Voir le beau  

A la philharmonie de Paris, les dernières notes du Miserere d’Allegri viennent de s’évanouir ! Le public, peu à peu, redescend sur terre après avoir été élevé vers le ciel par la beauté vibrante de cet air aérien magnifié par la pureté d’une voix d’enfant.

Au même moment, le soleil se couche sur le Mont Blanc révélant à l’alpiniste qui bivouaque en montagne les sombres arêtes qui se détachent, flèches bleues acérées sur le fond rougeoyant du ciel embrasé. Instant d’éternité, beauté sublime et passagère que l’homme est incapable de reproduire.

La beauté contient en elle une capacité à toucher, à émouvoir notre sensibilité. Est beau ce qui sonne juste, vrai, immuable, authentique. Le beau, le vrai, le bien sont des transcendantaux qui nous élèvent vers le ciel et qui vont d’ailleurs toujours ensemble. Le beau nous ramène imperceptiblement à notre nature profonde de créature dont l’objet est de louer Dieu notre créateur. Le beau nous parle de Dieu et nous conduit vers Dieu que nous savons être la beauté même.

Chaque beauté que nous pouvons contempler sur terre est un peu comme une étincelle d’un feu d’artifice qui résulterait de la beauté de Dieu.

Toute cette beauté que Dieu a, sans compter, répandue sur toute la terre et qu’il a permis aux hommes de développer est une source inépuisable d’émerveillement et de joie. Cette source ne compense-t-elle pas largement les motifs de crainte et de tristesse qui peuplent cette « Vallée de larmes » ?

Mais pour trouver cette joie, il faut être capable de la recevoir. Ceci requiert au moins deux dispositions d’âme :

La curiosité, d’une part, qui nous fait ouvrir les yeux, observer le monde et la nature qui nous entoure, discerner et repérer les éléments de beauté qui parfois se cachent et ne se laissent pas saisir par le premier venu. Et la capacité d’émerveillement, d’autre part, cette souplesse de l’âme qui se laisse émouvoir. Fraîcheur de l’esprit qui reste ouvert aux découvertes et sait se laisser toucher, surprendre.

Véritables trésors, ces deux dispositions d’âme sont des sources inépuisables de richesse intérieure qui permettent de trouver de la joie partout, quelles que soient les vicissitudes de la vie.

Dilapidez-les bêtement, éparpillez-les au gré de votre vie numérique, laissez-en une parcelle dans chaque vidéo, réseau « social », tweet, Tchat ou Snapchat et bientôt elles auront disparu sans que vous ne vous en soyez même aperçu. Et, petit à petit, sans savoir pourquoi, vous constaterez que la vie devient morne, triste et sans relief. Le soleil brille et se couche partout tous les soirs et pour tout le monde, mais seuls les hommes heureux le regardent et seuls ceux qui sont capables de s’émouvoir à son coucher sont heureux.

Si, ayant gardé cette curiosité, nous sommes les heureux témoins d’un bel instant, notre premier réflexe en tant « qu’Homo Numericus » est de le « capturer » à l’aide de notre smartphone pour être sûr que cet instant de bonheur ne nous échappe pas. Le second réflexe est de le partager avec nos amis pour leur procurer à eux aussi de la joie. Joie qu’ils ont du mal à éprouver en visualisant le paysage que nous leur proposons au travers d’un écran de 10 cm2. Ils nous répondent néanmoins instantanément et notre vie numérique, abandonnée une minute reprend son cours immédiatement, pendant que la lumière change et que >>>   >>> nous passons à côté d’un surcroît de beauté et de bonheur potentiel.

Même si l’intention de partager les bons moments est louable, apprenons à la différer. Cela permet de prendre le temps d’observer plus complètement la beauté, de s’en émerveiller encore plus, de s’en imprégner et surtout de louer le Créateur à son origine. Que de joie et de bonheur éprouverons-nous plus tard à décrire à nos proches, avec nos mots, ce que nous aurons contemplé. Ils seront encore plus heureux de constater notre émerveillement que de recevoir un « screen shot » muet de notre vie, avec pour tout commentaire des « smileys » évocateurs.

La beauté du monde est un réservoir inépuisable de joie et de bonheur déposé par Dieu sur terre et dans nos vies pour nous faire lever le regard vers lui, l’entr’apercevoir et ainsi le désirer. C’est cette même beauté qui d’ailleurs imprègne toute la liturgie.

 

Allons y puiser régulièrement et conservons notre âme d’enfant pour accéder à la contemplation de Dieu au royaume des cieux.

Antoine