La spiritualité orientale ou la mort cérébrale

           A l’ère de la mondialisation, il est devenu banal de délocaliser la production des biens dans les pays d’Asie. Le « Made in China » est depuis plusieurs années la norme, et l’Occident imbu de matérialisme y trouve bien son compte. Ce matérialisme, conséquence logique de l’athéisation systématique des sociétés modernes, ne satisfait cependant pas l’être humain, qui est par nature matériel mais aussi spirituel. En même temps que ses smartphones, T-shirts et ordinateurs portables, il importe la multitude hétéroclite des religions, philosophies, arts martiaux et pratiques médicinales de l’Extrême-Orient. Dojos, salons de massage Reikis, cours de yoga, Feng Shui et ouvrages du Dalaï Lama proposent à tous un modèle de paix intérieure, d’harmonie universelle, de fraternité humaine qui séduit l’homme moderne, sans Dieu et sans repères, mais aussi nombre de catholiques qui y trouvent une sorte de complément ou de ressemblance avec la religion chrétienne. Qu’en est-il réellement ? Cette spiritualité orientale est-elle vraiment, comme elle le prétend, la solution aux souffrances humaines ? Tâchons, pour y répondre, de définir ce que l’on entend par ce sujet vague, tout en observant son impact dans notre monde occidental.  

Deux pensées, une technique

  On ne peut comprendre le terme général de « spiritualité orientale » que si l’on se penche sur ses deux principaux composants : l’hindouisme et le bouddhisme. Tous deux synthétisent l’ensemble de cette spiritualité vieille de près de trois mille ans et aux variations multiples. Cette première approche nous permettra ensuite de nous intéresser à la question de la méditation et du yoga.

Hindouisme et bouddhisme

  L’hindouisme naît d’une fusion entre le védisme, religion polythéiste traditionnelle de l’Inde, et le brahmanisme, religion/philosophie panthéiste du « Tout Être », ou du « Tout Dieu ». Il se base sur les trois principes du Brahma (toute chose est une parcelle de l’Être : d’où le panthéisme), du Karma (tout acte lie l’âme au corps), et du Samsara (la réincarnation de l’âme). L’âme doit se fondre dans le Tout Être, mais est retenue par sa réincarnation constante, conséquence des actes (bons ou mauvais) qu’elle pose. Pour libérer l’âme de sa prison charnelle, il faut parvenir à supprimer les désirs d’individualité de l’âme pour la fondre dans la masse du Tout, il faut éviter tout acte qui attacherait l’âme au corps. L’âme s’identifie alors au Brahma. Cette religion est, avec un peu plus d’un milliard de fidèles, la troisième au monde derrière le christianisme et l’islam.

  Le bouddhisme est quant à lui une remise en question de l’hindouisme et de son incapacité à résoudre le problème du mal et de la souffrance. Il est fondé par Siddartha Gôtama qui, après cinq ans d’ascèse extrême pour parvenir au Brahma, reçoit comme une illumination : la solution à la souffrance n’est pas de mettre fin au désir en s’identifiant au Tout Être, mais plutôt de mettre fin au désir tout court : l’hindouisme conserve en effet dans le Brahma un but vers lequel tend la volonté. Gôtama, devenu le Bouddha (« l’Eclairé »), supprime simplement le Brahma. Le but à atteindre n’est alors rien d’autre que la fin pure et simple du désir, par l’identification de l’être dans le néant, le Nirvâna1. Avec « seulement » six cent millions d’adeptes, le bouddhisme est la quatrième plus grande religion au monde, mais son influence touche un nombre bien plus grand de personnes, nous le verrons plus tard.

Méditation et yoga

  Voici la définition que donne le Robert de la méditation : « Réflexion qui approfondit longuement un sujet ». Cela implique donc d’ouvrir son intelligence à l’objet que l’on cherche à connaître, de vouloir pénétrer son essence même afin d’en connaître les moindres caractéristiques. Or dans l’hindouisme comme dans le bouddhisme, la méditation a pour but de fondre l’âme dans le Grand Tout (Brahma) ou le Grand Rien (Nirvana). Ce n’est donc plus l’objet qui doit se fondre dans le sujet, mais tout le contraire. Il n’y a donc pas « méditation », mais plutôt « annihilation ». Cet état de mort cérébrale où l’intelligence doit être mise en veille est permis par la méthode du yoga.

« Le yoga2, nous dit l’Encyclopedia Universalis, est une technique de salut originale qui se propose de libérer l’âme de sa condition charnelle par l’exercice de techniques psychiques et corporelles ». Différentes formes existent en fonction du degré d’avancement dans le Brahma, mais toutes ont pour but cette suspension de l’être, que l’on retrouve dans l’hindouisme comme dans le bouddhisme. Les exercices physiques et respiratoires qui le composent, et dont nous connaissons tous quelques postures (appelées âsanas), visent à rassembler l’énergie contenue dans les chakras (récepteurs nerveux du corps) pour la projeter dans la méditation d’un objet, jusqu’à se fondre en lui : c’est l’étape du Samâdhi, ou enstase (par opposition à l’extase), où le yogi abandonne son caractère d’individu pour se fondre dans le Grand Tout Cosmique. Il en est de même pour le Zen, technique japonaise similaire au yoga, à l’exception que l’objet de la méditation est le néant lui-même (le ). Dans tous les cas, le sujet implose en se coupant au monde qui l’entoure et avec lequel il refuse toute interaction. En cela il est totalement opposé à la méditation et à la prière chrétienne, qui visent à s’ouvrir à Dieu. En cherchant à éliminer le Soi, l’Être, hindouisme et bouddhisme font de l’égoïsme un absolu car ils éliminent toute possibilité d’aimer, l’amour étant une relation sensible de bienveillance entre deux êtres. En sachant cela, quelle n’est pas notre surprise lorsque nous voyons se multiplier autour de nous les cours de méditation transcendantale, les séances de yoga et toutes ces pratiques qui se réclament fièrement de l’Extrême-Orient.

