La famille et les scandales

Qui ne connaît pas dans son entourage proche d’excellents parents douloureusement atteints par l’éloignement de la foi ou l’inconduite morale d’un ou de plusieurs de leurs enfants ? Le contexte de la crise de l’Église et de l’apostasie de la société civile et la révolte contre toute loi morale constituent des facteurs redoutables de corrosion qui parviennent à faire chanceler de jeunes gens qui avaient pourtant reçu une solide formation religieuse. Les familles touchées par de tels drames se trouvent alors confrontées à des questions bien délicates. Quelle attitude adopter à l’égard de ces fils ou de ces filles à la vie devenue si répréhensible ? Le devoir de protéger le reste de la fratrie du mauvais exemple ne demande-t-il pas de rompre avec eux ? Mais si cette rupture est décidée, comment espérer encore le retour des enfants prodigues ? On comprendra qu’il est absolument impossible de traiter des situations innombrables qui peuvent se présenter. Notre désir est de donner ici un éclairage qui est indispensable pour répondre aux problèmes qui se posent et auxquels les parents se trouvent confrontés. Cet éclairage nous sera donné par l’exposé de certaines notions de théologie morale à la lumière desquelles nous proposerons certaines lignes de conduite. Nous terminerons sur quelques cas concrets.

I- Quelques notions de théologie morale

Le pécheur public

Par « pécheur public », l’Église désigne une personne qui a été baptisée dans la religion catholique mais qui s’est rendue coupable d’un ou de plusieurs délits énumérés dans le Code de Droit Canonique lorsque les fautes qu’elle a commises, ou sont déjà divulguées ou risquent facilement de l’être. Parmi ces délits retenus par le Code, citons la défection de la Foi Catholique par l’apostasie et l’hérésie, l’appartenance à la franc-maçonnerie ou des sectes analogues, l’avortement, la bigamie, l’adultère, le concubinage, etc … Notons qu’une faute isolée ne suffit pas toujours pour qu’une personne puisse être considérée comme pécheur public, même si cette faute a été divulguée. Il faut qu’elle se trouve habituellement dans cette situation de péché. Un homme qui commet une fois le péché d’adultère n’est, par exemple, pas pécheur public pour autant mais il le devient s’il vit avec une autre femme que la sienne et que sa situation est connue ou risque aisément de l’être. Aujourd’hui, le cas de péché public le plus fréquent est celui du concubinage qui est presque devenu la norme. Ajoutons que certains péchés, même s’ils ne sont pas des délits, c’est-à-dire des transgressions de la loi ecclésiastique, peuvent cependant être gravement nuisibles au bien commun.

Le bien commun

Il est à noter que tous les péchés graves ne sont pas pour autant des délits. Le Droit Canon ne reconnaît comme délictueux que ceux d’entre eux qui sont spécialement nuisibles au bien commun de l’Église. Elle se doit de protéger sévèrement ce Bien dont l’affaiblissement provoqué par des lésions graves et répétées entraîne un préjudice pour tous les fidèles.

Afin de défendre ce bien commun et tous les fidèles, l’Église sanctionne ceux qui se rendent coupables de ces infractions d’ordre canonique. Des peines de gravité variable sont définies par le Code et amènent des conséquences graves telles que le refus des sacrements et de la sépulture ecclésiastique tant qu’ils n’ont pas donné des signes clairs de leur repentir et de leur amendement et qu’ils n’ont pas fait une réparation publique.

L’Église explique pourquoi elle agit toujours ainsi et dans quel esprit elle le fait. Elle le fait, non point pour offenser le pécheur dont elle souhaite ardemment la conversion mais afin de combattre pour l’honneur de la religion et de préserver ses enfants du scandale.

Le scandale

Le grand souci de l’Église est d’empêcher que les fidèles ne soient scandalisés par une indignité ou une inconduite qui n’aurait pas été reprise comme il l’aurait fallu. La notion de scandale doit être ici reprécisée car son acception courante (choquer) s’est éloignée de sa véritable signification.

 « Est scandaleux tout fait, omission, parole, action quelconque ayant au moins un aspect moins bon et pouvant produire une faute morale chez autrui[1] ».

Bien qu’il ne soit pas toujours en lui-même un péché, l’acte qui cause le scandale l’est très souvent. Aujourd’hui, la multiplication des péchés publics et leur légalisation provoquent une banalisation universelle ou à peu près des comportements les plus répréhensibles. Même chez ceux qui continuent à distinguer le bien du mal, l’accoutumance à côtoyer la perversion est extrêmement dommageable en elle-même et débouche sur des tentations qui résultent de ce contexte de débauche.

