Jour funeste

 

15 avril 2019.


Face au désolant spectacle, l’homme de 2019 braque ses caméras pour capturer une image de l’édifice agonisant. Et il twitte. Il like. Il partage son désarroi. Il envoie ses messages éphémères, une seconde d’émotion face à l’éternité qui meure. D’autres, déjà fils de l’enfer, déversent leur haine ou leur indifférence, se gargarisant du sacré en flamme, ironisant sur le miracle qui n’eut pas lieu :  ce sont les fils des pharisiens qui moquaient le Christ en croix.
Jour funeste. Jour où le temple de la lumière de Dieu s’est évanoui dans l’air, emporté par des fumées atroces, dévoré par un incendie odieux, monstre hideux, aux formes mouvantes, comme  les convulsions de la mort, profané par les flammes qui se bousculent pour arracher à la dame de pierre son toit de bois millénaire, faire tomber ses tours et briser ses voûtes. Ce 15 avril, Lundi Saint, c’est le jour où dans la nuit, la lumière a disparu, noyée dans les acres ténèbres.

Mais qu’ils pleurent, qu’ils soupirent ou qu’ils ricanent, tous, ils contemplent la silhouette de la grande dame de pierre qui se dessine dans le tourment du feu, un peu médusés devant cette dantesque danse aux ombres déformées. Mais l’homme de 2019, sait-il seulement ce qu’il voit ? Voit-il seulement ?

Car ce qu’il regarde sans le voir, c’est la beauté qui se retire de la ville des arts, c’est le crépuscule de la lumière bannie de Paris, c’est Dieu qui s’en va, Dieu qui quitte la France, sa fille ingrate qui l’a renié.

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance (ou la prémonition ?) d’aller visiter la cathédrale. Avec mon épouse, nous sommes restés de longues minutes assis sous la haute voûte, entre les murs qui embrassent la lumière. Puis, au fond, dans la chapelle où l’on cache Dieu, derrière un pilier, nous avons récité notre chapelet, sous le regard des vitraux aux mille visages qui racontent un peuple de bâtisseurs, qui content la chasse de saint Hubert, la moisson ou les martyrs des premiers siècles. Quelle splendeur ! Réalise-t-on ce que la cathédrale enveloppe entre ses murs ?

 

La cathédrale gothique, génie des Français du temps où ils aimaient Dieu, est le temple de la Vérité, de la lumière donnée aux hommes, de la Révélation qui irrigue nos intelligences, de la charité qui transcende notre volonté, de la grâce qui pénètre nos cœurs au plus profond. Le verbe de Dieu s’est fait chair, et la foi s’est faite pierre. La cathédrale, c’est le temple construit par des hommes libres, venus des campagnes et de tout le pays pour monter ses hauts murs, pour ouvrir ses immenses baies sur les parfums colorés du paradis, pour toucher le ciel de ses tours. La cathédrale, c’est le catéchisme de pierre, c’est l’église qui voit et qui enseigne. La cathédrale, c’est le ciel ouvert sur la terre, c’est l’écrin aux mille couleurs, étincelant de tous ses feux, protégeant en son sein le miracle de la religion. Si Dieu est mort sur le bois, il a ressuscité sur la pierre, et cette pierre venue des entrailles de la terre, formée à l’aube des temps, c’est la pierre de l’autel, c’est la pierre éternelle qui porte le Saint Sacrifice. Les Français, lorsqu’ils aimaient Dieu, ont creusé la terre, pour en extraire les pierres venues du fond des âges. Ils les ont taillées, et ils ont monté les piliers, dessiné les arceaux audacieux, inventé les arcs-boutants qui portent le chœur, sculpté les visages, signé les clés de voûte qui joignent la douce nef en un long manteau, comme la main de Dieu protégeant ses enfants, puissante et légère, douce et pleine d’audace. Les piliers des cathédrales portent la terre elle-même, leurs nefs naviguent dans le ciel, leurs vitraux capturent la lumière et la font glisser sur les murs, ils en révèlent son cœur aux mille couleurs, comme la religion et la grâce font couler dans les âmes des baptisés les parfums de Dieu et de ses saints.

La cathédrale ne peut qu’être catholique. Elle est universelle, parce que ce qu’elle raconte, c’est la vérité elle-même, elle porte l’éternité sous sa voûte, elle est la demeure de Dieu.

Mais la voûte s’est effondrée, au niveau du transept, là où les deux bras de la croix se rejoignent, au niveau du cœur du Christ, là ou la lance transperça la divine victime et fit couler sur la terre le sang et l’eau, l’amour et la grâce. La transcendance chrétienne est contenue toute entière dans les lignes de la croix : une ligne verticale, plantée dans la terre et pointant vers le ciel, une ligne horizontale pour embrasser l’humanité aimante. La croix de la cathédrale, c’est cela : de l’orient vers l’occident, du lever du soleil à son coucher, du début jusqu’à la fin des temps, c’est l’éternité dessinée sur la terre. Mais l’éternité s’en est allée. La mort l’a emportée. La nuit s’est abattue sur la ville lumière, et l’homme de 2019 verse sa larme. Il partage son “émotion”, et il se rassure en se disant qu’il n’est pas le seul à pleurer, qu’il communie avec tous les hommes, car la cathédrale est le temple de tous, le temple des arts et de l’histoire. L’évêque se réjouit que le grand rabin de Paris lui ait témoigné son émotion. Puis il donne une accolade au président pour le remercier de sa volonté de rebâtir. Tous ces mots sont vides, pleins d’émotion mais vides de sens, vides de vérité.

Homme de 2019, vois-tu comme tu es loin de tes aïeux ? Comment as-tu pu à ce point oublier ? On ne rebâtit pas une cathédrale comme on construit un pont ! La cathédrale n’est pas le temple des hommes, elle est le temple de Dieu ! Elle est l’image de sa gloire éternelle, elle est le symbole de sa grandeur, elle témoigne de la vérité qui prit chair, elle a la forme du gibet qui sauva l’humanité, elle est dédiée à la mère de Dieu, la Vierge pure, elle est l’élan de la foi d’un peuple. Elle n’est pas un musée, un décor de théâtre, un magasin, un poste de dépense pour le budget de l’état, un sujet de photographie, un incontournable touristique, non ! Elle est le temple de Dieu ! Elle est l’étendard de la vérité du Salut ! Les hommes qui l’ont bâtie le savaient, car ils aimaient Dieu. Et ce qu’ils ont bâti est éternel et ne mourra jamais. Voilà l’Espérance: en bâtissant un temple de pierre, les Français qui aimaient Dieu ont sauvé leurs âmes, confirmé un peuple pour toujours, et ce peuple, c’est celui du Ciel. Alors, puisse Dieu donner aux hommes de 2019 la grâce de voir la vérité. Et alors, Dieu reviendra habiter Paris, alors la beauté retrouvera les couleurs de son diadème de pierre, alors Paris pansera sa plaie et retrouvera la lumière.

Prions la sainte Vierge que la France retrouve la foi de ses anciens qui aimaient Dieu. Et toi homme de 2019 qui veut rebâtir, puisses tu retrouver dans cet élan la force de rebâtir ton cœur. Alors nous pourrons rebâtir !

Louis d’Henriques.