Le monde moderne, imbu de naturalisme et de subjectivisme, est plus que jamais déterminé à s’affranchir de la tutelle de Dieu et prétend construire seul sa destinée et son bonheur. Avant même que le temps n’existe, après la création des premiers esprits, alors que Satan et ses sbires cherchaient leur indépendance, saint Michel faisait déjà tonner son « Quis ut Deus ?1 ». Pas plus que Satan, le monde n’est à l’égal de Dieu. Et c’est justement pour le protéger du démon que Dieu envoie sur terre ses anges, en particulier l’archange saint Michel, le chef de l’armée céleste. Ces apparitions sont signes de grandes choses, car comme l’exprimait le pape saint Grégoire le Grand, « Saint Michel est envoyé chaque fois qu’il s’agit d’opérer une œuvre éclatante. » Or nous remarquons que nombreuses sont les manifestations de cet archange sur notre sol français, ce qui semble signifier l’importance que Dieu accorde à notre pays dans son plan divin.
L’archange Saint Michel
Les anges (du grec aggelos, messager) sont les premiers êtres créés. Saint Augustin attribue leur apparition à l’œuvre du premier jour : « Que la lumière soit.» Non pas que les anges soient la lumière, mais plutôt qu’ils participent à la lumière éternelle de Dieu2, et qu’ils soient les témoins de son action créatrice. Ils sont de purs esprits, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas de corps ou de parties physiques. Ils sont ainsi doués de certaines capacités que ne peuvent avoir les êtres matériels, telle que l’incorruptibilité. Tous, comme les hommes, ils ont été créés par Dieu avec des différences, des particularités qui répondent à un rôle qu’Il leur a défini. Cela se traduit par une hiérarchie des esprits célestes en neuf ordres rangés dans trois triades. La première comprend les Séraphins, dont les trois principaux anges Michel, Raphaël et Gabriel, les Dominations et les Trônes. Ce sont les anges les plus proches de Dieu, les premiers serviteurs de Sa volonté. La deuxième triade comprend les Dominations, les Vertus et les Puissances. Enfin, la troisième comprend les Principautés, les Archanges et les Anges. Elle est l’intermédiaire entre le monde surnaturel et le monde naturel, entre Dieu et les hommes, et c’est parmi ses troupes que sont choisis les anges gardiens de chaque homme et de chaque société.
Parmi toute l’armée céleste, saint Michel occupe la première place, au plus proche de Dieu. Son opposition à Satan lui a en effet mérité cette place, alors que sa nature d’archange ne le prédisposait pas à être aussi élevé dans l’ordre céleste3. Saint Clément d’Alexandrie parle de lui en ces termes : « Le chef d’œuvre de la création angélique est l’archange Michel. C’est l’ange par excellence, l’ange du Seigneur, (…) le Grand Prince, le Vice-Roi de l’éternité. » Il est le chef des anges, et le plus ardent adversaire du démon. De ce fait, il est tout naturel qu’il soit le plus zélé défenseur des hommes, dont il assure la protection sous les ordres de la Sainte Vierge, qu’il précède ou accompagne lors de ses visites sur terre. Gardien des hommes, il est aussi gardien du Paradis. Non pas que le Paradis doive être protégé d’une invasion quelconque, mais plutôt qu’il siège avec Dieu au jugement particulier de chaque âme qui se présente devant la majesté divine lorsque son heure est venue. L’iconographie sacrée le présente souvent tenant d’une main la balance où se pèsent le bien et le mal faits durant la vie terrestre, et de l’autre l’épée qui se tient prête à repousser l’âme dans les tréfonds de l’enfer. Les manifestations de saint Michel sur terre revêtent une importance toute particulière, à l’instar de celles de Notre-Dame. Ses apparitions, annonciatrices d’une « œuvre éclatante4 », sont signes du grand combat qui oppose les forces du diable à celles de Dieu pour le sort des hommes. Et il est certainement révélateur que la France ait été témoin de nombreuses révélations de saint Michel, tant visibles qu’invisibles.
