en les fêtes. Le 21 janvier est fêtée sainte Agnès, vierge morte à l’âge de 13 ans ; au 18 mai est fêté saint Venant, au 7 juin sainte Blandine et ses compagnons, au 3 août saint Étienne, au 27 septembre saints Côme et Damien, au 27 novembre saint Jacques, au 13 décembre sainte Lucie. Ce ne sont là qu’une infime partie des saints que l’Eglise honore du titre de martyr, c’est-à-dire de « Témoin ». Ils sont d’âges et de condition sociale divers, jeunes ou vieux, pauvres ou riches, mais tous ont en commun d’avoir été mis à mort en raison de leur amour pour Dieu. Ils sont, pour beaucoup, d’une autre époque, mais n’en restent pas moins extraordinairement actuels. Beaucoup sommes-nous à les admirer comme des personnages d’un autre monde, un peu à la manière des héros des fictions modernes, sans chercher davantage à les imiter ou à apprendre de leur vie. La grandeur de leur amour pour Dieu les éloigne de nous, alors qu’elle devrait nous aspirer vers le Ciel. Attardons-nous donc un instant sur ce personnage du martyr en commençant par le définir, puis en l’opposant à la vision de religions et idéologies non chrétiennes, et enfin en rappelant certains points sur l’acte du martyre.
Qu’est-ce qu’un martyr ?
Le terme tire son étymologie du grec « marturos » : « témoin1 ». On parle jusqu’au XIème siècle de « martre », que l’on retrouve en toponymie dans le mot Montmartre : mont des martyrs. La forme finale de martyr est ensuite préférée pour éviter toute confusion avec l’animal.
Le martyr est l’homme qui, en haine de Dieu et de ses vertus (Vérité, Justice, …), est mis à mort, ou subit des souffrances qui auraient dû le faire mourir : saint Jean est par exemple appelé martyr alors qu’il est mort de vieillesse, mais il a auparavant miraculeusement survécu à un bain d’huile bouillante. Dans l’antiquité de l’Eglise, seuls les martyrs étaient considérés comme saints, ayant prouvé à travers les souffrances inouïes des persécutions leur véritable amour de Dieu. Il existe deux types de martyrs, si l’on peut ainsi dire. Les premiers sont ceux qui, avant d’être mis à mort, supportent les souffrances infligées par leurs bourreaux sans renier leur amour de Dieu. L’Histoire regorge d’exemples extraordinaires et édifiants de ces chrétiens restés fermes dans leur Foi malgré les cruautés extrêmes de leurs persécuteurs. Les seconds sont les chrétiens qui, tués en haine de Dieu, n’ont pas à proprement parler à défendre leur Foi. Leurs bourreaux ne cherchent pas à les faire renier, mais simplement à les éliminer parce que chrétiens. Dans ce cas, le titre de martyr leur est également attribué s’il est attesté qu’ils ont, sans doute possible, accepté de mourir pour Dieu.
Le martyr chez les non-chrétiens
Dans sa Somme théologique2, saint Thomas d’Aquin s’interroge sur l’acte de martyre, et met en lumière le côté à la fois héroïque et surnaturel de cet acte. Tout le monde reconnaît que l’homme prêt à mourir pour une cause est digne de louange et de respect, puisqu’il fait le don de sa vie là où tant d’autres préfèrent abandonner et sauver leur peau. Mais il serait injuste de ne voir dans le martyr qu’un simple héros parmi tant d’autres, mort pour une cause humaine, éphémère et parfois immorale. Le héros humain meurt en effet par amour de la patrie, par amour de l’autre, par amour de l’honneur ou encore par amour du danger, tandis que le martyr meurt par amour pour Dieu et de ce qui s’y rapporte. Les deux buts sont infiniment éloignés, et le moindre martyr dépasse ainsi le plus grand des héros : « Le martyre est par nature le plus parfait des actes humains, comme témoignant de la plus grande charité »3. Le spectacle des légions de chrétiens morts en saints pour l’amour de Dieu n’a pas manqué de frapper les non-croyants, à tel point que le terme même de « martyr » se retrouve couramment pour désigner soit un homme qui donne sa vie pour une cause, soit un homme soumis à de très grandes souffrances. Le dictionnaire universel de Furetière, de 1690, définit ainsi le « martyr » pour les non-chrétiens : « se dit abusivement des hérétiques et des païens qui souffrent pour la défense de leur fausse religion, et qui se sacrifient à leurs idoles ».
