« ELOIGNEZ LES PETITS ENFANTS DU CHRIST. »

 Nous croyons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le seul vrai Dieu, que notre bonheur est de la connaître, de l’aimer, de l’imiter, de l’adorer, de nous unir à lui, dès cette terre, puis dans l’éternité bienheureuse. En conséquence, nous voulons que les hommes soient baptisés le plus tôt possible car c’est par ce sacrement qu’ils deviennent les enfants de Dieu. Nous n’avons pas plus besoin qu’ils nous donnent leur assentiment pour leur procurer ce bienfait que pour leur donner la nourriture quotidienne que réclame leur corps. Le baptême ouvre la porte de l’ordre surnaturel à l’âme et lui confère la grâce sanctifiante et toutes les vertus surnaturelles. Cette infusion initiale donne alors à chacun l’aptitude à poser des actes d’une excellence divine et vise à nous amener à notre vraie perfection qui est la sainteté ou l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Les actes des vertus surnaturelles sont inspirés à notre esprit par les lumières divines de la foi, et exécutés par notre volonté avec le secours divin de la grâce[1] ». Nous ne pouvons rien souhaiter sur la terre de meilleur que de vivre constamment en état de grâce et, mus par l’amour de Dieu, de nous adonner à pratiquer toutes les vertus surnaturelles avec la plus grande ferveur. Tel est l’unique et véritable itinéraire qui permet dès ici-bas de connaître un vrai bonheur, gage de la félicité éternelle.

Mais que se passe-t-il maintenant, lorsqu’un être humain n’a pas été baptisé ? La pratique des vertus lui est-elle totalement fermée ? Il importe de distinguer ici les vertus surnaturelles des vertus naturelles ou acquises. Ces dernières viennent de la répétition des mêmes actes bons que nous effectuons. Peu à peu, nous obtenons une facilité à les accomplir. Ils nous disposent à bien agir, et avec aisance, dans un domaine donné. Les vertus naturelles sont ces bonnes habitudes acquises par la répétition des mêmes actes. Elles sont donc, non pas le fruit du baptême, mais du labeur honnête de l’homme qui essaie de vivre raisonnablement. Les païens peuvent posséder de telles vertus et c’est un constat que nous pouvons faire chez certains d’entre eux.

Toutefois, il faut bien comprendre que les vertus naturelles demeurent déficientes. Car « dans l’ordre présent (celui de l’élévation dans le Christ du genre humain), nulle disposition n’est bonne, purement et simplement bonne, que celle qui adapte le possesseur à la vision de Dieu[2] ». Or les actes des vertus naturelles ne peuvent dépasser notre condition d’être humain raisonnable et volontaire. Ils ne sont pas non plus méritoires pour le Ciel. Et, de plus, même d’un seul point de vue naturel, ils sont souvent entachés par l’ignorance complète de certaines vérités telles que l’humilité. S’il est donc possible de signaler de beaux actes de force et de dévouement, par exemple, dans l’antiquité païenne, il est à craindre leurs racines d’orgueil. Seule la révélation chrétienne, l’exemple et la doctrine de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous découvrent la perfection de la vertu et la grâce de nous mouvoir dans l’accomplissement d’actes authentiquement surnaturels.

Essayons maintenant de considérer où en est l’exercice des vertus surnaturelles et naturelles dans nos sociétés d’aujourd’hui.

Nous avons dit que les vertus surnaturelles nous étaient communiquées lors de l’effusion de la grâce dans nos âmes à notre baptême. La raréfaction des baptêmes a donc pour conséquence immédiate celle des vertus surnaturelles. D’autre part, même si elles existent chez ceux qui sont baptisés et en état de grâce, leur exercice se trouve en réalité freiné par la corruption de la doctrine catholique dans un très grand nombre d’esprits. L’intelligence de l’abnégation et la place nécessaire de la croix ont été massivement oubliées et rejetées au profit d’une existence d’un nouveau genre chrétien. En cette religion, il est de moins en moins supporté que l’on ait le devoir de s’abstenir de certains plaisirs qui s’offrent au motif d’une morale réellement contraignante. Une place est encore accordée à un Dieu qui rassemble les hommes et qui cimente leur fraternité, mais non plus à un Dieu qui oserait encore imposer aux hommes les exigences de ses commandements intangibles.

