Nous sommes faits pour la béatitude du Ciel où nous vivrons dans une joie parfaite que nul ne pourra nous dérober. Sur cette terre, l’homme est en quête de ce bonheur. Malheureusement, que d’erreurs et d’égarements dans cette recherche. Cherchons à exprimer un itinéraire de la joie, en commençant par les plus petites d’entre elles que Notre-Seigneur n’a pas dédaignées (I) pour grimper peu à peu vers les plus élevées qui nous mettent en relation avec ce qui est beau (II). Que cette progression nous aide à rendre grâce (III).
I- Les signes corporels des états spirituels
Notre divin Sauveur, dans son infinie bénignité, nous a montré qu’Il ne méprisait pas les réjouissances sensibles auxquelles se livrent naturellement les hommes. Non seulement Il a voulu se rendre aux noces de Cana mais c’est là qu’Il a accompli son premier miracle. Et ce miracle fut de changer l’eau en un vin si excellent qu’il provoque la stupeur du maître du festin et la joie de tous les convives. Était-il manière plus exquise de nous manifester la légitimité de ces joies dont nous entourons nos grands événements ? D’une manière encore plus frappante, loin de repousser Marie-Madeleine qui répand sur lui son flacon de parfum d’un coût exorbitant, Il la défend avec vigueur et reproche à ses apôtres de la contrister : « c’est une bonne action qu’elle a faite à mon égard »1. C’est à son juste prix qu’Il a apprécié la traduction de l’élan d’amour de sa pénitente en l’offrande de ce nard très précieux. Comment s’en offusquerait-Il, Lui, qui en créant les hommes corps et âme, a ainsi voulu qu’ils expriment par des signes corporels les sentiments qu’ils éprouvent ?
Que personne ne recherche en ces comportements de Notre-Seigneur quelque opposition que ce soit avec la sainte quarantaine de son jeûne absolu ou avec sa vie toute pénitente ! Bien au contraire, c’est toujours la même et invariable traduction par le corps d’une orientation de l’âme qui en donne l’explication. C’est en effet parce que le Christ est venu comme l’expiateur universel qu’Il se livre à ces macérations terribles. L’année liturgique répercute ces pratiques diverses de joie ou de pénitence à travers ses fêtes nombreuses ou ses jours et ses temps d’austérité. Les fidèles savent qu’il est aussi recommandable de fêter Noël ou Pâques par l’agrément qu’on donne à ces journées que d’accepter généreusement les humbles renoncements de l’Avent ou du Carême.
Dans tous les cas, il faut avoir l’intelligence de ces gestes et de ces usages qui sont au service des réalités spirituelles élevées qu’ils signifient et les éducateurs doivent avoir le souci de la communiquer aux enfants dont ils ont la charge. Les réjouissances ne doivent, par exemple, pas se transformer en des fêtes gastronomiques où les corps seront repus tandis que les âmes appesanties par la matière seront incapables du moindre élan vers Dieu. Tous doivent finalement apprendre à vivre dans cette harmonie de l’âme et du corps où l’âme inspire au corps les inclinations qui la reflètent et où le corps favorise l’élan de l’âme vers les choses d’en-haut.
II – La découverte de ce qui est beau
Si nous avons cru utile de rappeler comment Notre-Seigneur montra dans son existence sa condescendance envers ces joies que les hommes reçoivent des trois sens inférieurs que sont le toucher, l’odorat et le goût, ne nous étonnons pas qu’il nous convie à des joies qui, étant plus hautes, nous apporteront un bonheur plus grand. Et c’est en effet en vue du bonheur parfait que Dieu nous a créés.
Quelles sont ces joies plus élevées ? Ce sont tout d’abord celles qui nous arrivent de nos deux sens externes supérieurs : l’ouïe et la vue. Comme le remarque saint Thomas, ils se distinguent des trois autres en ce qu’ils entretiennent un rapport avec ce qui est beau. A la suite de nos sensations tactiles, gustatives ou olfactives, nous ne nous écrions jamais qu’elles nous ont mises en contact avec ce qui est beau ou avec ce qui est laid. Mais ces mots nous viennent spontanément à la suite de certaines impressions visuelles ou auditives.
Ce n’est toutefois encore qu’une étape dans la découverte de la beauté. Car le jugement sur la beauté appartient à l’intelligence. Elle seule est apte à connaître au sens plein et véritable de ce terme. Elle seule évaluera si sont bien présentes dans la chose ces trois conditions qui sont nécessaires à sa beauté : son intégrité ou sa perfection, sa proportion ou sa consonnance, son éclat ou sa clarté.
Mesurons le chemin parcouru, depuis les joies légitimes des trois sens inférieurs, en passant par celles des deux sens supérieurs pour maintenant parvenir à ce bonheur d’une intelligence éduquée, capable de savourer la qualité des chefs d’œuvre de la nature et de l’art et d’en distinguer les nuances et les subtilités.
Notre itinéraire est cependant loin d’être achevé. La beauté se comprend aussi selon un sens analogique. Nous admirons la beauté et la noblesse des héros et des saints. Nous apprenons à reconnaître la supériorité surnaturelle des vertus et des comportements chrétiens. Et rien ne nous paraît plus élevé que l’Evangile, la vie et la doctrine de notre doux Sauveur. Comment alors ne pas aspirer à ces splendeurs du Ciel et à ce bonheur parfait où, avec les anges et les saints, nous verrons Dieu face à face ?
Comme les parents et les éducateurs doivent avoir conscience de cette éducation à la beauté qui procurera à leurs enfants ces délectations toujours plus élevées ! Qu’ils gardent à l’esprit cette pensée d’Aristote : « Personne ne peut vivre sans délectation. C’est pourquoi celui qui est privé des délectations spirituelles, passe aux charnelles. »
III – De quelques joies en guise d’illustration
– Heureux les enfants initiés par leur mère à ces petits embellissements de leur maison, de l’oratoire familial ou de la table commune que l’on réussit avec des riens ;
– Heureux sont-ils quand ils entendent la voix maternelle chanter les belles chansons de la religion et des terroirs ;
– Heureux sont-ils si leur père les réveille au cours d’une nuit d’été pour aller voir les étoiles ou surprendre le soleil à son lever ;
– Heureux les parents qui ont vu leurs enfants la bouche bée et les yeux brillants devant l’infinité des flots de la mer ou la clarté du firmament ;
– Heureux les élèves dont les maîtres se battent pour que leur salle de classe, en plus de demeurer propre et bien rangée, soit riante et jolie ;
– Heureux les maîtres qui auront distingué sur le visage de leurs élèves la joie de travailler dans une telle salle ;
– Heureuses les patries charnelles dans lesquelles les maisons de Dieu et celles des hommes se fondent si harmonieusement dans la variété des paysages qu’on peine à distinguer la main de Dieu de celle de l’homme.
– Et heureux les peuples qui habitent dans ces lieux où se conjuguent si bien ces beautés du divin Artisan et de l’humain artisanat ;
– Heureux les prêtres qui donnent de leur temps et de leur dévouement pour la splendeur de leurs autels et de leurs cérémonies et qui font prier leur peuple sur de la beauté ;
– Heureux les enfants tôt formés au grand œuvre de la liturgie, au ballet sacré exécuté en l’honneur de Dieu et de son Christ ;
– Bienheureux surtout les enfants des hommes rachetés par le Sang de Jésus-Christ, appelés à vivre pour toujours à contempler les éternelles beautés du Ciel et de la Sainte Trinité.
Pour toute beauté et pour votre beauté,
nous vous rendons grâce, Seigneur.
R.P. Joseph