La coopération au mal

Il est aisé de comprendre que l’on ne doit pas coopérer positivement au péché en l’approuvant, en le conseillant, en le louant, en le légalisant, en en prenant la défense. Mais les circonstances peuvent nous demander de faire davantage et de nous y opposer activement en le désapprouvant et en y mettant obstacle. Nous pouvons être coupables et même gravement coupables de ne pas utiliser les moyens qui sont à notre disposition pour empêcher le péché. Enfin, que le péché ait déjà été commis, ou qu’il risque de l’être, nous pouvons être tenus à la correction fraternelle.

La correction fraternelle

Elle consiste soit à reprendre son prochain de ses péchés ou de ses défauts, soit à l’avertir d’un péril de pécher où il se trouve. Ce devoir de charité nous oblige gravement si

« le prochain se trouve dans une grave nécessité spirituelle » ; si l’on peut prévoir que « notre intervention sera très probablement, sinon très certainement efficace » ; « qu’il n’y ait pas d’inconvénient grave constituant une excuse valable[2]».

Il importe de souligner ici que la vraie charité consiste à avoir le courage de reprendre le pécheur tandis que la fausse charité est de ne jamais rien dire et de laisser faire.

Le libéralisme moral et l’inversion du scandale

Dans le domaine moral, le libéralisme consiste à donner les mêmes droits à toutes les personnes, qu’elles soient ferventes catholiques ou pécheurs publics. Il donne les mêmes droits à tous ; il use des mêmes égards envers les uns comme envers les autres sans faire aucune distinction entre le bien et le mal. Qu’il s’agisse d’une attitude que l’on adopte par principe ou par facilité et lâcheté, le libéralisme moral crée une atmosphère détestable qui place le vice et la vertu sur un pied d’égalité et est gravement scandaleux en elle-même.

La conséquence logique du libéralisme moral est de conduire à l’inversion du scandale. Par cette expression, nous voulons désigner l’attitude de ceux qui en viennent à se choquer et à s’indigner contre les personnes courageuses qui refusent l’indulgence coupable à l’égard des pécheurs. C’est là une inversion vraiment diabolique.

La tolérance

Comprenons cette notion dévoyée par la modernité qui, en son nom, ne fait plus de différence entre le vrai et le faux, le bien et le mal, le beau et le laid. Tout se trouve noyé dans le relativisme. Non, la tolérance est toujours la permission d’un mal qu’on préfère laisser subsister de crainte qu’en cherchant à l’éradiquer, on en provoque un plus grand. Il est à souhaiter cependant que la tolérance soit provisoire et que le moment surviendra, la situation s’étant améliorée, où l’on pourra s’attaquer au mal. L’acte de tolérance est toujours un acte de la vertu de prudence, non de celle de justice, et elle relève du chef.

II – Lignes de conduite

1) Le bien commun l’emporte sur le bien particulier. A la lumière de ce principe, les parents d’un enfant qui mène une vie scandaleuse doivent toujours se rappeler que leur amour de cet enfant et le désir de le ramener ne doivent pas passer au-dessus de la préservation de l’ensemble de la famille. S’ils ne doivent pas abandonner leurs efforts pour qu’il se dégage de sa vie de péché, ce ne doit pas être au risque de banaliser ses comportements coupables devant ses frères et sœurs.

2) En tenant compte de l’âge des enfants, de leur connaissance précise ou approximative de  la situation de celui de leurs frères ou sœurs qui vit mal, il importe que la réprobation de son indignité et de son inconduite soit clairement exprimée par les parents. On expliquera que ce blâme nécessaire et les distances qu’il impose n’empêchent ni l’affection qu’on lui porte ni l’espérance qu’on a de le ramener de ses mauvais comportements.

3) Parmi toutes les circonstances qui doivent être considérées, signalons que la sévérité envers le coupable doit être plus stricte dans une famille bien préservée où le scandale d’une inconduite provoquera un mal plus grand. Elle doit être aussi plus grande si l’enfant a reçu toute l’éducation chrétienne qu’il était possible de lui donner.

4) Les prières et les sacrifices pour le coupable sont de tous les jours. Les tentatives et les efforts pour le ramener doivent être tentés avec un grand discernement de toutes les circonstances pour qu’ils soient efficaces pour la brebis perdue sans nuire à la fratrie.

 III – Quelques cas concrets

Nous envisagerons trois cas dont les deux premiers, même en milieu traditionnel, ne sont pas rares. Quant au troisième, il est certes rare mais malheureusement pas inexistant.

  1. a) Cas d’un enfant vivant en concubinage:

La banalisation de cette situation dans la société d’aujourd’hui est extrême. Dès que l’on sort des milieux catholiques traditionnels et conservateurs, la pratique du concubinage avant le mariage est généralisée et elle l’est souvent avec la bénédiction des prêtres. Ce fléau est une menace très sérieuse pour les familles qui restent catholiques tant le mauvais exemple est insidieux.

Cependant ceux qui vivent en concubinage sont des pécheurs publics. Leur indignité et leur inconduite font scandale et les parents d’un enfant qui se trouve dans cette situation ont le devoir de protéger leurs autres enfants contre ce scandale.