Le titre de « martyr » a cela de commode, pour les non-chrétiens, qu’il permet surtout de donner une légitimité à une idéologie. Par exemple, le Parti Communiste français n’a cessé de mettre en avant ses « martyrs » morts pendant la Résistance, soi-disant pour la défense de la France et des français, justifiant ainsi les assassinats faits sur ordre et occultant les sabotages effectués contre l’armée française au début de la guerre, sur ordre de Moscou. Le contraste est encore plus flagrant si l’on se penche sur la notion de martyr telle quelle est utilisée dans une religion comme l’Islam. « Martyr » revêt de multiples sens, le premier désignant l’homme « qui meurt ou se blesse et meurt de sa blessure dans une bataille menée pour la cause d’Allah »4. Les autres s’appliquent à différents types de morts telles que la maladie, l’écrasement sous les décombres, la mort en défendant ses biens, etc… On pourrait presque résumer en donnant le titre de martyr à tout musulman qui décède.
Il ne faut en définitive pas confondre la vertu de Force, qui nous est une grâce de Dieu, avec la force humaine, fruit du caractère de chacun et d’efforts purement humains. Le seul vrai martyr est chrétien, les autres ne le sont que par abus de langage ou détournement de sens.
Devenir martyr
Selon une étude publiée en janvier 2022 par l’ONG Portes Ouvertes, plus de 360 millions de chrétiens sont persécutés à travers le monde, soumis à des atteintes allant de « l’oppression quotidienne discrète » (vexations, interdits divers5) aux « violences les plus extrêmes » (mort6). Les chiffres officiels de 2021, ne comptant que les cas documentés, recensent pour cette année 5.898 meurtres de chrétiens, tués en raison de leur religion. La probabilité d’être mis à mort pour sa Foi reste faible, en fonction du pays où l’on se trouve, mais existe bien. L’assassinat du Père Hamel en 2016, en Seine-Maritime, est frappant justement parce qu’il est comme une exception chez nous. Cependant, malgré sa relative rareté, le martyre doit rester comme une balise pour le chrétien. Il est, en effet, nous l’avons déjà dit, l’expression la plus parfaite de l’amour de l’homme pour son Créateur : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »7.
Il en résulte que le chrétien doit être prêt, à tout instant, à donner sa vie par amour de Dieu ; autrement, sa Charité serait-elle sincère ? « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera »8, nous rappelle Notre Seigneur. La réaction naturelle du chrétien peut alors être l’appréhension, la crainte de ne pas aimer assez Dieu, la peur de reculer par amour de la vie. C’est oublier que le martyre est une grâce donnée par Dieu, qui ne donne jamais d’épreuve au-dessus de nos forces, sans nous procurer son soutien : « Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces »9. Le martyre ne dépend donc pas d’une quelconque force humaine. Il suffit de lire quelques pages du martyrologe pour trouver des exemples d’enfants, de jeunes gens et jeunes filles qui, timides et faibles d’apparence, ont subi des souffrances indescriptibles sans renier Dieu. Le plus dur, pour la nature humaine blessée, est de saisir cette grâce divine et de la laisser agir en nous.
Cela signifie-t-il qu’il suffit d’attendre la grâce de Dieu, et de laisser faire ? Ce n’est bien évidemment pas le cas, car la grâce ne peut agir si elle ne trouve un terreau favorable dans l’âme choisie. Il est difficile, même si rien n’est impossible à la grâce, de rester ferme devant les bourreaux si l’on ne s’est jamais rien refusé, si l’on n’a développé un certain amour de Dieu et une certaine endurance à la pénitence et à la souffrance, un certain amour de la Vérité et des choses du Ciel. Nous ne sommes pas tous appelés à témoigner, au prix de notre vie, de notre Foi devant les ennemis de Dieu, mais nous ferions de bien piètres chrétiens si nous ne nous y préparons un tant soit peu, chacun selon nos capacités. La grâce de Dieu pourvoira au reste, pourvu que nous n’y mettions pas d’obstacles.
Les siècles ont passé depuis le temps des catacombes et des chrétiens jetés en pâture aux bêtes du cirque, mais chaque époque compte son lot de martyrs et de témoins du Christ. C’est aujourd’hui au Moyen-Orient et en Asie que l’Eglise souffre le plus : pouvons-nous affirmer que ce ne sera pas demain au tour des pays d’Europe ? Dieu nous en garde, mais Lui seul décide de nos épreuves. Si le moment vient pour nous de témoigner de notre Foi et de notre amour de Dieu, que ce soit veillant et prêts à recevoir la grâce du Créateur, tels les serviteurs de la parabole que le Maître trouve debout à son retour. Faisons notre part, Il fera la sienne : « les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire ».
Un animateur du MJCF
1 A ne pas confondre avec « Martyre » : le « témoignage »
2 2nda 2ndae, q.124
3 2nda, 2ndae, q.124 art.3
4 http://www.3ilmchar3i.net/article-la-signification-du-martyr-chahid-89224564.html
5 NDR
6 NDR
7 Jean, XV, 13
8 Marc, VIII, 35
9 1 Cor. X, 13