Saint Michel en France
C’est à Lyon que l’on retrouve la trace la plus ancienne du culte à saint Michel en France, dans une église érigée en 506 et dédiée au chœur des anges par la reine Carétène5. Disparue depuis, elle a été remplacée dans le culte de l’archange par la basilique de Notre-Dame de Fourvière, où sa statue domine l’abside. On retrouve également saint Michel aux côtés de la Vierge Marie, dans son sanctuaire du Puy-en-Velay où elle apparut en 430. Une fresque peinte de plus de 5 m de haut sur 2 m de large, la plus grande de l’époque romane, le représente, la lance à la main, dans une chapelle du Xe siècle qui lui est dédiée, signe de la grande vénération du peuple franc pour cet ange protecteur. Mais c’est bien sûr au Mont-Saint-Michel que se trouve le plus grand sanctuaire du Prince des milices célestes. Le 16 octobre 708, il apparaît en songe à saint Aubert, évêque d’Avranches, pour lui ordonner de construire une église à son intention, sur le rocher dit du Mont Tombe. Il marque ainsi sa volonté de prendre sous sa protection la terre de France, protection qu’il assurera à plusieurs reprises, à commencer par la victoire de Poitiers sur l’Islam conquérant, vingt-quatre ans seulement après la fondation de son sanctuaire du Mont Tombe, en 732. Il apparaît dans la même période, en 709, sur le mont Châtillon, à une vingtaine de kilomètres de Domrémy où naîtra sainte Jeanne d’Arc, dans la commune qui porte aujourd’hui le nom de Saint-Mihel. Le Mont-Saint-Michel et l’abbaye de Saint Mihel vont voir affluer les pèlerins et se succéder les miracles attestant de la protection de l’archange.
Cette protection de saint Michel sur la France est reconnue et proclamée par divers souverains. Le premier, Charlemagne, décrète le 29 septembre comme fête officielle de saint Michel dans tout l’empire6. Il le nomme « Princeps Imperii Francorum », Prince et Patron de l’Empire des Gaules, et ajoute sur ses étendards l’inscription « Voici Michel, grand prince, il vient à mon aide ». Ses successeurs n’ont également cessé de rendre hommage à l’archange, notamment par de riches dons à son sanctuaire du Mont-Saint-Michel, permettant l’édification au XIIIe siècle de la Merveille, joyau français de l’architecture sacrée. Tous les rois de France, jusqu’à Louis XIV, s’y rendront en pèlerinage, pour placer leur couronne et le Royaume sous la protection de ce si puissant patron.
La plus éclatante preuve de la protection exercée par saint Michel sur le royaume de France est son rôle primordial dans l’épopée de sainte Jeanne d’Arc. En 1424, moins d’un an après une grand-messe célébrée en son honneur par le roi Charles VII7, saint Michel apparaît à Jeanne, afin de la préparer à accomplir la mission que Dieu lui a confiée. Nous connaissons cette histoire : accompagnée de l’archange, de sainte Catherine et de sainte Marguerite, Jeanne va mener la reconquête du royaume et le sauver de l’envahisseur anglais. Contre toute attente, les troupes françaises vont remporter victoire sur victoire, permettant le couronnement du roi à Reims, première étape du redressement de la France.
Pour conclure ce trop bref résumé de la relation entre saint Michel et notre pays, il nous faut ne serait-ce qu’aborder la raison de cette protection particulière. Ce ne peut en effet être un hasard que le chef des anges fasse le choix de protéger cette terre de France. Il a certes honoré plusieurs pays de ses apparitions (l’Italie avec le Mont Gargan, le monastère de Skellig Michael en Irlande), mais de tous, la France se distingue par le nombre et le retentissement de ses visites. Cela s’explique par la place qu’occupe cette nation dans le plan de Dieu : depuis le sacre de Clovis jusqu’à la Révolution, elle a été le glaive et le bouclier de la Sainte Eglise, sa « Fille aînée », et son monarque le « Lieutenant de Dieu sur Terre ». Il fallait bien, pour la protéger des ennemis de l’Eglise et la guider dans le droit chemin, la mettre sous le secours du plus ardent soldat de Dieu, de son champion. Tant qu’elle a été fidèle à sa destinée, saint Michel est venu l’aider et la tirer des plus grands dangers. Même lorsqu’elle a renié sa mission, il était toujours là pour l’empêcher de tomber plus bas, secondant l’action, ô combien salutaire de Marie, Reine des Anges, elle-même patronne principale de notre terre de France. Et il est encore présent à son chevet, la protégeant dans le secret des plans du diable et de ses sbires, restant tout prêt à la relever comme par le passé. Nous ne l’avons que trop oublié, aussi ne tardons pas à nous mettre de nouveau sous sa puissante protection, avec notre pays, afin qu’il nous protège et nous guide jusqu’au Ciel dont il est le gardien.
RJ
1 D’où il tire son nom, Michel, signifiant Qui est comme Dieu.
2 Cf St Augustin, in La Cité de Dieu.
3 La hiérarchie naturelle qui peut exister entre les êtres est remplacée, dans l’ordre surnaturel, par une hiérarchie de sainteté. Il en va ainsi de la Sainte Vierge : inférieure aux anges par sa nature humaine, elle leur est infiniment supérieure par son niveau de sainteté.
4 Saint Grégoire le Grand, ci-dessus.
5 435~506, épouse de Chilpéric.
6 En 813.
7 Le 11 octobre 1423, suite à un accident dont il a miraculeusement été préservé.