La prière des époux, un fleuve de grâces

                      Un être nouveau est né : un foyer. Comme dit l’introït de la messe de mariage, « Dieu a eu pitié de deux enfants uniques ». Les voici qui ont reçu le pouvoir de dire « nous ». Une mystérieuse fusion de leur vouloir les a mis en dépendance l’un de l’autre. Fusion complète des âmes, des volontés, des intelligences, des cœurs et des corps, car ce ne sont pas deux volontés qui se rapprochent l’une de l’autre, et peuvent par conséquent se séparer ensuite, mais au contraire deux volontés qui se fondent et se confondent en une volonté nouvelle où les deux premières se sont comme perdues.

  Et Dieu, sur l’invitation de ces deux « oui », ouvre déjà le trésor de ses grâces. Ainsi, la famille est-elle une chose divine, chose bien haute et bien sacrée pour que saint Paul aille jusqu’à dire que « ce mystère est grand ; je veux dire par rapport au Christ et à l’Église », l’épouse représentant l’Église, et l’époux Jésus-Christ lui-même. On peut dire que la famille chrétienne, comme le sacrement de mariage, provient d’un acte surnaturel, et qu’elle doit être maintenue par une action surnaturelle continuelle. Dans le mariage, le Christ se fait le ciment d’une union par laquelle deux époux deviennent à partir de ce moment, un seul être vivant en deux personnes.

  Vivre saintement notre mariage, c’est donc se rendre toujours moins indigne de cette présence du Christ, et s’élever, se rapprocher toujours davantage de lui, cela se fait en menant « une vie de prière » !

  De même qu’« aucune branche ne peut verdir sans racines, aucune œuvre ne peut porter de fruits si elle n’est unie à la charité comme à sa racine». C’est dans leur amour de Dieu que les époux puiseront en abondance les grâces nécessaires à la sanctification de leur foyer. Toutes les actions, comme leurs conséquences vont en découler.

  Le jeune homme et la jeune fille qui ont déjà fait une large place à cet amour de Dieu dans leur cœur, voient que leur union et leur nouvel amour seront, par le sacrement, un appel nouveau à la grâce. Pour cela l’union des époux devra être aussi totale que possible et se réaliser sur les plans du corps, du cœur, de l’esprit, mais également spirituellement par l’union des âmes.

  Cette intimité des âmes se prépare doucement pendant la période des fiançailles, par une habitude de prière commune, encouragée par des conversations qui deviendront peu à peu des cœur à cœur où l’on s’ouvre l’un à l’autre avec confiance. Selon les tempéraments, cela se fera plus ou moins naturellement. Au départ, cette nouveauté de se confier à l’autre, de s’écouter, demande toujours un petit effort… puis, progressivement, on devient complice, heureux de rire ensemble, de se taquiner… et l’on se sent enfin si bien que l’on échafaude des projets d’avenir, passant en revue tous nos désirs pour la solidité de notre future famille. C’est en priant ensemble, en assistant à la messe et recevant la communion côte à côte et d’une seule voix, que se perpétuera cette présence de Notre-Seigneur dans notre foyer.

  Ces moments bénis de prière commune perdureront pendant le mariage, seront cette respiration spirituelle de notre foyer que nous devrons entretenir non seulement quand l’élan spontané des cœurs nous y poussera avec enthousiasme, mais aussi lorsque les égoïsmes inviteront à se fermer, ou à s’isoler. Cette intimité des âmes, cette union dans la prière est absolument nécessaire à notre sanctification mutuelle, et donc à celle de notre foyer dans ses membres et dans ses œuvres.

  Dans la mesure du possible, les deux époux se retrouveront ensemble à genoux, au pied du crucifix, au moins chaque matin et chaque soir, en plus des prières familiales. Cette prière à deux, qu’ils enrichiront de dévotions ou neuvaines, selon leurs souhaits, les impératifs du moment, les joies ou les épreuves… les verra déposer leur fardeau, exprimer leurs inquiétudes, exulter leurs actions de grâce ! Dieu nous demande de prier, et nous lui devons ce culte tout au long des jours et jusqu’au dernier jour. Ces grâces toutes particulières reçues le jour de notre mariage, sont actuelles dans chaque moment de notre vie. Tout est à recommencer sans cesse, mais toujours notre sacrement est là, qui entretient, nourrit et grandit notre amour mutuel, dans l’amour de Dieu. « Demandez et vous recevrez » !

  Les époux qui veulent réellement se sanctifier, ne se contenteront pas d’une prière matin et soir et de la récitation de leur chapelet quotidien. Désireux d’abreuver davantage leur âme qui semble insatiable de cet amour du bon Dieu, ils chercheront encore à connaître mieux cette Providence, qui les comble déjà tant, par des lectures pieuses qui les élèveront… et peut-être même qu’ils pousseront l’effort à méditer quelques minutes ces lectures pour en tirer un bénéfice plus profond. Dans cet exercice, chacun choisira ses lectures en fonction de sa personnalité ou de ses besoins, quitte à recommander ensuite sa lecture à son époux, mais passer ce moment à prier ensemble dans la même pièce, est d’un grand profit pour les deux. « Celui qui veut être toujours avec Dieu doit souvent prier et lire, dit saint Augustin. Quand nous prions, c’est nous qui parlons à Dieu ; mais quand nous lisons, c’est Dieu qui nous parle ! »

Lorsque cette respiration spirituelle fait partie de notre quotidien, ou presque, il est moins difficile de voir s’agrandir la famille et augmenter les activités ménagères ou charges professionnelles. Il faut bien sûr un peu ajuster les horaires ou les durées, mais l’habitude est plus facile à garder, même si chaque nouvelle étape de notre vie est toujours une belle occasion de progrès en décidant de prendre des résolutions neuves. Il est bien sûr dangereux et condamnable de passer tout son temps en prière, au détriment de son devoir d’état. « Il est dans l’âme, poursuit saint Augustin, une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous ne désirez le repos du ciel. Que celui donc qui ne veut pas interrompre sa prière, n’interrompe pas son désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Se taire, ce serait ne plus aimer. » Nous pouvons ainsi faire de notre vie une prière continuelle, ponctuée, pourquoi pas, d’oraisons jaculatoires, ces petites prières que notre cœur lancera vers Dieu aussi souvent que possible.

  Il va de soi que les époux rechercheront ensemble leur équilibre spirituel. Une perfection individualiste qui ne se soucierait pas de la perfection des deux époux n’est pas dans l’esprit du mariage. S’il y a un petit décalage dans le ménage, on fera preuve de patience pour amener l’autre à progresser avec douceur. Dans tous les cas une grande délicatesse est nécessaire, de l’humilité aussi. L’harmonie véritable ne se cherche pas en dehors du plan divin. Qui se fie à Dieu, à la répartition qu’il fait de ses grâces, ne tarde pas à comprendre que la véritable union des âmes dépend de cet acte de foi. Mystérieusement, Dieu fait alors goûter à ceux qui lui offrent sa place, toute sa place, une douceur, une paix dont la stabilité ne relève pas d’ici-bas. La durée des unions terrestres est toujours brève. Mais ceux qui auront su s’aimer au niveau de l’invisible « pour l’amour de Dieu », auront inauguré leur amour éternel.

 

Sophie de Lédinghen