L’Extrême-Orient en Europe, ou le « Prêt à prier »

  La spiritualité orientale n’a pas eu beaucoup de mal à s’infiltrer dans une Europe décadente. La déchristianisation active a créé un vide que l’athéisme républicain ne peut évidemment combler.  Révoltés par la vue des inégalités extrêmes, de la souffrance, de la folie destructrice de l’Homme, nos contemporains ne peuvent qu’être séduits par le message de paix, d’harmonie universelle et de compassion porté par des personnages comme Mahatma Ghandi ou le Dalaï Lama. La spiritualité orientale s’est adaptée de manière remarquable à notre société, mais n’en demeure pas moins totalement opposée au message de l’Eglise.

L’omniprésence du Grand Tout

  Les différences sociales et culturelles entre Orient et Occident ont donné en Europe une version édulcorée de l’hindouisme et du bouddhisme. Les mythes et superstitions de l’Inde ne convainquent pas l’européen moyen, mais il s’avère cependant très réceptif à la philosophie mystique qu’il découvre dans ses séances hebdomadaires de yoga et ses thérapies exotiques. Le yoga qu’il pratique est le Hatha Yoga3. Il apprécie la paix qu’il y trouve après une dure journée de travail et de stress, en faisant le vide dans son esprit, en laissant de côté le monde bruyant, en se concentrant sur son Moi interne… Il suit la douce voix de l’initiateur qui l’invite à ouvrir ses chakras, à se fondre dans l’immensité de l’Univers. Il peut aussi de temps en temps, s’adonner à quelques séances de Reiki4, sur les conseils avisés et bienveillants de son médecin. Allongé sur sa table de massage, à côté d’un Bouddha bonhomme et somme toute sympathique, au milieu de la douce odeur de l’encens se consumant, il laisse un praticien lui transmettre l’énergie cosmique qui saura lui apporter la paix intérieure. Il n’est pas hindouiste ou bouddhiste pour un sou, mais il apprécie cette béatitude que créent en lui ces séances. Il continuera sa vie tranquillement, mais n’en sortira pas vraiment inchangé. 

La réponse chrétienne

  La spiritualité orientale, sous quelque forme que ce soit, mène à la mort de l’intelligence et rend impossible le moindre acte de charité. Comment en effet pourrai-je aimer l’autre si je nie ma propre identité, ma propre existence ? Bouddhisme et hindouisme coupent irrémédiablement l’Homme de Dieu en l’illusionnant sur sa participation au Grand Tout, en faisant de tout être une parcelle de la divinité. Pour ce qui est du yoga, même édulcoré, l’adepte s’enferme dans un égocentrisme néfaste mais se convainc également que le chemin vers le bonheur peut se faire via une technique humaine, éliminant totalement l’action de Dieu : l’Homme est seul maître de son destin, et peut parvenir seul au « Paradis », si tant est qu’on peut donner le nom de Paradis à un état d’anéantissement de l’âme. Quelle différence avec le christianisme ! Le yogi se replie sur soi pour éviter la souffrance, alors que le chrétien s’ouvre entièrement à Dieu et s’unit à Lui par la Croix et les sacrifices. Le yogi attend tout de lui-même, le chrétien attend tout de Dieu. Le yoga n’a donc rien à voir dans la vie du chrétien. Pour ce qui est du Reiki et des thérapies qui s’en approchent, il faut s’en garder comme de la peste : on ne peut pas naïvement penser être protégé de l’influence panthéiste et mortelle qu’elles véhiculent. Gardons bien à l’esprit que ce n’est pas parce que cela fait du bien que c’est bon5.

Un peu comme le catharisme, la spiritualité orientale est une mise en principe de l’anéantissement de l’être. Pour échapper au mal, il suffirait simplement de ne plus exister, de mettre fin au désir. Il n’est pas étonnant alors de constater l’état de misère sociale, spirituelle et physique de l’Inde encore aujourd’hui, et l’on ne peut que frémir en voyant cette spiritualité devenir chaque jour plus présente sur le sol jadis chrétien de notre vieille Europe, bernant jusqu’aux plus hautes sphères de l’Eglise : le pape Paul VI déclara lui-même que « l’Eglise considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui […] apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes6 ». Qu’y a-t-il d’étonnant alors à ce que nombre de chrétiens regardent avec complaisance cette religion de mort, et s’adonnent à la fausse méditation du yoga ?

Plutôt que d’écouter les sirènes trompeuses du néant, restons à l’école de Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie. Loin de l’orgueil humain qui se croit maître de son bonheur et rejette la souffrance, faisons nôtres ces paroles du Général de Sonis, admirables de soumission à la volonté divine et à sa Croix :

« Ô Jésus ! Que votre main est bonne, même au plus fort de l’épreuve ! Que je sois crucifié, mais crucifié par Vous. »

Un animateur du MJCF

 

Sources :

Savoir et Servir n°73 : Prière ou superstition

Le Jubilé, www.seminaire.econe.com

Jacques Verlinde : Du gourou à Jésus