Dame pauvreté

 Saint François sous le ciel d’Assise
Connut par un beau soir d’été
Tout pure dans sa robe grise
La noble dame Pauvreté

L’un à l’autre toujours fidèle
Ils s’en furent main dans la main
Au bord des choses éternelles
En suivant les plus durs chemins

Nous, hélas en un siècle avide
Sans amour et sans charité
Avons chassé de notre cœur vide
L’idée même de la pauvreté

Nous ne connaissions sur la Terre
Que deux maîtres tous deux puissants
Le premier s’appelait Misère
L’autre Richesse, homme de sang

Face à face, l’œil plein de haine
Sans cesse ils forgeaient à grands bruits
Ces armes, ces fléaux, ces chaînes
Qui nous ont plongés dans la nuit

Et nous, vautrés dans la matière
Tout abrutis par le confort
Phonos, baignoires, frigidaires
Ascenseurs, autos, coffres-forts

Magazines, journaux, romances
Cinémas, dancings et poker
Nous croupissions dans l’abondance
A moitié bouffés par les vers

Nous pouvons déchanter ma belle
Finie la foire aux voluptés
Tout est passé à la poubelle
Il faut rebâtir la cité

C’est bientôt la fin du voyage
Tout au bout de la satiété
Bel arc-en-ciel après l’orage
Voici la sainte Pauvreté

Elle nous dit, blasée, funèbre :
« C’est l’absence et la privation
Qui vous rendront dans vos ténèbres
Ce soleil, l’imagination

 

L’argent ne sera plus le maître
Je verserai, moi, Pauvreté
Dans votre âme qui va renaître
L’ivresse de la liberté

Quand la mort frappe à notre porte
Que sont les honneurs et l’argent ?
Ô riche quand ton âme est morte
Envie alors les pauvres gens !

Car pauvreté n’est pas misère
Elle est sagesse et dignité
Et sur les trésors qu’elle préfère
Vous pourrez mieux vous appuyer

Adieu donc ô triste cohorte
Des parvenus morts en sursis
Politicards, richards, cloportes
Gens en place, cœurs endurcis

Tout en vous serrant la ceinture
Vous vous demandez, stupéfaits
Au bout de la folle aventure
De quoi demain sera-t-il fait ?

Que sont les vrais trésors du sage
Que vous offre la pauvreté ?
Demain sera fait de courage
D’espérance et de charité

Demain sera fait de courage
D’espérance et de charité
Ce sont les vrais trésors du sage

Les cadeaux de la pauvreté. »

Texte de Jean Villard Gilles, poète, chansonnier, comédien, écrivain, compositeur et musicien suisse, né à Montreux le 2 juin 1895.