Aussi ne doivent-ils en aucun cas accepter de concéder à celui de leurs enfants qui vit en concubinage de venir à la maison familiale avec son concubin comme si de rien n’était. Ce qui implique de ne les recevoir à dormir ni dans la même chambre évidemment ni même dans des chambres différentes. Ce qui implique également de ne pas accepter le concubin du membre de la famille à la table familiale. C’est sa présence même qui doit être bannie de la maison afin de ne pas accoutumer les autres enfants à l’indulgence vis-à-vis du péché.

 Lisons ce que dit Saint Paul : « En vous écrivant dans ma lettre de n’avoir pas de relations avec les impudiques, je n’entendais pas d’une manière absolue les impudiques de ce monde, ou bien les cupides et les rapaces ou les idolâtres ; car il vous faudrait alors sortir de ce monde. Non, je vous ai écrit de n’avoir pas de relations avec celui qui, tout en portant le nom de frère, serait impudique, cupide, idolâtre, insulteur, ivrogne ou rapace, et même avec un tel homme de ne point prendre de repas. (…) Ceux du dehors, c’est Dieu qui les jugera. Extirpez le méchant du milieu de vous[3]». En réalité, la parole de Saint Paul exige de ne pas accepter à un repas le frère lui-même qui est pécheur public. Si l’on peut penser que l’apôtre parle plutôt des repas de la communauté chrétienne, les parents doivent cependant se demander si la présence même de celui de leurs enfants qui vit en concubinage à la table familiale, même sans son concubin, surtout si son attitude est insolente et provocante, ne suffira pas à constituer le scandale.

En revanche, ce qui est possible, surtout si les parents estiment par un entretien avec le concubin de leur enfant, ou le décider au mariage, s’ils estiment souhaitable le mariage ou favoriser la cessation du concubinage, c’est de le recevoir dans la plus grande discrétion, à l’insu de leurs enfants et en dehors du cadre familial.

  1. b) Cas d’un enfant divorcé remarié

Non seulement les divorcés remariés sont des pécheurs publics mais ils sont frappés d’une infamie de droit[4]. Leur situation d’état habituel d’adultère est rendue encore plus odieuse par l’apparence de légalité que donne le mariage civil.

Tout ce que nous avons dit concernant le concubinage vaut a fortiori pour la situation d’un enfant qui vivrait avec un autre conjoint que son conjoint légitime ou qui vivrait avec une personne ayant abandonné son conjoint légitime.

Recevoir cette personne causerait un scandale beaucoup plus grave encore que de recevoir un concubin pour les motifs suivants : ce serait un outrage commis contre le caractère sacré du mariage et l’inviolabilité des engagements qui ont été contractés devant Dieu et ce serait également un outrage envers le conjoint légitime.

Etant donné que la seule issue à cette situation est la séparation de deux adultères, les recevoir ensemble dans le cadre familial ne peut que constituer un grave scandale.

Il reste que les parents pourraient les recevoir en privé pour les conjurer de se séparer.

  1. c) Cas d’un enfant vivant dans une relation contre-nature 

Faut-il rappeler que l’Eglise enseigne que ce péché est puni par la loi divine de la peine de mort et que cette peine fut encore appliquée en France au XVIIIème siècle ? Que le Catéchisme de Saint Pie X enseigne qu’il y a « quatre péchés dont on dit qu’ils crient vengeance devant la face de Dieu dont l’homicide volontaire et  le péché impur contre l’ordre de la nature[5] » ?

Là encore, le scandale a produit ses effets sur toute la société car ce vice se trouve terriblement banalisé.

Tout ce que nous avons dit auparavant vaut en face d’une telle situation. Mais il nous semble, en plus, que l’enfant qui se trouve dans un tel cas doit être rencontré par ses parents uniquement en privé et à l’extérieur du cercle familial pour l’aider à retrouver l’amitié avec Dieu. La seule acceptation de sa présence suffirait dans l’esprit des membres de la famille à relativiser la gravité de son péché qui l’est déjà tellement par tout le contexte extérieur.

L’abaissement vertigineux de toute moralité ne doit pas nous amener à baisser les bras et la barre. Nous devons, avec la grâce de Dieu, courageusement demeurer fidèles aux commandements divins qui sont immuables. Notre intransigeance constitue en réalité l’aide la meilleure que nous pouvons apporter aux pécheurs pour qu’ils prennent conscience de leur péché et qu’ils s’amendent. Mais prions pour tant de familles si douloureusement éprouvées par ces situations dramatiques. Faisons pénitence pour que les coupables viennent à résipiscence.

Père Joseph

NB : nous nous référons uniquement au Code de 1917

 

[1] Vittrant : « Théologie morale » p. 197

[2] idem p. 99

[3] I Cor, 5 ; 9-13

[4] Canon 2356 du Code de 1917

[5] Catéchisme de Saint Pie X – V – Chap. 6