Les vertus naturelles ne se portent pas mieux que les surnaturelles et pour une raison principale en réalité valable pour les unes et pour les autres. La Foi en Dieu s’est volatilisée. C’est vrai chez les catholiques chez qui la religion s’apparente à un sentiment du divin bien plus qu’à une conviction claire de l’existence de Dieu et à une adhésion au contenu de la Révélation. La transcendance cède la place à l’immanence et l’homme ne croit plus suffisamment en Dieu pour accepter à cause de Lui, de renoncer aux voluptés terrestres. Nous décrivons là une très forte tendance, même s’il ne faut pas généraliser.

Mais ce qui est vrai chez les catholiques provient en réalité d’une montée de l’agnosticisme et de l’athéisme qui est une caractéristique de notre époque. Or la remise en cause de l’existence de Dieu provoque une véritable révolution de l’ordre moral. « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » avait noté Dostoïevski. Si notre existence se termine à l’instant de notre mort et que nos actes demeureront à jamais impunis, il devient illusoire de retenir les hommes de céder à leurs passions. Certes, il reste le principe des natures et de leur respect. Mais, dans les faits, qui a nié Dieu est bien près de refuser la permanence des essences et de leurs lois. Si Dieu n’est d’ailleurs pas à l’origine des choses, c’est à chacun de juger, à ses risques et périls, d’en enfreindre les règles s’il estime qu’elles existent. Mais, en réalité, l’existentialisme et le relativisme ont fait leur œuvre et le sentiment le mieux partagé est qu’il n’y a rien de stable. Aucune loi ne s’impose aux hommes et chacun se construit librement comme il l’entend. Est vertueux ce que je décide d’être.

Est-ce donc l’ère de la liberté qui commence ? Que devient cet homme à qui ses géniteurs et ses maîtres annoncent qu’il fait de sa vie ce qu’il lui plaît de faire et qu’il n’a de compte à rendre à personne ? Que ce qu’il décide librement de faire de son existence est bon au motif qu’il l’aura librement décidé ? Il s’oriente vers la satisfaction de ses désirs les plus immédiats. Il exige que ses caprices soient entendus. Au fur et à mesure que se découvrent à lui les jouissances sensuelles, il les recherche toujours plus fortes et grisantes. Tout simplement, parce qu’il est en quête du bonheur et que le monde se réduit à ses yeux à la seule matière.

Dira-t-on que ce petit animal assoiffé de toutes les voluptés, puis un instant repu, et de nouveau en chasse de blandices nouvelles est vraiment libre ? On peut le dire et peut-être même le croire. Mais, à la vérité, pour pouvoir le penser, il faut ne plus rien savoir de la liberté ! La réalité est celle d’un abominable esclavage. L’être humain habitué à ne jamais résister à la tyrannie toujours plus sévère de ses sens est un pauvre malheureux. Dans l’illusion de son eldorado sensuel, il sombrera dans la débauche et les plaisirs orgiaques. Jusqu’à quand ? Jusqu’à cette impression de dégoût de tout et surtout de lui-même et à cette certitude tardive qu’il a pris le mauvais chemin de la vie. Mais comment sortir d’un tel asservissement lorsque la volonté n’a jamais été exercée ? Comme on comprend la vertigineuse augmentation des suicides d’ailleurs vantés par cette société comme le nec plus ultra de la liberté !

En réalité, nous devons dénoncer l’empire du démon. L’homme qui se révolte contre Dieu devient infailliblement la proie du diable. Expert à tenter l’homme, à concéder quelques cacahuètes pour l’attirer, Satan n’est pas original. Il redit inlassablement aux hommes ce qu’il chuchotait à Eve au jardin de l’Eden : « Vous serez comme des dieux ! » Mais notre époque est la plus naïve de toutes celles de l’histoire. Elle répète la promesse du serpent avec une conviction jamais égalée et elle précipite ainsi les enfants des hommes dans un enfer terrestre. Au nom de la liberté !

Plus que jamais, nous devons avoir la ferme volonté d’une parfaite cohérence dans la vie familiale afin que notre foi soit l’unique principe de notre existence. C’est ainsi que nous maintiendrons, en dépit du contexte, la vie catholique sur terre.

Père Joseph

[1] R.P. Joseph Schellhorn in le « Catéchisme de la vie intérieure » 1937 p. 16

[2] Abbé Berto in « Les vertus nécessaires à la jeunesse actuelle